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‘’De Loin en Loin’’: Juliano Nunes/Sidi Larbi Cherkaoui par le Ballet de l’Opéra de Nice Côte d’Azur

La compagnie niçoise dirigée désormais par le suédois Pontus Lidberg expose son excellence dans une soirée double avec la première création en France du brésilien Juliano Nunes Nocturne et l’entrée au répertoire de Loin de Sidi Larbi Cherkaoui. Un programme qui décline deux propositions stylistiques différentes : du langage académique parfaitement maitrisé de Juliano Nunes au geste onirique de Sidi Larbi Cherkaoui qui invite à un voyage méditatif et burlesque.

L’histoire récente du Ballet de Nice est organiquement liée à son précédent directeur Eric Vu- An. L’ancien danseur de l’Opéra de Paris avait pris les rênes de la compagnie en 2009 imprimant sa signature via une relecture des grands ballets classiques et une modeste ouverture vers la danse contemporaine. Sa disparition précoce en juin 2024 à l’âge de soixante ans à la suite d’une longue maladie a inévitablement bousculé une troupe dont il avait choisi tous les danseurs au nombre de vingt-six. Mais The Show must go on et le directeur de l’Opéra de Nice a dû recruter très vite un successeur. Le nom de Pontus Lidberg s’est rapidement imposé. Formé entre autres au Conservatoire national de musique et de danse de Paris, francophone ayant déjà collaboré avec des compagnies telles que le Ballet de l’Opéra de Paris, le New York City Ballet ou la Martha Graham Dance Company, son parcours correspond aux souhaits du directeur de l’Opéra de Nice Bertrand Rossi : diversifier la programmation, conserver le savoir-faire académique de la compagnie mais aller chercher de nouveaux publics en proposant une affiche plus en phase avec les esthétiques d’aujourd’hui.

Le premier programme de Pontus Lidberg intitulé De Loin en Loin  relève impeccablement ce défi avec un large spectre stylistique. Nocturne de Juliano Nunes penche résolument du côté de la danse académique même si le chorégraphe brésilien refuse de s’enfermer dans cette seule palette. S’il a déjà créé pour de grandes compagnies européennes telles que le Nederlands Dans Theater 2 ou le Royal Ballet de Londres, c’est sa toute première incursion sur une scène française. A l’évidence Juliano Nunes a été séduit par l’excellence de la technique classique déployée par la compagnie. Conçue pour onze danseurs et huit danseuses, Nocturne s’ouvre sur un ensemble qui démontre avec panache la virtuosité des danseurs. En justaucorps bleus pour les filles qui ont chaussé les pointes, rouges pour les garçons, Juliano Nunes veut ‘’explorer un dialogue intemporel entre les énergies masculines et féminines représentées par les archétypes du Soleil et de la Lune’’ . Il n’est pas certain qu’il parvienne tout à fait à transférer sur scène ses intentions. Le premier tableau excelle dans  la maitrise des ensembles entre alignements, croisements, rondes dansées à toute allure. C’est sans conteste du bel ouvrage dans lequel les 19 danseuses et danseurs semblent parfaitement à l’aise : arabesques, tours, grands jetés, hyper-extensions, déséquilibres…Toutes les figures de la danse académique d’aujourd’hui telles qu’elle se décline depuis la révolution opérée par William Forsythe sont là parfaitement exécutées. Après ce premier épisode collectif, Juliano Nunes inclut des solos qui mettent en valeur les personnalités artistiques de la compagnie. Tout cela est plaisant mais ne parvient jamais à dépasser l’exercice de style aussi brillant soit-il.

Galerie photo © Gregory Batardon

La soirée opère un twist formel radical après l’entracte avec Loin de Sidi Larbi Cherkaoui, créé en 2005 pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Pièce complexe qui mélange adroitement une douceur onirique caractéristique du chorégraphe belge et un humour facétieux nourri par les expériences personnelles de ses interprètes. Dans un décor signé Wim Van de Cappelle qui fait cohabiter évocations mauresques et voiles mouvants, Sidi Larbi Cherkaoui nous emmène dans un voyage initiatique qui s’ouvre sur une série de face-à-face où des couples de danseurs front contre front semblent échanger leurs énergies jusqu’à ce que le mouvement s’élargisse dans un jeu de bras, de mains, de coudes installant une intimité charnelle presque érotique. Isabelle Lhoas a dessiné un costume pour chacune et chacun empruntant à différents univers et notamment à celui des arts martiaux avec des pantalons démesurément larges. Sidi Larbi Cherkaoui nous conduit subrepticement vers l’Orient qui le fascine. Loin se déploie dans une phrase chorégraphique quasi ininterrompue conduisant les danseurs vers une chute amortie, sans violence avant que les corps roulent sur eux-mêmes. Il y insère des duos impeccables qui n’abdiquent jamais la recherche de la beauté des lignes et une constante fluidité malgré leurs portés acrobatiques.

Galerie photo de Gregory Batardon

Sidi Larbi Cherkaoui a choisi les Sonates du Mystère pour violon et basse du compositeur autrichien Heinrich Ignaz Franz Biber accentuant ainsi le décalage spatio-temporel entre une partition résolument baroque et un geste qui va puiser dans les cultures orientales et spécifiquement la Chine qui est l’un des grandes aventures existentielles de Sidi Larbi Cherkaoui. Cassant le récit de ce périple chorégraphique, les interprètes instillent des textes qui racontent les expériences vécues par les danseurs du Grand Théâtre de Genève lors d’une tournée en Chine. Choc des cultures désopilant où la troupe suisse croise sur scène des cafards géants et des chauve-souris, tout cela mimé avec précision. On repère là le souci de Sidi Larbi Cherkaoui de solliciter le réel pour en faire son miel chorégraphique. Puis survient une coda bouleversante menée par Zhani Lukaj qui après un solo tout en rondeur féline semble telle l’étrave d’un bateau emmener ses compagnons vers la destination finale de ce voyage intérieur.

Jean-Frédéric Saumont

Vu le 23 octobre 2025 à l’Opéra de Nice – jusqu’au 31 octobre 2025.

Distributions :

Nocturne
Chorégraphie : Juliano Nunes.
Décos et costumes : Youssef Hotait.

Loin (créé le 14 avril 2005 par le Ballet du Grand Théâtre de Genève).
Chorégraphie et mise en scène : Sidi Larbi Cherkaoui.
Musique : Heinrich Ignaz Franz Biber (Sonates du Mystère).
Scénographie : Wim Van de Cappelle.
Costumes : Isabelle Lhoas
         
Avec : Veronica Colombo, Zaloa Fabbrini, Ekaterina Oleynik, Zhani Lukaj, Théodore Nelson, Luis Valle, Julie Magnon Verdier, Llenia Vinci, Shigeyuki Kondo, Candela Almonacid, Lisa Bottet, Nina Martiarena, Noémie Meier, Virginia Meneguzzo, Merritt Moore, Madeleine Pastor, Bernadette Sinues, Andrea Canalicchio, Mingus De Swaan, Noah Dunlop, Ivan Maimone, Alessandro Pulitani, Guillermo Raya, Daniel Rodriguez, Thomas Rousse, Alejandro Silva.

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