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Qudus Onikeku : « Africaman Original »

Définie par son auteur comme « ni un spectacle, ni une conférence, ni une performance » la pièce met en lumière ce que signifie être artiste au Nigéria.

Le Nigérian Fela Kuti, mort en 1997, n’était pas seulement un extraordinaire chanteur et saxophoniste. Il demeure, plus de vingt ans après sa mort, une source vive d’inspiration, toutes disciplines confondues, pour les artistes africains. Après les plasticiens qui se sont depuis vingt ans emparés à l’envie de cette figure mythique, les chorégraphes à leur tour sont entrés dans la ronde des hommages.

On pense, bien sûr, au magnifique et survolté Kalakuta Republik du Burkinabé Serge-Aimé Coulibaly, créé en avant-première en novembre 2016 à la Triennale Danse Afrique Danse de Ouagadougou, approfondi quelques mois plus tard à la Maison de la danse de Lyon, triomphalement représenté aux Célestins lors du dernier festival d’Avignon, et prochainement à l’affiche du festival Paris L’Été du 26 au 28 juillet au Lycée Jacques Decour.

Pour autant, on ne saurait oublier que, dès 2015, le danseur et chorégraphe Qudus Onikeku, né à Lagos, consacrait à son illustre compatriote une ‘conférence dansée’ lors du festival Dansons maintenant à Cotonou (Bénin). Reprise les 6 et 7 avril au Tarmac à Paris, cette pièce singulière a donné l’occasion d’admirer une fois de plus la présence et la simplicité expressives d’un artiste qui, pour être un peu plus éloigné que d’autres des feux des projecteurs, n‘en est pas moins tout aussi remarquable. La genèse de la pièce explique à la fois sa forme et son propos.

Après avoir été repéré par l’Europe en 2010 grâce à son premier prix solo au concours Danse l’Afrique Danse à Bamako avec My Exile is my Head, le chorégraphe est invité par le festival d’Avignon, dans la section des Sujets à Vif, où il interprète STILL/Life, en co-production avec la SACD. S’ensuivent une Carte blanche au festival Torino Danza pour QADDISH, un prix de Nouveau talent chorégraphique de la SACD en 2012, un contrat d’artiste associé avec la Maison de la danse de Lyon… Et la nécessité impérieuse, soudain, de dire stop à un système où les créations s’enchaînent pour alimenter un mécanisme de production et de subvention finissant par tourner tout seul. « Un marché où, finalement, le spectaculaire et le spectacle lui-même deviennent plus importants que la personnalité et la singularité  de l’artiste qui a pourtant de nouvelles choses à dire, à exprimer et à comprendre », comme il le déclare dans la note d’intention de sa pièce. C’est alors qu’il décide de tout arrêter et de rentrer au Nigéria.

Un retour aux racines qui est aussi une quête des origines, celles de sa danse et de sa condition d’artiste. D’où l’envie de créer, juste à partir de lui et son corps, « un propos simple et flexible selon les moments. Une forme inclassable, débarrassée de toute contrainte inutile, sans coproduction et sans technique. »

Ce sera cet Africaman Original, dont le titre délimite le champ d’exploration. Le but est en effet d’ « examiner une esthétique propre à l’Afrique qui soit en même temps universelle, une esthétique qui ait un point de repère autre que l’Occident (…) et au sein de laquelle le fond prend le pas sur la forme. » Dans ce contexte, le choix de Fela, « comme un clin d’œil et non comme objet » n’est en rien anodin. Le musicien est en effet, depuis l’enfance, ‘le’ héros de Qudus Onikeku et son seul repère artistique, dans son génie comme dans ses engagements. Se confronter à cette présence tutélaire représente donc un défi, et un enjeu, mais aussi la possibilité d’exprimer le plus authentiquement possible ce qui le fonde en tant que danseur et chorégraphe. Il s’agit de mettre à plat, dans leur vérité, les éléments de son inspiration : un village africain, dont on voit sur le mur de fond de scène quelques images vidéo (celui d’Abéokuta, dont sont originaires Fela et le père de Qudus, et qui fut le point central de la création de QADDISH ?) ; la musique de Fela, dont il fredonne les paroles ; le verbe, par lequel il explique ce que l’on va voir, « ni un spectacle, ni une conférence, ni une performance », mais un peu tout cela à la fois quand même.

Face au public, il raconte son parcours, mettant en lumière ce que signifie être un artiste au Nigéria (« zéro soutien public, zéro subvention »). Il souligne combien cet abandon des pouvoirs publics contraint les créateurs à se poser sans cesse la question du ‘comment survivre’ qui devient la base même de leur inspiration, et à s’unir pour « collaborer artistiquement, seul moyen de s’en sortir ». Une « galère », à mille lieues de la situation d’ « artiste embauché par l’Etat » à la française, mais qui, dans son cas, l’a « aidé à (se) recentrer ».

Dans cette logique, il rappelle qu’il a refusé la tournée d’Afrique en créations, ne souhaitant pas entretenir un mode de fonctionnement où, si les artistes africains nourrissent la production scénique hexagonale, aucun toutefois n’a encore, jusqu’ici, été nommé à la tête d’un théâtre ou d’une institution chorégraphique…

Entre deux fragments de discours, il danse - très bien - notamment sur des images projetées de danses traditionnelles, évoque son rapport au temps ou à la réincarnation. En final, il fait entendre un dernier et électrisant tube de Fela, invitant le public à le rejoindre sur le plateau et à danser. Pour résister ensemble, un message qui prend tout son sens à l’heure où le Tarmac, seule scène dédiée à la francophonie, sera liquidée en 2019 pour faire place au Théâtre ouvert…

Isabelle Calabre

Vu le 7 avril 2018 au Tarmac

Festival Paris L’Été du 26 au 28 juillet 2018

 

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