”3 concertos pour piano de Béla Bartók” de Louis Barreau
Cette grande symphonie chorégraphique pour neuf interprètes célèbre le génie du compositeur hongrois.
Louis Barreau, qui a obtenu le prix d’excellence en composition chorégraphique au Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance de Londres, a pour objectif clair de relier ces deux arts dans un souci… « d’excellence » ! Cette fois, il s’attaque avec neuf danseurs aux magnifiques concertos pour piano de Béla Bartók (1881-1945) et des enregistrements exceptionnels qui réunissent chefs, orchestres et pianistes indépassables – ou presque (voir ci-dessous la distribution).
« Ma véritable idée directrice, c’est la fraternisation des peuples malgré toutes les guerres et tous les conflits ». Cette citation de Bartók ouvre le bal, pourrait-on avancer, tandis que les neuf danseurs – autant que les neuf mouvements de ces trois concertos – descendent et remontent le plateau en vagues successives, puis se répartissent les gestes par contaminations. C’est extrêmement bien écrit, voire éblouissant dans sa façon de traiter unissons et contrepoint pour arriver à une ligne aux inflexions folklorique – telle la composition musicale – où les danseurs et danseuses se tiennent par les épaules puis par les bras, flexibles à souhait. De courses des uns en embrassades des autres, la danse s’éclate et se reprend bien vite, dans un solo où les gestes d’une interprète collent à tel point à la musique dans sa temporalité comme dans son intensité que l’on dirait du « mickey mousing » (1).
Les couples se font et se défont, tandis que le moteur du mouvement part d’un étirement qui finit par se rattraper dans un déhanché qui remanie le reste du corps. La pièce est emportée avec ses cavalcades et ces sauts jubilatoires, dans une chorégraphie qui, certes emprunte à des danses populaires, mais reste toujours empreinte de danse classique dans sa raideur – notamment des dos.
À force de regarder ces pas simples mais virtuoses, avec ces tours virevoltants avec une jambe devant, ces enveloppés déséquilibrés et périlleux, ces caracolades désordonnées qui reviennent en lignes et ces mouvements qui se contredisent élégamment, on finit par penser que Louis Barreau est sans doute le fils caché de Merce Cunningham et d’Anne Teresa De Keersmaeker. Et c’est un peu là que le bât blesse. Tout est parfaitement composé. Tout est formellement impeccable et, comme dans une dissertation bien menée, il y a même les citations obligées là où le professeur les attend, comme ces Line Up des Early Pieces de Trisha Brown.
Galerie photo © DR
Il manque néanmoins le zeste de folie qu’ils ont su apporter en leur temps. La scénographie, très esthétique, est à l’image de la chorégraphie. Sobre et chic, avec son tissu élastique argenté qui prend les reflets des éclairages savamment dosés de Françoise Michel utilisant des contrepoids comme métaphore de ce qui se déroule sous nos yeux. Et les danseurs et danseuses sont formidables. Aussi virtuoses que l’écriture de Barreau qui décompose pour la recomposer celle de Bartók. Pour nous résumer, la pièce est brillantissime, mais sonne un peu creux. Ou pour le dire autrement, Louis Barreau a sûrement du talent. Si seulement il s’arrêtait de se regarder chorégraphier.
Agnès Izrine
Vu le 16 novembre 2024, L’Onde Théâtre et Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay dans le cadre du Festival Immersion Danse.
(1) Le procédé du Mickey Mousing, ainsi nommé car très employé dans les dessins animés, est une extrême synchronisation de la musique avec l'image et désigne les ponctuations musicales imitant le son du monde réel.
• Concerto pour piano n° 1 en mi mineur, Sz 83, BB 91 (1926)
direction Esa-Pekka Salonen / piano Pierre-Laurent Aimard / Chicago Symphony Orchestra (2023)
• Concertos pour piano n°2 en sol majeur, Sz 95, BB 101 (1930-1931)
direction Claudio Abbado / piano Maurizio Pollini / Chicago Symphony Orchestra (1977)
• Concerto pour piano n°3 en mi majeur, Sz 119, BB 127 (1945)
direction Susanna Mälkki / piano Andreas Haelfiger / Helsinki Philharmonic Orchestra (2020)
Distribution chorégraphie & direction Louis Barreau
Créé avec et dansé par Zoé Bernabéu, Daniel Cantero, Gaspard Charon, Matthieu Chayrigues, Marion David, Marion Jousseaume, Flore Khoury, Thomas Regnier, Jeanne Stuart
Assistant artistique Bernadette Gaillard
Conseiller musical, piano Félix Dalban-Moreynas
Lumières Françoise Michel
Scénographie Andréa Warzee
Costumes Camille Vallat
Son Jonathan Lefèvre-Reich
Régie générale & plateau Florian Laze
Voix Christophe Gravouil
Danseur stagiaire (cnsmdp) Arthur Bordage
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