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« Via Injabulo » à Chaillot : Marco Da Silva Ferreira et Amala Dianor

La troupe sud-africaine Via Katlehong confie sa danse pantsula à deux chorégraphes aux approches opposées. 

On dit parfois que le public de danse parisien, surtout celui des soirées de première, a tendance à rester de marbre face à des manifestations de bonne humeur. Et il est vrai que souvent, le sérieux prime. Mais tout était différent ce soir-là, salle Jean Vilar (la grande salle, bientôt fermée pour rénovation), surtout entre les deux pièces de ce programme interprété par la troupe sud-africaine de Via Katlehong. Car il y était nécessaire d’aménager cet espace-temps entre les deux créations, où habituellement le public va sortir ou attendre dans son siège. L’entracte, habituellement un espace laissé en friche. Pas ici. Pendant que sur le plateau, les techniciens installèrent une table de DJ, suspendue en l’air avec son éclairage en LED, les danseurs montèrent dans la salle, faisant réagir, chanter et même danser le public, ravi comme rarement. 

Tout était prêt pour la fête, et Amala Dianor, en chorégraphiant la troupe de Johannesburg dans cette création au titre confondant d’Emaphakathini  ne l’était pas moins. Et la fête fut. Orchestrée. Au passage elle raviva quelques souvenirs de la collaboration en 2007 de Via Katlehong avec Robyn Orlin dans Still life with homeless heaven and urban wounds… : par le jeu avec le public, les petits dialogues entre les interprètes au sujet du chorégraphe (« Amala nous a dit que… ») et bien sûr par la dizaine de paniers en plastique, comme pour amener les boissons pour la fête. Pas de citations directes, mais l’esprit d’Orlin y est. Sauf qu’ici les objets colorés n’ont pas de fonction particulière dans la chorégraphie. Pour cela, il faut attendre la fin quand ils sont renversés dans un accident collectif, jolie chute en slapstick après une suite de tableaux. 

Curieusement, après l’intense rencontre avec le public à l’entracte, le 4e mur s’est reconstruit, la revue se refermant sur elle-même. Dianor laisse alors à la troupe toute liberté de se faire plaisir, voire trop de liberté. Mais cette façon très lointaine de chorégraphier est aussi le résultat des circonstances de création qui ont obligé les protagonistes à travailler de façon intermittente. « Et à chaque fois qu’on se retrouvait, il a fallu reprendre à zéro », dit le chorégraphe à propos de ce résultat certes énergétique et joyeux, mais un peu décousu, animé par la danse pantsula et un corps souvent collectif et virtuose. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

førm Inførms de Marco Da Silva Ferreira

Sur la Via Injabulo, les membres de la troupe de Johannesburg ont aussi croisé Marco Da Silva Ferreira, et ce jeune chorégraphe Portugais les a fait avancer dans le sens opposé de Dianor, avec une écriture minutieuse, très étudiée, parfois au ralenti et le plus souvent en suspension, créant un suspense permanent sur une boucle musicale jazzy de Jonathan Uliel Saldanha, accords de trompette en éternel (re)commencement. Da Silva Ferreira intitule cette étude førm Inførms, ce qui ne laisse aucun doute quant à ses intentions. 

Tout est forme, et la forme est le sens. La forme informe et enrichit en permanence, par le sens du détail, par le déroutage d’un tour de jambe, par la subtilité d’un mouvement des bras, comme en contresens par rapport à la dynamique du corps. « L’accent tonique est à contretemps », dit Da Silva Ferreira de la pantsula et saisit la danse des Via Katlehong dans ses interstices, où s’ouvrent de nombreuses portes. Aussi les huit interprètes livrent comme des échos de pantsula, sur des échos musicaux. Fragile, fébrile, cette danse semble toujours essayer de saisir quelque chose qui lui échappe. D’où un suspense permanent.

Galerie photo © Laurent Philippe

Le travail qui est d’un graphisme parfait rappelle au passage des esthétiques aussi fondatrices que le travail ultrasensible sur le hip hop chez Bruno Beltrao ou l’idée d’Alessandro Sciarroni de déconstruire le folklore alpin, le Schuhplattler partageant par ailleurs avec la pantsula les frappes sur les cuisses et les bottes, ici en caoutchouc, là-bas en cuir. Si la pantsula reste la base de tout dans cet essai chorégraphique, elle croise sur laVia Injabulo façon førm Inførms la culture house, la danse claquettes, le voguing et quelques autres, pour recomposer un langage riche, précis et paradoxalement imprévisible, invitant à un acte de contemplation actif et profond. 

Thomas Hahn

Spectacles vus le 6 octobre 2022, Chaillot Théâtre National de la Danse, Salle Jean Vilar

Première partie – førm Inførms

Chorégraphie Marco da Silva Ferreira
Musique Jonathan Uliel Saldanha
Lumières Cárin Geada
Costumes Dark Dindie styling concept

Deuxième partie – Emaphakathini

Chorégraphie Amala Dianor
Musique Awir Leon
Lumières Cárin Geada
Costumes Julia Burnham

Avec Julia Burnhams, Monicca Magoro, Lungile Mahlangu, Tshepo Mohlabane, Kgadi Motsoane, Thato Qofela et Abel Vilakazi Via Injabulo 

 

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