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Entretien avec Chantal Loïal

Danseuse et chorégraphe, Chantal Loïal a fêté en 2015 les vingt ans de sa compagnie Difé Kako. Elle revient sur son parcours, salué notamment par le Président François Hollande qui l’a décorée il y a un an, en mars 2015, de l’ordre de la Légion d’Honneur au Palais de l’Elysée.

DCH : Quand avez-vous commencé à danser ?

Chantal Loïal : Toute petite, à l’école primaire aux Antilles. Puis, lorsqu’en 1977 je suis arrivée en métropole j’ai pris des cours de danse jazz une fois par semaine à la MJC de Châtenay-Malabry. J’ai aussi essayé la danse classique, la danse africaine, et commencé à danser en amateur jusqu’en 1989. Mais j’étais complexée par mon physique, qui ne correspondait pas aux normes académiques. C’est alors que j’ai rencontré le chorégraphe du Ballet national du Congo, Lolita Babindamana. Avec sa propre troupe, qu’il venait de créer en France, il partait en tournée au festival de Carthage et m’a proposé de me joindre à eux. J’avais 17 ans, c’était en juillet, pendant les vacances scolaires et avec l’accord de mes éducatrices, je suis partie. Nous avions cinq dates de ballet traditionnel, suivies de cinq dates de danse africaine sur de la musique moderne. J’ai été repérée sur ces dernières représentations et j’ai ensuite intégré des troupes de chanteurs africains, zaïrois pour la plupart, qui connaissaient alors un grand succès. C’était l’explosion de la world music, avec des artistes comme Peter Gabriel, Salif Keïta, Mory Kanté etc. Nous faisions des tournées à Londres, en Australie, aux USA. J’ai découvert la vie d’artiste et le contact avec le public, dans une ambiance joyeuse, détendue, sans pression.

DCH : Comment, dans ce contexte, est intervenue la rencontre avec José Montalvo et Dominique Hervieu ?

Chantal Loïal : C’était en 1996, lors de la préparation du quatrième festival Suresnes cités danses. J’avais été sélectionnée pour une création de Fattoumi et Lamoureux mais finalement, ceux-ci se désistent. Olivier Meyer et Edwige Cabelo, alors chargée de relations publiques au théâtre Jean Vilar, me conseillent d’auditionner pour le projet de José Montalvo. J’arrive devant lui sans avoir rien préparé, sans même avoir apporté une musique pour danser, persuadée que je ne correspondais pas au profil. Je l’apostrophe : « Vous, les contemporains, vous tenez de beaux discours mais les corps comme les miens, vous ne les montrez jamais sur scène ! » J’improvise. Et il m’engage, ainsi qu’une danseuse classique très très mince !, pour La mitraillette en état de grâce. Dans cette pièce, créée à Suresnes en  janvier 1997, c’était la première fois qu’on juxtaposait des styles et des physiques différents. Le succès a été immédiat et l’aventure a commencé. Avec Paradis, qui reprenait le même principe, nous avons tourné dans le monde entier.

DCH : Entre temps, vous aviez déjà monté votre propre compagnie, Difé Kako…

Chantal Loïal : En 1992, j’ai créé une association de cours de danse africaine. Il m’arrivait aussi de recruter des danseuses pour les orchestres avec lesquels je travaillais. Lors d’un retour en Guadeloupe en 1989, j’avais redécouvert le zouk, les danses traditionnelles, et j’avais envie de mixer toutes ces expériences en pariant sur la dynamique du métissage. En mars 1995, je décide donc de créer ma compagnie et de me lancer dans la chorégraphie avec des interprètes venues de la danse africaine, antillaise, orientale, classique et contemporaine. Cette singularité a nourri mon premier spectacle, Kakophonies, scandé par des onomatopées créoles et de la musique live.

DCH : Comment définiriez-vous la danse afro-antillaise contemporaine ?

Chantal Loïal : Bien qu’elle soit largement présente dans les territoires ultra-marins, elle souffre encore en métropole d’un certain manque de reconnaissance. Difé Kako est l’une des rares compagnies françaises à la faire exister dans sa triangulation entre l’Afrique, l’Europe et les Antilles. Stylistiquement, elle se caractérise par une gestuelle inspirée à la fois de la danse africaine, pour le bas du corps, et des danses européennes ou des danses de cour pour le travail du haut du corps, le port de tête, les bras, le sourire. Je dis souvent : « En bas c’est l’Afrique, en haut c’est la France et le tout c’est la créolité. » Cette danse circule entre tradition et modernité, s’inspirant de la mémoire pour inventer des pratiques d’avant garde. C’est un langage physique en perpétuelle mutation.

DCH : Vos pièces, comme On t’appelle Venus et Noir de boue et d’obus, ne craignent pas d’aborder des thèmes sociaux et historiques…

Chantal Loïal : La première évoque en effet le destin de la fameuse Venus Hottentote, et la seconde l’engagement des soldats africains durant la Première Guerre mondiale. Pourtant, bien qu’il s’agisse de thèmes forts, j’ai dû me battre pour faire aboutir ces deux projets, et concernant les tournées de « Vénus » je n’ai reçu aucun soutien de l’Institut Français - à la différence de l’Alliance Française qui m’accompagne pour la prochaine représentation aux Etats-Unis en ouverture du mois de la Francophonie. Pour Noir de boue et d’obus, c’était un peu plus facile, car tout le monde se sentait concerné. Mais d’une façon générale, c’est difficile de faire exister une compagnie telle que la mienne. Nous n’avons pas de conventionnement ni de subvention de fonctionnement. Seuls les DAC de Martinique et de Guyane ont accepté de nous accompagner pour trois ans au titre des tournées et de l’action culturelle sur leurs territoires. Il faut sans cesse lutter et réclamer, comme s’il fallait attendre que quelqu’un se dise : « on va aider les gens d’outre mer parce qu’ils râlent »…

 

DCH : Pourtant, votre personnalité, votre travail et votre récente décoration ont fait de vous une personnalité emblématique ?

Chantal Loïal : C’est vrai aux Antilles, qui sont très fières de cette distinction honorant une chorégraphe originaire d’un de leurs départements. Ou lorsque je pars en tournée en Europe, et que les gens ovationnent mes pièces. Mais je suis blessée que le Ministère de la Culture ne reconnaisse toujours pas mon travail, même après cette distinction. D’autant que la compagnie Difé Kako mène depuis toujours une large action pédagogique sur tout le territoire. J’ai toujours eu le goût de l’enseignement et je suis convaincue que la formation des publics est essentielle pour assurer la bonne santé des salles de spectacle. Nous sommes là aussi pour faire un travail de transmission, cela fait partie de notre culture. Danser en plein air, animer un Bal Konsèr comme le 13 janvier dernier à la mairie du XIIIe, ou se contenter d’une petite salle de 10m2 sont des conditions courantes en Outre-Mer. Cette ouverture vers les autres est aussi une composante de mon caractère et de mon histoire : alors que, souvent, l’insularité enferme, j’ai la chance d’évoluer au confluent de plusieurs univers.

Propos recueillis par Isabelle Calabre

L’actualité de la Vénus noire :
Le 4 mars : On t’appelle Vénus au Théâtre de l’Ambassade française à Washington, en ouverture du Mois de la Francophonie, en collaboration avec l’Alliance Française.
Le 6 mars à 23h55 : Diffusion intégrale sur France Ô de On t’appelle Vénus dans l’émission Multiscénik.
Le 18 mars : On t’appelle Vénus au Mémorial Acte de Pointe à Pitre, autour de diverses expositions et en présence de l’historien Pascal Blanchard.
2 avril : On t’appelle Vénus au Théâtre des Halles à Avignon, représentation organisée par Le Café des Sciences.
Autres dates et actualité de la compagnie sur www.difekako.com

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