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June Events : « 55 » de Radouane Mriziga
Dans un premier temps, le spectateur ne peut soupçonner le lien qui va se créer, entre les actions chorégraphiques de Radouane Mriziga et l’image finale occupant le sol, au bout de 55 minutes (d’où le titre de ce solo). Des quatre lecteurs K7 posés aux quatre points cardinaux (plus un cinquième) s’échappent des bribes de musique baroque, arabe ou indienne, et autres dub. Quelques mesures par-ci, d’autres par-là, qui se croisent et rendent présents le temps autant qu’un espace mondial. Avec ses appareils d’un autre âge technologique, Mriziga nous invite donc à une balade sur les ondes courtes d’un récepteur mondial.
Au centre, entouré du public sur les quatre côtés, le performer se met en marche, ses bras avancés visant un point au bout de l’espace. Ou bien il se couche sur le dos pour basculer sur le ventre par un mouvement paradoxal, tel un yogi accompli. Et vice versa. En verticale, certains de ses mouvements semblent émerger de traditions lointaines, en écho aux échos musicaux. Quand Mriziga a décidé de quitter son Maroc natal pour se former en danse contemporaine en France et à Bruxelles (P.A.R.T.S.), il a débarqué avec un certain héritage culturel, qui n’est pas étranger à ce 55.
Entouré du public sur les quatre côtés, il se positionne en citoyen à l’écoute du monde, et directement en son centre. C’est à partir de son propre centre (le nombril, le sexe) qu’il définit ses unités de mesure officieuses, de l’enjambée à la coudée. Mais le spectateur les perçoit d’abord dans leur pure valeur chorégraphique, libres de toute finalité. Le ventre sert de bascule, et le coude de compas, pour tracer des cercles autour de points, préalablement définis par rapport au centre.
Ce n’est qu’en voyant Mriziga matérialiser les lignes invisibles par des tracés de bande adhésive que les trajectoires commencent à s’additionner, pour créer un dessin géométrique. La musique cède au chant d’oiseaux. Petit à petit surgit un Mandala, fort d’un noyau extrêmement dense et complexe, arabisant et pourtant aux allures occidentales, puisqu’il n’existe que par son ossature géométrique. Mais justement, la géométrie n’est-elle pas d’origine babylonienne?
55 est aussi complexe dans sa conception que limpide dans sa réalisation. Maître d’œuvre et d’ouvrage à la fois, Mriziga plante un repère dans le paysage chorégraphique. Une nouvelle unité de mesure?
Thomas Hahn
Le 3 juin 2016 Festival June Events (Atelier de Paris)
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