Ana Pi en orange et en « Atomic Joy »
Aux Rencontres chorégraphiques, un festival de questions autour de la Brésilienne qui atomise la joie annoncée.
La joie est-elle une orange creuse ? Au Centre National de la Danse, Ana Pi demanda : « Que peut la joie face à l’effondrement du monde ? » Avec sa compagnie Na Mata Lab – un « laboratoire d’invention de nouveaux outils d’imagination radicale » – la Brésilienne installée en France proposa à huit danseuses et danseurs urbains de la Région parisienne de partager sa nouvelle création Atomic Joy, présentée en première dans le cadre des Rencontres chorégraphiques. Le visuel de communication affichant une main tenant de petites pilules orange et argentées, on pense immédiatement au Chemical Joy de la Grecque Lenio Kaklea témoignant de la recherche de bonheur par tous moyens et substances artificielles [notre critique]. Chercher la joie dans de petites boules colorées est autre chose qu’un symptôme d’impuissance ?
On retrouva les pilules d’Ana Pi sur le plateau, en plus grand. Au sol. Orange, légères et creuses, tels des nez de clown qui se seraient trompés de couleur. Au moindre courant d’air, il y avait de la circulation sur le plateau, longtemps avant le début. Et puis apparut dans la salle une femme toute d’orange pétant vêtue : Ana Pi, reprenant à son compte la couleur phare de sa joie atomique. Egalement orange, le gyrophare au fond et les costumes de danseurs, en dialogue avec un gris fantomatique dominant. Sur scène, des guerriers aux gestes saccadés, très articulés comme dans un dessin animé ou sur tik tok.
N’avançant vers nulle part si ce n’est dans un imaginaire enfantin, l’octet n’affichait néanmoins à la fin de son tour de piste un tableau de chasse quasiment complet : sous les pieds des écuyers imaginaires, les balles s’étaient transformées en pavés plats. Mais où était la joie annoncée ? Y avait-il une erreur de traduction dans l’intention de la chorégraphe ? Fallait-il imaginer le goût des oranges ? Même en creusant les gestes formatés, parfois en mode arts martiaux ou en danse électro, aucune joie libératrice n’était sensible.
Alors, la joie est-elle contenue dans quelques boules arborant la couleur des fruits emblématiques du Brésil ? La joie est-elle une orange plate comme la terre est une orange bleue ? A peine ne s’agissait-il d’une représentation de sentiments joyeux, ce qui aurait permis d’affirmer en mode Magritte : Ceci n’est pas de la joie. Même pas ! Au contraire, les errances des figures automates prennent parfois des allures de marathon de danse… Et on sait que ces tournois n’avaient rien de joyeux. « Que peut la joie face à l’effondrement du monde ? »
Si l’orange est ici le symbole du bonheur, Atomic Joy témoigne, en les piétinant, d’un bonheur dans l’impasse et frappé d’impuissance. Et la danse ? La joie qu’elle peut nous procurer est-elle encore autre chose qu’une illusion ? Que peut-elle, face à la guerre, face à l’horreur ? On pouvait voir, dans la tenue orange flamboyant d’Ana Pi, un appel à la résistance. Mais pour l’heure, il reste dans le monde une seule boule orange en puissance. Elle a le visage de Donald Trump.
Thomas Hahn
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Centre National de la Danse, le 4 juin 2025-06-17
Dans le cadre de la Saison Brésil-France 2025
Distribution
Direction, Conception, chorégraphie, dramaturgie, costumes et objets Ana Pi
Interprètes Naïs Haidar, Anna Yvray, Manèkè Som, Amin Hasnaoui, Ibrahima ′Ibrah′ Biteye, Solen Athanassopoulos, Hachim Biiskui, Celia « Babyface » Bonus
Composition musicale Christophe Chassol
Création lumière et direction technique Bia Kaysel
Consultante en historiographie et critique de la danse Marie Pons
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