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Parution : « La traversée du corps » d'Elsa Ballanfat

Elsa Ballanfat présente une caractéristique peu commune. Celle d'avoir suivi de front une formation de haut niveau en danse (dont elle est titulaire du Diplôme d’État) et en philosophie (issue de l'Ecole normale supérieure, elle est agrégée dans cette matière, et dispense un enseignement sur la danse à l'Université Paris IV-Sorbonne).

Toutefois, son ouvrage tout récemment paru, La traversée du corps, qui entend proposer un Regard philosophique sur la danse (tel est son sous-titre), s'abstient de références directes explicites à sa propre expérience des studios et des plateaux. Tenu avec cohérence, ce parti, somme toute compréhensible, n'est peut-être pas pour rien dans le sentiment que peut éprouver le lecteur, de se confronter à une matière un rien scolaire.

Le projet intellectuel d'Elsa Ballanfat est d'établir la légitimité philosophique de la danse, habituellement ignorée dans ce régime de pensée. Car « la philosophie de la danse fait admettre le lien irréductible entre la pensée et la qualité d'expérience du corps. Un corps affiné, qui détaille ses perceptions, démultiplie ses possibles, non seulement ouvre de nouvelles perceptions, met en relation avec de nouveaux phénomènes que la philosophie rationnelle prend alors en charge ; mais encore il articule la pensée en parallèle, la disposant à plus de souplesse, l'ouvrant sur l'extériorité, l'incitant à discourir dans la continuité assumée de la sensibilité. Le corps pousse la pensée à réfléchir l'expérience dont il éprouve la traversée ».

Concept après concept – La conscience du corps ; La subtilité du corps ; Un autre langage ; etc – Elsa Ballanfat instruit un dialogue entre, d'une part les expériences sensibles puisées à l'histoire de la danse moderne ou témoignages recueillis auprès de danseurs, d'autre part les pensées de Platon, Descartes, Heidegger, Lévinas, etc. Le lecteur peu averti de ces matières y puisera une forme de pédagogie fondamentale de la pensée.

Mais la démonstration emprunte à tant de niveaux d'expérience, et s'en tient par ailleurs à une telle généralité de l'approche philosophique, qu'il ne faudra pas s'étonner d'en venir à une assertion aussi obsolète et fragile que celle-ci : « Le langage de la danse est celui du coeur, c'est-à-dire du corps dans son indénouable lien avec l'âme ».

C'est que l'ouvrage d'Elsa Ballanfat paraît ignorer l'effectivité de la rencontre très active entre pratiques de danse et philosophie, telle qu'expérimentée depuis deux décennies, au jour des pensées de Michel Foucault et Gilles Deleuze, Michel Bernard, Jean-Luc Nancy ou Véronique Fabbri. L'acte de danse a tendu à s'y faire acte de pensée critique, dans le contexte des théories les plus contemporaines de la performance.

Quand Elsa Ballanfat pose, d'entrée de jeu, que la philosophie de la danse ne saurait traiter « d'une danse conceptuelle à outrance, expérimentale par complaisance, qui peut priver le public du sentiment de recevoir quelque chose et d'être porté quelque part », elle ne doit pas ignorer qu'elle opère un raccourci par a priori polémique, et ne devra pas s'étonner qu'on décèle dans son travail un parfum de spéculation hors sol et hors temps.

Gérard Mayen

Elsa Ballanfat. La traversée du corps Regard philosophique sur la danse. Préface de Nicolas Le Riche. Hermann éditeurs. 30€.    
 

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Comments

2

Au contraire ce livre présente un point de vue très intéressant sur la relation au corps dans la danse.

Monsieur,
Tout d'abord, la phrase sur le coeur est un commentaire de la philosophe Natalie Depraz qui est citée quelques lignes plus haut. C'est une façon de prolonger sa réflexion sur le coeur. Sortie de son contexte la phrase ne veut rien dire.

De plus, le caractère hors temps est propre à la philosophie. On apprend aux étudiants que tout auteur est contemporain d'un autre, en aucun cas il ne faut tenir compte d'une quelconque chronologie dans une réflexion. Quant à la dimension hors sol, elle est fausse: il y a de nombreuses descriptions de l'expérience des danseurs, la préface de Nicolas Le Riche en étant le témoignage le plus vivant et actuel.

Quant aux auteurs cités, la journaliste de France culture, de l'émission de philosophie, a très bien montré que Deleuze était présent dans le style et le mouvement du texte. C'est tout l'objectif du livre qu'elle a chaleureusement recommandé. Faire intervenir la danse dans un dialogue avec les auteurs de la métaphysique afin de renouveler la lecture des grands concepts (âme, corps), en épousant un style philosophique contemporain. Cette dimension a été très bien vue de nombreux philosophes qui ont lu le livre. Vrin m'a félicitée pour la lecture novatrice que permet le chapitre sur Descartes.

Vous comprendrez que ce travail est celui de plusieurs années et que je souhaite le défendre à sa juste valeur.

Je vous remercie et vous exprime mes sentiments respectueux.
Elsa Ballanfat

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