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Robyn Orlin, et un titre-serpent de plus

Robyn Orlin, et un titre-serpent de plus

 In a world full of butterflies it takes balls to be a caterpillar… some thoughts on falling, ça veut dire: « Dans un monde rempli de papillons, il faut avoir des couilles pour être une chenille… Quelques réflexions sur la chute… »

CQFD. Car on y évoque l’expulsion du paradis et la chute de l’ange! Excusez du peu, semble vouloir dire Robyn Orlin. Ses « réflexions sur la chute » débutent par une drôle d’invasion de chenilles, ce qui a de quoi agacer Adam et Eve. Mais ici le duo n’en est plus un, car au lieu de s’envoyer en l’air, ils se succèdent dans deux solos. C’est plutôt à l’intérieur de l’une et de l’autre que se croisent tant et tant de personnages et de mythes…

Et pourtant, le premier tableau est la seule vraie surprise. Quelle scène bucolique et anarchique en même temps! Une  cinquantaine de spectateurs, voire plus, sont assis sur le plateau. Les oiseaux chantent. Et les sièges des premiers rangs sont couverts de tentes de camping. Celles-ci évoquent autant les vacances que les sans-abris. Aussi, beaucoup de spectateurs se méfient d’une telle intrusion et n’osent pas s’asseoir devant, par peur de ne pas voir le spectacle. Là-dessus arrive Elisabeth Bakambamba Tambwe en Eve noire. Mais avant de commencer, il faut rétablir l’ordre sur le plateau! Femme de ménage et soliste à la fois, elle va donc virer tout ce jardin d’Eden, non sans pester contre sa patronne chorégraphe.

 

 

 

La véritable star est ici le costume, réversible et extensible à souhait.  Ce labyrinthe change de forme, de couleurs et d’univers sans qu’il soit nécessaire d’enlever une seule pièce.  L’ingénierie se double d’ingéniosité. Les tentes finissent sur le plateau, voir sur le corps d’Elisabeth. Au gré des transformations, Tambwe devient Eve, danseuse de revue ou chanteuse de soul ou de blues. Mais Colette Magny ou autres ne passent qu’en play-back, et c’est dommage. Robyn Orlin n’a-t-elle pas déjà travaillé avec des chanteuses hors pair? Enfin, quand les tentes deviennent accessoires et même costumes, on ne peut s’empêcher de penser à un spectacle autrement plus dramatique, Letters from tentland  d’Helena Waldmann, qui explore la situation de la femme en islam, créé à Téhéran. Car « tchador » signifie « tente ». Dans ce monde-là il faut des couilles, en effet, pour être une femme. La tente, une symbolique à tiroirs…

 

 

Dans le second solo, Eric Languet, en Adam déchu, amène inévitablement le débat sur les rapports hommes-femmes. Il couvre d’une fine couche de dérision les titres d’Orlin « que personne ne comprend jamais » et la thématique du spectacle. Lui aussi, aime la métamorphose. En tutu, il monte sur pointes. Danseur classique authentique, il maîtrise ses gammes. Mais il ne se refuse pas aux jeux habituels avec le public. Pas de chance: ces galipettes commencent à sonner creux, telles des  bouteilles en plastique vides.  Ces vannes-là sont à réinventer d’urgence , comme chacun de ces déjà-vu, ces méta-gags qu’on n’apprécie qu’à condition de les voir pour la première fois ou bien en leur inventant un fantomatique troisième degré. Paroles, vidéos etc. sont ici aussi bavards que d’habitude, même si par moments Orlin semble retrouver une inspiration plus profonde, qui lui faisait défaut, dernièrement.

Orlin, c’est le repackaging permanent. Et l’on comprend ici que ses spectacles aussi sont des chenilles qui ne cessent de se retourner avec toujours les mêmes éléments. Aussi, le costume de Tambwe incarne toute l’agitation et toute l’immobilité des Robinsonades. Languet ne s’y attendait pas, et ça lui tombe dans la gueule. Terrorisé par le retour d’Eve il meurt, une pomme dans la bouche. A l’avenir, dit Elisabeth, nous mangerons tous des chenilles. Avec ou sans couilles? Et Robyn sera toujours Robyn. Alors certes, chacune de ses créations inclut une autocritique. Mais ça amène quoi?

Thomas Hahn

Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne, novembre 2013

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