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Catherine Legrand recrée « Jours étranges » de Dominique Bagouet

Une version exclusivement féminine, présentée à la scène nationale de Mâcon revisite cette pièce rebelle de 1990. La première chose à faire, quand on apprend que Jours étranges sera recréé, est de plonger dans l’esprit clownesque et grimaçant de l’original, grâce à la captation vidéo de Charles Picq, et de consulter l’ouvrage de référence, Dominique Bagouet, un labyrinthe dansé d’Isabelle Ginot, publié en 1999 par le Centre National de la Danse.

Tout est là: Dominique Bagouet créa Jours étranges pour la dixième édition de Montpellier Danse et le dixième anniversaire du CCN. C’était en 1990. Et déjà, il s’interrogeait sur l’institution, la perte de spontanéité, l’enlisement de la créativité. D’où une pièce fulgurante où il tente de faire voler en éclats l’image de son art créée par la presse et l’institution elle-même. D’où un retour sur sa propre adolescence et l’attitude Sturm und Drang, d’où la révolte contre l’attendu et le convenu. D’où les « mauvaises pantomimes » et les chansons de Jim Morrison et The Doors, exposées à une écoute corporelle où chaque geste se charge de sensualité et de rébellion.

D’énormes enceintes faisant scénographie, la musique règne en maître. Une danse au plus près des instincts, ludique et libératoire, où l’on n’a plus à se soucier de telle ou telle école… Quelque parte entre free jazz et punk, mais innervée par Les Enfants du Paradis. Avec son irrévérence, dans un esprit adolescent et « ni dieu ni maître », Bagouet bouscule toutes les icônes de son époque, de Montanari à Cunningham. Il questionne son art personnel, déjà en voie de subordination aux attentes du milieu. C’est ainsi qu’il ressentit l’évolution de ses relations avec son environnement et « des systèmes qui redeviennent pesants et qu’il semble urgent de secouer. »

Curieusement cette pièce, vieille d’un quart de siècle, répond parfaitement à la vague actuelle qui revisite les danses sociales en posant la question de la communauté et des relations au sein d’un groupe. C’est d’autant plus vrai que Bagouet posa ce geste comme un retour sur sa propre adolescence avec « ces soirées à tendance ‘beatnik’ bercées par la voix chaude de Jim Morrison » et « d’obscurs désirs mal définis, de révolte contre les normes et les codes établis. »

Olivia Grandville, interprète à l’époque, se souvient: « Ce que cherchait Dominique et ce qui était justement difficile à assumer pour nous les interprètes, c’était finalement notre maladresse. Par exemple, il tenait absolument à ce que toutes ces histoires de pantomimes - qu’il appelait de la « mauvaise pantomime » - ce soit quelque chose, dans laquelle on se débatte. Je crois qu’il faut toujours arriver à garder cette dimension de fragilité. Dès qu’on est un peu trop à l’aise, tout d’un coup ça ne marche plus parce que cela devient grossier. »

Galerie photo © Caroline Ablain

En 1990, cette pièce aux allures de rupture prit le milieu professionnel de court. En la recréant aujourd’hui, faut-il chercher à reproduire un tel degré de perturbation? Ou bien faut-il au contraire se retourner contre la pièce pour la surprendre à son tour ? Hélène Cathala: "Dominique ne nous a pas demandé de travailler sur nos souvenirs des périodes d’apprentissage ou nos mémoires de jeunes gens sur ces époques troublées de l’adolescence. C’est l'inverse. C'est désapprendre tout ce qui avait pu être appris... retourner avant l'apprentissage."

Comment alors recréer la pièce aujourd’hui ? Catherine Legrand relève le défi en partant des interprètes. A la création, elle fut l’assistante à la chorégraphie et créa les costumes avec Bagouet en personne. En 2016, elle recrée Jours étranges avec une distribution exclusivement féminine (1), alors qu’en 1990 la parité hommes-femmes était parfaite. La question de la liberté étant au cœur de Jours étranges, une reconstruction à l’identique n’était pas une option. Pas de système, surtout pas! Plutôt questionner l’œuvre de l’intérieur, la traiter comme une matière vivante et se laisser surprendre par le résultat…

Thomas Hahn

Jeudi 17 novembre, 20h30, Le Théâtre scène nationale de Mâcon Val de Saône
www.theatre-macon.com

Jours étranges sera présenté au Centre Pompidou du 9 au 11 mars 2017 dans le cadre des 40 ans du Centre Pompidou.

http://www.numeridanse.tv/fr/collections/64_collection-bagouet/1197_jours-tranges-extraits

Autour du spectacle

Conférence BAGOUET : UNE OEUVRE ET SA TRANSMISSION
Au Petit Théâtre à 19h - Entrée libre
Documentaire : Jours étranges de Julien Oberlander
Mardi 15 novembre à 18h30 à la Médiathèque de Mâcon

(1) Magali Caillet, Lucie Collardeau, Katja Fleig, Elise Ladoué, Pénélope Parrau, Annabelle Pulcini

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