45e édition de Montpellier Danse : De la danse avant toutes choses…
La 45e édition du Festival Montpellier Danse conçue par Jean-Paul Montanari (1947-2025) affirme la place de la création chorégraphique mondiale comme incontournable de la vitalité de la danse, clin d’œil malicieux à ceux qui voudraient la réduire à un divertissement… Et nous rappelle que quoi qu’il arrive, The Show must go on !
« La danse n’a d’existence que dans le souvenir de ceux qui étaient là, présents à ce moment précis et qui ne reviendra plus jamais » Jean-Paul Montanari[1]
Montpellier Danse 2025 est le dernier conçu par Jean-Paul Montanari. Le dernier signé en tant que directeur de ce festival depuis 42 ans. Le dernier de sa vie. Il s’est éteint en le quittant, preuve définitive de ce qu’il avait toujours affirmé, à savoir que ce festival était sa vie.
Et c’est ce qu’il a raconté, de festival en festival à la façon d’un collectionneur, choisissant grâce à son flair inégalable ce qui allait composer cette exposition internationale d’Art chorégraphique contemporain qu’est Montpellier Danse. Ou comme un « nez » sachant assembler des fragrances subtiles, ses notes de tête, ses notes de cœur,et ses notes de fond qui donneront à chaque festival son parfum si personnel. S’il voyait, selon la formule de Catherine Clément « la danse comme un sismographe du monde », c’était surtout lui, cet être hypersensible aux remous du monde et à ses orages intérieurs qui bouleversaient son paysage intime grâce aux créations d’artistes auxquels il tenait tant. « À chaque festival, dira-t-il, je m’écrivais un roman »[2] et il va continuer à « Essayer de raconter l’Histoire à travers un festival, avec des pièces posées les unes à côté des autres comme les éléments d’un puzzle ou un mécanisme inconscient, de façon à ce que le l’ensemble se réponde, tout mélanger pour en tirer du sens sera le sommet du genre thématique […] ) raconte l’histoire de mon cœur, ou de ma psyché,ou l’histoire qui m’arrive tout simplement. »
Mais au fil du temps, il nous racontait une Histoire de la danse encore en train de s’écrire sous nos yeux Cunningham et la ligne américaine, Trisha Brown à laquelle il consacre une exposition, Dominique Bagouet avec lequel il était arrivé à Montpellier et dont il se demandait toujours quel chorégraphe il serait devenu si la vie lui en avait laissé le temps, Forsythe et l’intelligence de son écriture flamboyante, Raimund Hoghe qui, dans sa fragilité sans concession, son incertitude à être, lui rappelait une part de lui-même. Ohad Naharin et la danse israélienne, la culture iranienne qui l’époustouflait, Montanari, toujours tendu, toujours déchiré entre les deux pôles de cet affrontement sans fin, que l’on retrouve, une fois de plus dans cette 45e édition.
Ce qu’il appelait, non sans raison, « la parenthèse enchantée de la danse contemporaine » ouverte en 1981, se referme d’une certaine façon avec sa disparition. Quel est donc l’héritage, que nous livre ce festival ?
D’emblée une ouverture en beauté avec MOMO, d’Ohad Naharin et la Batsheva Dance Company [lire notre article], immédiatement suivi, comme un coup de balancier, d’une création mondiale d’Armin Hokmi, le jeune chorégraphe iranien revélé par Montanari lors du festival 2024 avec Shiraz [lre notre article] et devenu artiste associé de Montpellier Danse. Dans Of the Heart – an etude, le chorégraphe dit « rechercher une danse qui surgit d’une impulsion » avec cinq interprètes avant de s’attaquer à une plus grande forme.
Le reste de la programmation ressemble à un feu d’artifice de créations mondiales d’envergure internationale. Ne l’oublions pas, Montpellier Danse a toujours été un festival de créations, avec les prises de risque que cela comporte et les découvertes que cela suppose.
Cette édition ne déroge pas à la règle qui voit se succéder Thikra, une œuvre d’Akram Khan, mot d’origine arabe signifiant « souvenir », dans laquelle le chorégraphe anglo-bengali et maître de kathak accompagné de la féérie visuelle de Manal AlDowayan, se concentre sur les souvenirs, la mémoire corporelle, et les rituels, avec quatorze danseuses à la gestuelle affûtée. Suivent les corps vertigineux de Camille Boitel et Sève Bernard, dans « » 2025 une création au titre mystérieux qui convoque lévitations, éboulements, basculements ou fuites. Pierre Pontvianne prend le relais avec La Liesse. En quelques années, cet artiste est devenu un habitué du festival. Non sans rapport avec la pièce précédente La Liesse pour cinq interprètes s’intéresse aussi à une fractale d’états, plus complexes et mêlés que le titre ne laisserait à songer de prime abord, aux états limites du corps, avec son chaos organique et son ivresse proche d’une transe.
Un des points culminants de ces créations mondiales sera certainement la soirée en trois parties pour les 27 danseurs et danseuses du magnifique Nederlands Dans Theater Figures in extinction, signé par la chorégraphe canadienne Crystal Pite et Simon McBurney livrent une triple pièce aussi hallucinante qu’éblouissante, extraordinairement subtile pour nous parler de notre monde qu’il s’agisse de l’effondrement de la biodiversité et de la crise climatique, ou notre hyper connexion conjointe à notre déconnexion de la nature et de nos congénères. Un thème pas si éloigné de Les Oiseaux, de Lenio Kaklea, ardente défenseuse d’une pratique artistique qui mêle chorégraphie, texte et vidéo, qui s’inspire depuis ses débuts de la danse post-moderne, du féminisme, de l’anthropologie et de la critique sociale.
Il ne faudrait pas oublier sous ce chapitre des « créations mondiales » le solo de Nadia Beugré, Épiques ! (pour Yikaou) avec deux musiciennes, qui, pour être une petite forme n’est pas moins importante par les thèmes qu’elle aborde. À savoir la réparation mémorielle qui réintègre des personnes disparues et une histoire meurtrie qu’elle a été chercher du côté du village natal de ses aïeules, pas plus que celle de Sylvain Huc et Mathilde Olivares, La Vie nouvelle, scandée par des musiques de compositrices contemporaines majeures. Ou la création du génie du flamenco, Israel Galván qui, avec A new Sketches of Spain un « blues » andalou, fusionne ses taconeos avec la trompette très jazz de Michael Leonhart, autre artiste passé maître dans l’innovation, accompagnés sur scène par six musiciens exceptionnels.
Toujours dans ce club, un quatuor de créations aborde l’étrange, le dérangeant, l’intrigant. C’est le cas de David Wampach avec Du Folie, une pièce inscrite dans un cycle de travail au long cours approchant la folie au masculin pour décentrer la perception et instiller d’emblée un trouble dans le genre (et le jeu). C’est également Eric Minh Cuong Castaing, qui assemble sur scène les danseurs de la compagnie Shonen et des interprètes en perte de mobilité : une danseuse et un ex-boxeur, où corps dits empêchés et corps dits virtuoses s’augmentent et s’influencent. Mais aussi avec FRANK de Cherish Menzo, qui interroge comment une société construit les figures de l’Autre, du monstre, de l’Alien, un être hybride, comme un certain FRANK… (Enstein) ! Enfin, Amit Noy, dans Good Luck mêle danse, performance et langage, et dépèce la danse folklorique jusqu’à sa désintégration.
Par ailleurs, sont invités dans ce festival les figures incontournables qui ont jalonné la vie de ce festival que sont Mathilde Monnier qui investira tout l’espace de l’Agora Cité internationale de la Danse avec Territoires, l’excellent De Fugues… en Suites… de Salia Sanou [lire notre critique], William Forsythe avec les Friends of Forsythe, un programme conçu par Bill himself et Rauf « Rubberlegz » Yasit qui nous avait déjà époustouflé dans A quiet evening of dance [notre critique]et Neighbours avec Brigel Gjoka [notre critique].
Pour clôre le festival en beauté, ce sera donc Mourad Merzouki qui sera aux manettes, avec el formidable Kaléïdoscope [notre critique] et Écho de rue, un événement en grand qui se tiendra place de la Comédie, un lieu essentiel pour Jean-Paul Montanari, qui, dès 1994 avait créé un événement sensationnel dans le même lieu avec La Comédie de la danse. Un hommage en forme de fête pour tous les Montpelliérains, qui ont toujours répondu présent au cours de ces 45 festivals. Il aurait aimé ça.
Agnès Izrine
45e Festival Montpellier Danse, du 28 juin au 5 juillet 2025
[1] [2] Propos recueillis par Agnès Izrine et Lise Ott, Montpellier Danse(s) trente ans de création sous la direction de Jean-Paul Montanari Festival Montpellier Danse – Actes Sud 2010.
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