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Avec Salia Sanou, Nantes s'ouvre grand large

L'arrivée de l'une des grandes figures de la danse contemporaine africaine est une chance historique pour la métropole de l'ouest, et une authentique bonne nouvelle.

L'histoire est bien connue : en 1992 Mathilde Monnier cherche en Afrique les danseurs de sa prochaine pièce et arrive à Ouagadougou. Dans la capitale burkinabée, elle est marqué par la qualité des danseurs, en particulier un jeune officier de police et un comédien-footballeur. Le second se nomme Seydou Boro, le premier Salia Sanou et il vient d'être nommé directeur du Centre Chorégraphique National de Nantes par un communiqué du 21 mai émis par le ministère de la Culture.

« Je veux continer à tisser des liens, à rendre plus dynamique la relation vers le Continent, ses artistes et ses structures parce que je crois plus à ces relations-là qu'en la diplomatie politique ou militaire qui ont échoué » explique Salia Sanou et il faut prendre cette réponse pour un véritable programme tant toute sa carrière l'illustre. C'est le même qui, en 2014, alors qu'il est directeur artistique des les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien dit :« le va et vient et les échanges avec les chorégraphes occidentaux  nous a donné un élan », ajoutant « et nous avons sans doute apporté une énergie qui manquait parfois».
Tout le parcours de Salia est là. Né en 1969 à Léguéma au Burkina Faso, fils de paysan, initié aux rites et traditions Bobo, il est formé à la danse africaine par Drissa Sanon (ballet Koulédrafrou de Bobo Dioulasso), Alasane Congo (Maison des jeunes et de la culture de Ouagadougou), Irène Tassembedo (compagnie Ebène) et Germaine Acogny (Ballet du Troisième Monde). Il intégre l'école de la police en 1990 pour une formation de trois ans à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso tout en continuant ses activités artistiques. À cette occasion il rencontre Seydou Boro à l’Union Nationale des Ensembles Dramatiques de Ouagadougou.

Puis c'est la rencontre avec Mathilde Monnier dont il intègre la compagnie en 1992 où il participe aux différentes créations, Pour Antigone (1993), Nuit (1995), Arrêtez, arrêtons, arrête (1997), Les lieux de là (1999), imposant un physique puissant mais une subtilité extrême. En 1994, il chorégraphie avec Seydou Boro Le Siècle des fous (premier prix national du Concours de Danse Contemporaine Africaine d'Afrique en créations). Un an après, Salia et Seydou s'associent et créent la compagnie Salia nï Seydou tandis que, parallèlement, Salia chorégraphie L'Héritage (1996 - premier prix en art du spectacle à la Semaine Nationale de la Culture au Burkina Faso).

En 1998, La compagnie est lauréate des deuxièmes rencontres de la création chorégraphique africaine à Luanda en Angola avec Figninto, l'œil troué chorégraphie de Seydou Boro (septembre 1997), ainsi que du prix "découverte" R.F.I. spectacle vivant 98. Dans le cadre du festival international Montpellier danse 2000, Salia chorégraphie, assisté de Seydou Boro, Taagalà, le voyageur, une pièce pour quatre danseurs et deux musiciens. 2006 Salia Sanou et Seydou Boro fondent le Centre de Développement Chorégraphique La Termitière de Ouagadougou au Burkina Faso. Ils vont co-diriger ce projet d’envergure internationale, dédié à la création et à la formation, premier du genre en Afrique. Il est financé par l’Ambassade de France à Ouagadougou, le Ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme du Burkina Faso et la Mairie de Ouagadougou. Il reçoit le soutien de l’association des Amis de La Termitière. Une convention lie d'ailleurs la Termitière avec un des nouveaux collègues proche du CCN de Nantes : le CNDC reçoit régulièrement à Angers un jeune danseur formé à Ouagadougou. En 2007, pour toutes ces actions, Salia et Seydou reçoivent le Trophée Culture France des Créateurs sans frontières, qui distingue des créations et des actions de coopération artistique internationale.

À partir de la Termitière, Salia Sanou et Seydou Boro organisent la biennale Dialogue de Corps à Ouagadougou, qui propose des résidences d’écriture, des ateliers et des rencontres autour d’une programmation internationale de danse. En 2011 Salia Sanou et Seydou Boro décident de reprendre chacun leur route, tout en gardant la direction artistique commune de La Termitière à Ouagadougou. Quinze ans après leur première création, ils ont su imposer sur la scène internationale une écriture contemporaine, singulière et profonde. « Nous étions arrivé au bout de quelque chose, nous avions fait huit pièces ensemble et nous avions envie d'explorer autre chose, c'était un peu… maintenant, chacun s'assume…et moi j'ai continué la chorégraphie. Seydou s'est réinstallé au Burkina et fait beaucoup de musique ».
Les pièces de Salia vont prendre plus d'ampleur tout en auscultant des réalités africaines plus ancrées dans les réalités contemporaines, avec Au-delà des frontières (2012), Clameur des arènes (2014) qui mêlait danseurs et lutteurs sénégalais ou Du désir d’horizons (2016) créé à partir du matériau recueilli dans des camps de réfugiés en Afrique, au Burkina Faso et au Burundi, où il a animé des ateliers depuis trois ans dans le cadre du programme Refugees on the move initié par la fondation African Artists for Development. Mais il sait aussi travailler la matière de la danse elle-même, comme dans De Fugues… en Suites… (2024) qui se confronte à la composition de Jean-Sébastien Bach.

Galerie photo © Laurent Philippe

C'est ainsi une figure centrale de la danse contemporaine entre Afrique et France qui va s'installer à Nantes. Les modalités de fonctionnement de la Termitière ont été mises en place avec un trio de jeunes artistes pour prendre la fonction à bras le corps, les rendez-vous, par exemple avec la Biennale de danse africaine dont la prochaine aura lieu fin avril 2026 à Toubab Dialaw, le centre de danse fondé par Germaine Acogny au Sénégal ; deux pièces, un solo sur la musique de Carla Bley, l'autre sur celle de Nina Simone sont lancées pour une ville qui connut, en 1917, le premier concert de jazz américain… Salia va accueillir comme artiste associé du CCNN No Anger, performeuse, chercheuse et activiste qui utilise danse, écriture et vidéo pour « questionner et réinventer la représentation des corps minorisés » ainsi qu'Alice Gauthier, vidéaste et chorégraphe. Et penser qu'un initié Bobo, parentelle de plaisanterie des Peuls (la parentelle de plaisanterie est une modalité de relation africaine — particulièrement dans l'ouest subsaharien —- autorisant certains groupes à en « chambrer » d'autres), va travailler dans la ville qui affréta la majorité des navires français ayant participé à la traite et au commerce triangulaire est une nouvelle parfaitement réjouissante.

Philippe Verrièle

 

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