1I2I3 solo I duo I trio, Suzanne Dellal Centre
C’est la troisième édition de 1I2I3 organisé par le Suzanne Dellal Centre en partenariat avec le Théâtre de la Ville, et cette soirée consacrée à des chorégraphes émergents est toujours une réussite, grâce notamment à la diversité de ses propositions.
1I2I3 est un programme d’accompagnement du Suzanne Dellal Centre dirigé par Naomi Perlov, qui permet aux participants de faire leurs premiers pas dans la chorégraphie en trois étapes : d’abord le solo, ensuite le duo et enfin le trio. Chacun d’entre eux a son parcours, ce qui confère à ces auteurs émergents une grande diversité d’approche et des esthétiques très variées.
Hila Nachshonov, pratique le hip hop depuis son plus jeune âge. Yossi Daniel, a commencé la danse dans le désert du Neguev quand il a terminé sa carrière de basketteur de haut niveau. Naya Binghi, elle, s’est plongée dans le monde du flamenco à Séville. Il est à noter que loin de donner des clefs, des formules, ou des techniques chorégraphiques à ceux qui entrent dans ce processus, chacun arrive son bagage et ses désirs, pour faire leurs premiers pas, tout en les soutenant avec des master classes, des chorégraphes extérieurs qui leur font des retours, et du mentorat. C’est probablement ce qui fait le succès de cet accompagnement qui sort véritablement des chorégraphes potentiels qui ont un talent certain.
Pour cette troisième édition proposée par le Théâtre de la Ville et Claire Verlet qui a choisi de montrer ces six propositions (sur les dix-neuf existantes), ce sont trois chorégraphes qui sont convoqués. Deux d’entre eux signant plusieurs pièces. Nous avons été particulièrement impressionnés par Hila Nachshonov qui présentait donc les trois formes requises.
Son solo, No Mean Feet, sur Le Tricorne de Manuel De Falla, est un petit bijou de composition. Quasi immobile, bougeant à peine les pieds, trémulant des cuisses, mais de manière stupéfiante, elle campe un personnage à la fois grotesque à la Valeska Gert, et attachant. Ce qui n’est pas un mince exploit… (no mean feat, en anglais). Cet « happy feet » version Hila Nachshonov, tient donc à la fois du jeu de mot – dont on sait, depuis Freud, la valeur de révélation inconsciente – et du jeu de jambes on ne peut plus complexe. C’est formidablement bien trouvé, assez hypnotisant, et la musique de De Falla finit même par lui donner un cachet hispanisant et séduisant.
Photos © DR
Dans Garage, en duo avec Shira Glinka, elle livre une pièce plutôt formelle, tout en angles, qui font penser à l’alphabet hébraïque, d’ailleurs elles disent des mots qui pourraient être une façon d’épeler des lettres. Avec ce vocabulaire très précis, très rigoureux, elle retrouve cette veine à la fois expressionniste et très abstraite, qui pourrait presque être issue du bauhaus, dont on voit encore quelques immeubles à Tel-Aviv, et ce burlesque un peu bizarre. Car si tout semble taillé au millimètre prêt, tout est prêt à dysfonctionner et à se bousculer, à s’interrompre, se couper, comme ces manches qui paraissent manquer au justaucorps…
Galerie photos - DR
Enfin, son Mandarin Merveilleux, (The Miraculous Mandarin) sur la musique de Béla Bartok est un trio extrêmement réussi, entièrement fondé sur la marche et le cercle. Habilement construit, sachant se décaler avec subtilité de la musique, elle crée une atmosphère unique, qui rappelle le contexte très sombre du livret du Mandarin à partir d’une gestuelle aux accents urbains et folkloriques. Mais les costumes très réussis de Hani Sirkis alliés aux circonvolutions chorégraphiques des trois interprètes (Hila Nachshonov, Chira Glinka et Mika Shenfeld) évoquent soudain les dessins de Nijinski, ces visages et ces rosaces enserrés dans des cercles qui disent l’enfermement, et le désir de mouvement, à travers ces courbes sans fin. Et c’est aussi cela que l’on ressent en regardant cette chorégraphie, qui joue à la fois sur une structure un peu oppressante et révèle un désir d’évasion.
Yossi Daniel aussi bien dans son solo What do I do que dans son duo avec Itamar Galina Ah… I see, crée une danse tout en allonge et en rétractations, en qualités athlétiques et introspectives. Son solo nous entraîne dans les méandres d’un questionnement intime, dans les hésitations d’un homme qui aurait du mal à se supporter, au propre et au figuré, jouant justement sur la qualité du geste et l’amplitude du mouvement pour traduire chorégraphiquement son propos.
Galerie photo © Asya Skorik
Dans son duo, aux envolées fluides et flottantes ponctuées de sauts ramassés, ils dansent souvent de dos, comme pour un adieu. Duo du double et son ombre, ou pas de deux masculin, il aborde la complexité des rapports masculins, de la tendresse à la violence, de la fraternité à la domination, avec délicatesse et crée une pièce sensible d’une dimension authentique.
Nous avons été moins touchés par le trio de Naya Binghi qui, avec ses complices sévillanes, Marina Walpercin et Miranda Alfonso, propose un flamenco déconstruit qui retrouve les sources de cette danse soit sa dimension de force protestataire. Leurs frappes de pied ont beau s’enraciner dans les zapateados andalous, leur insistance et leur puissance raconte nos révoltes contemporaines.
Photos © Sebastian Hartmann
Réussi grâce à l’engagement des trois danseuses la chorégraphie demanderait peut-être un peu plus de nuances dans l’énergie globale, dans la physicalité de la pièce, qui, pour virtuose qu’elle soit, soulève peu d’émotion.
Agnès Izrine
Vu le 10 janvier 2025 au Théâtre de la Ville – La Coupole
Jusqu’au 18 janvier.
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