« Choreia – un PolyBallet » de Rafaële Giovanola
Aux Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, la compagnie CocoonDance explore les racines de la choralité en fusionnant mouvement et voix, créant polycorps et polyphonies.
Ancienne interprète de William Forsythe, Rafaële Giovanola tient de cette collaboration un sens aigu de la rigueur et de la précision, à l’instar de Crystal Pite, meilleur exemple de la puissance chorégraphique qui découle de cette « école ». Plus intéressant encore : Pite travaille souvent sur la communauté, concept qu’elle développe jusqu’à l’unisson, notamment dans son Four Season’s Canon, créé pour l’Opéra de Paris. Et voilà que Giovanola arrive avec sa compagnie Cocoon Dance et une pièce dédiée au chœur, sous toutes ses coutures : Choreia – un PolyBallet.
Le chœur ! Qui ici danse, murmure et chante en référence à la tragédie athénienne, comme à l’époque chez Ariane Mnouchkine dans sa trilogie des Atrides. Qu’est-ce que le chœur ? Le mot même de chorégraphie ne découle-t-il pas du chœur, fait remarquer la compagnie qui a étudié le phénomène choral sous toutes ses facettes. Au XIXe siècle, le chœur se transforma en corps de ballet, pour s’étendre jusque dans les revues. Tout féminin, tout formaté. Mais à l’origine le chœur faisait le lien entre les protagonistes et le public, autrement dit : la communauté. Son intérêt n’était pas dans le clonage, mais dans l’accumulation d’individualités représentant la cité. C’est là qu’interviennent Giovanola et son dramaturge Rainald Endraß.
La danse contemporaine étant largement tournée vers le rite païen, dont les sociétés modernes sont orphelines, elle renoue volontairement avec les danses traditionnelles et le partage. Dans Choreia – un PolyBallet, l’idée est ainsi de faire participer le public à la partie chantée du spectacle, et ce avant tout en Allemagne – la compagnie est implantée à Bonn – puisque le pays regorge de chorales professionnelles et amatrices. Sur scène émerge alors un paysage sonore qui semble les pousser vers l’inconnu. Mais ce sont eux-mêmes qui créent ces paysages, par leurs voix remixées en direct par Franco Mento. Et les sources de ce paysage se trouvent dans la salle. L’un après l‘autre, les danseurs-chanteurs se glissent sur le plateau tels des reptiles. Seulement, d’où sortent-ils ? A chaque apparition, on se frotte les yeux.
Seule la première soliste était déjà sur scène,tout au fond, de dos, debout, articulée et souple, pour donner le là de la chorégraphie, dans des déhanchements et un état physiologique entre humanité et animalité, entre l’élégance de la danse forsythienne et le suspense de l’hybridation. Par la suite, le groupe se constituant, émergent des lignes droites ou circulaires qui se croisent ou se chevauchent, les corps se roulant au sol ou se collant les uns contre les autres, posant à chaque fois la question des forces à l’origine de leur formation et dissolution.
Galerie photo © Noé Grange
D’une certaine manière, cet octet forme un seul organisme. Mais celui-ci serait alors doté, selon le principe de la pieuvre, de consciences indépendantes. On distingue toutefois deux coryphées aux gilets arborant plus de rouge dans ces costumes, tous sombres mais sophistiqués dans l’harmonie de leurs subtiles différences. Il y a communauté, mais on sait aussi que celle-ci n’est pas toujours volontaire. Il s’agit parfois de survivre dans une communauté de sort, laquelle peut tout à fait développer son dress-code.
Lequel, à l’instar de la chorégraphie, souligne et incarne autant la communauté que les individualités, dans une belle osmose entre la chorégraphe et Fa-Hsuan Chen, la créatrice des costumes, dont le travail part ici du chic des soirées glamour avec leurs jupes en plissé et leurs costumes de ville, détournant ces derniers dans une animalité soignée avec de petites digressions élisabéthaines.
Comme dans Vis Motrix, présenté aux Rencontres chorégraphiques en 2023 [notre critique], Giovanola questionne notre humanité et avec elle ce qui fait communauté. Elle déplace et multiplie les centres de gravité corporels, défiant par-là nos représentations de l’humain dans sa carcasse charnelle comme dans son contexte sociétal. Ajoutant aujourd’hui le chant à ses explorations chorégraphiques, CocoonDance revient aussi aux origines de l’acteur-danseur-chanteur de l’époque antique, où les frontières entre les arts n’étaient pas moins perméables que celles entre la représentation d’une tragédie et la cité, rassemblée dans les gradins en hémicycle. Aussi aucune salle parisienne ne semble mieux destinée à ce PolyBallet que celle du Théâtre de la Ville. L’y verra-t-on un jour ?
Thomas Hahn
Vu le 19 mai 2025, Nouveau Théâtre de Montreuil, Salle Jean-Pierre Vernant
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Choreia – un PolyBallet de Rafaële Giovanola
De et avec Alvaro Esteban, Cristina Commisso, Margaux Dorsaz, Evandro Pedroni, Léonce Noah Konan, Jenna Hendry, Nora Monsecour, Louis Thuriot en alternance avec Bojana Mitrovic et Colas Lucot
Chorégraphie et mise en scène Rafaële Giovanola
Composition Franco Mento
Live électronique Franco Mento
Lumières, espace Jan Wiesbrock, Annegret Schalke
Costumes Fa-Hsuan Chen
Coaching vocal Karine Barman, Justin F. Kennedy, Leah Marojevic
Œil extérieur Alvaro Esteban
Dramaturgie Rainald Endraß
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