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Aina Alègre crée « Fugaces »

Aina Alègre présentera les 11 et 12 mars sa nouvelle création à Grenoble, où elle codirige avec Yannick Hugron le Centre national Chorégraphique depuis 2023, puis à la Biennale du Val-de-Marne les 20,21,22 et 25 mars.

DCH : Vous travaillez sur Fugaces, une création prévue pour mars 2025,  en hommage à la bailaora flamenca Carmen Amaya, l’une des figures majeures de cette danse au XXe siècle. Par contre, pour vous qui travaillez tant sur les traditions catalanes, une excursion en Andalousie n’est-elle pas contre-nature ?

Aina Alegre : Effectivement, Carmen Amaya n'était pas andalouse, mais née à Barcelone, dans la communauté gitane de l'ancien quartier de Somorrostro. 

DCH : Tout de même, j’imagine que ce n’est pas la raison principale pour laquelle vous vous intéressez à Amaya ?

Aina Alegre : Ce que je révèle dans cette nouvelle pièce, c'est une sorte d'amour pour la figure d’Amaya. Seulement, comme le titre l'indique, cette figure est fugace, à commencer par le fait que j'ai un souvenir très vague de la première fois qu'elle a marqué mon esprit. Je ne sais pas pourquoi ni comment je la connais, mais je vois très bien sa danse. Elle est en moi depuis que je suis petite et j'ai toujours visualisé son énergie, sa force. C'est une mémoire qui a beaucoup nourri mon désir de danse, même si je n’ai jamais pratiqué le flamenco, Carmen Amaya fait partie de mon matrimoine en danse. C'est une pionnière qui a su transformer cet art, en développant le zapateado féminin et en portant des pantalons. Elle est sortie d'une idée très traditionnelle du flamenco et a explosé les codes. Ensuite, Fugaces, c'est aussi la possibilité d'une grande mise en œuvre de mouvement collectif pour qu'Amaya nous traverse, de manière "fugace".

DCH : Si tout est fugace, comment approchez-vous le personnage pour lui consacrer cet hommage ?

Aina Alegre : Il y a un désir de la réactiver, de me confronter à ce qui reste dans les archives la concernant, et de la rendre visible puisqu’elle est vraiment une artiste dont l’œuvre  n'a pas, à mon sens, eu assez de visibilité. Si à Barcelone on la connaît très bien, aucun musée ne lui est consacré et les archives la concernant sont gérées par une chercheuse à Barcelone, Montse Madridejos, de manière autodidacte, et non professionnelle. Et pourtant, elle a influencé beaucoup d'artistes et elle fait partie de l'identité de la ville.

DCH : Quelle forme va donc prendre ce spectacle, pour lequel vous entamez en octobre 2024 une résidence à La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne ?

Aina Alegre : Quant à la forme du spectacle, j’avais envie de travailler sur une danse de groupe, une pièce avec sept interprètes. L'idée est de la convoquer par une danse collective, de l'invoquer presque comme un fantôme pour voir comment elle peut infuser nos corps.  Effectivement, notre approche est sensible, l'idée n'est absolument pas de reproduire sa danse, mais de réactiver son énergie, ses qualités, sa présence... et de voir comment sa danse, qui est à priori lointaine à nos pratiques, peut aussi transformer nos corps et mon écriture.

DCH : Y a-t-il un côté documentaire dans Fugaces ? Utilisez-vous des images d'Amaya ?

Aina Alegre :  Nous avons travaillé avec les archives comme point d'appui pour activer l'imaginaire. Des archives vidéos, films, photos et textes, notamment des critiques consacrées à ses œuvres, même si dans l’ensemble, y a peu d'analyse, parce qu'en général il y a moins de travail écrit sur le flamenco que sur d’autres formes de danse.  

En plongeant dans son histoire, j'ai réalisé à quel point la danse a été pour elle une medium de survie. Elle vient d’une famille gitane du quartier populaire de la Barceloneta, famille qui a pu, à travers l’art de Carmen, sortir de la misère et échapper à la guerre civile et au franquisme. On l'appelait La Capitane, puisqu’elle a réussi à travers son art à devenir l'entrepreneuse de sa propre carrière et de sa compagnie, et à faire vivre toute sa famille. C’est à partir de 1947, à son retour en Europe qu'elle a commencé ses tournées européennes, au Théâtre des Champs-Elysées et tant d’autres. Et l’expérience de tous ces voyages l’a amenée vers la création d’un flamenco hybride.

DCH : Elle est morte jeune, et elle nous dit peut-être  à quel point la vie est fugace, d’autant plus que la sienne était très intense...

Aina Alegre : Il est vrai que je ressens un besoin de partager son histoire également pour cette raison. On dit qu’elle ne s'arrêtait jamais de travailler et on rapporte qu’elle affirmait « si je ne danse pas, je meurs ». Et c’était vrai ! J’ai lu que quand elle est revenue à Barcelone, après toutes ses grandes tournées, on a découvert qu'elle avait une insuffisance rénale et qu'en dansant beaucoup, elle avait fait fonctionner ses reins. Et au moment où elle a arrêté de danser parce qu'elle n'y arrivait plus, par fatigue et en raison de sa maladie, elle s'est très vite éteinte. Son histoire, est donc aussi sa relation à la survie à travers la danse.

 

DCH : Parlons maintenant du Centre chorégraphique national (CCN) de Grenoble dont vous partagez la direction avec Yannick Hugron. Comment s’est passé le début de votre mandat, depuis votre prise de fonctions en janvier 2023 ?

Aina Alegre : Nous avons traversé une première période qui a été marquée par la venue d’artistes et leurs projets. Donc, ça donne déjà une couleur artistique, une identité à ce nouveau projet pour la maison. L'un des événements majeurs a certainement été la recréation de ma pièce participative pour 110 personnes, Parades & Désobéissances, créée dans une première version au Festival de Marseille en 2023, et reprise à Grenoble en juin 2024. C'était passionnant à vivre puisque de tels projets s’ancrent dans le territoire du CCN et permettent une rencontre très immédiate, très concrète entre les équipes artistiques, les participantes, la population et les équipes permanentes. D’ailleurs, à l'invitation de Bonlieu scène nationale d’Annecy, je créerai en juillet 2025 une nouvelle version avec 200 amateurs pour Annecy Paysages et dont un extrait fera partie du défilé de la Biennale de la Danse de Lyon.

Propos recueillis par Thomas Hahn

11 et 12 mars 2025 -  MC2 : Maison de la Culture de Grenoble

20, 21, 22 mars 2025 – MAC de Créteil dans le cadre de la Biennale du Val-de-Marne
25 mars – Théâtre de Corbeil-Essones dans le cadre de la Biennale du Val-de-Marne

Suite de la tournée 2025
23 et 24 avril – Festival Dias da Dança, Porto
20 septembre – Biennale de la Danse de Lyon
18 et 19 octobre – Mercat de les flors,  Barcelone

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