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Mathilde Froustey, une française au San Francisco Ballet

Mathilde Froustey était Sujet au Ballet de l'Opéra de Paris. À 28 ans, elle était une soliste phare de la compagnie, aimée du public, programmée dans des rôles de soliste, mais jamais appréciée à son juste talent au sein de la compagnie. Repérée par Youri Grigorovitch pour danser Anastasia dans Ivan le Terrible à l'Opéra de Paris, à l'âge de 17 ans, elle a ensuite alterné des rôles de solistes et l'anonymat du Corps de ballet. Restée onze ans sujet, elle a décidé de faire le grand saut et de traverser l'Atlantique et les États-Unis, direction San Francisco. Où se trouve l'une des meilleurs compagnies américaines, la plus ancienne d'ailleurs (fondée en 1933), dirigée depuis 1985 par le talentueux Helgi Tomasson. Invitée au Théâtre du Châtelet dans le cadre des Étés de la Danse, la compagnie américaine a pu montrer toute son énergie créatrice, avec, dans ses bagages, une revenante sur une scène parisienne. Rencontre avec une danseuse heureuse, dans les coulisses du Châtelet.

Vous êtes arrivée à San Francisco il y a tout juste un an. Qu'est-ce qui fût le plus difficile pour vous?

Mathilde Froustey : Tout. J'arrivais dans un nouveau pays, une nouvelle ville, avec une nouvelle langue, une nouvelle compagnie. Je n'avais pas d'appartement, il fallait trouver un logement, des lits, des tables, des chaises... J'ai eu l'impression de tout recommencer à zéro et de m'installer comme lorsque j'ai eu 16 ans... À la différence près que je ne connaissais personne, ce qui n'était pas le cas lorsque je suis entrée à l'Opéra. Je ne cacherais pas que les premiers mois ont été durs. D'autant que j'ai commencé à travailler avec la compagnie dès le lendemain de mon arrivée...

Quel est le rythme de travail , au San Francisco Ballet?

M.F. : C'est très particulier et complètement différent de l'Opéra de Paris. Nous répétons les ballets pendant cinq mois, de juillet à novembre, sans avoir aucun spectacle, puis nous enchaînons les représentations de janvier à juillet, en dansant presque tous les soirs, avec matinées et soirées le week-end. Voire même deux spectacles par jour toute la semaine lorsque nous dansons Casse-Noisette à partir de fin novembre. À l'Opéra de Paris, on fait des séries de spectacles. On les répète, on les danse dans la foulée, et on en a fini. Ici, on répète tout en même temps, pour ne danser cette vingtaine de ballets que bien plus tard. C'est très curieux, comme méthode. Mais cela permet aussi de digérer les ballets, d 'y revenir régulièrement, librement. Pour cette première saison où j'avais tout à apprendre, j'ai travaillé souvent seule, en studio voire même chez moi, en poussant les meubles dans le salon...

À quoi ressemble la journée type d'un danseur, au San Francisco Ballet?
M.F. : Le cours qui dure 1h30 commence à 10h, avec une technique très proche de l'Opéra. Très propre , avec un travail de pied important. Helgi Tomasson donne souvent le cours lui-même. Puis, lorsqu'il n'y a pas de spectacle, nous répétons de 11h30 à 19h. S'il y a spectacle le soir, nous arrêtons les répétitions à 15h. Chaque répétition dure une heure seulement (contre 2h30 à l'Opéra). Et cela change tout. Car il n'y a pas  de temps pour douter, parlementer, se chauffer... On doit arriver aux répétitions en connaissant au maximum les ballets , et l'on ne discute jamais. Tout va très vite, on travaille un ballet différent toutes les heures. Cela oblige à être tout de suite opérationnel, à s'être chauffé avant, à s'être préparé en apprenant les ballets sur vidéo, notamment. C'est tout un rythme de travail qui diffère lorsqu'on arrive ici...
DCH : Aimez-vous ce rythme-là, précisément?
M.F. : Au début, c'est très étonnant. On est inquiet à l'idée d'apprendre un ballet qu'on ne dansera que dans six mois... Mais ce qui est extrêmement plaisant, c'est justement cette vitesse dans le rythme de travail. Il y a beaucoup moins de temps qu'à l'Opéra pour répéter les programmes à l'affiche. Alors, il faut faire confiance à son instinct. On n'est pas prête? Tant pis, il n'y a plus le choix; Et en cela, Helgi Tomasson st formidable, car il vous fait confiance, et vous aide à avoir confiance. Moi, qui suis restée 11 ans Sujet à l'Opéra et qui avais de quoi douter, il m'a dit : « Danse comme tu es. C'est ta manière de danser à toi, qui m'intéresse ». Et ça, c'est très nouveau pour moi ! A l'Opéra, je ne savais plus comment il fallait que je danse pour que ça fonctionne. Qui  fallait-il écouter? Que fallait-il changer dans ma danse ? Ici, j'ai compris qu'il fallait que je sois moi-même, et c'est une vraie libération. Je perçois, d'ailleurs, à quel point je me sens bien plus libre quand je danse. Plus légère et beaucoup plus heureuse en scène. D'ailleurs, j'ai beaucoup dansé cette saison, et je ne me suis jamais blessée, ce qui est un signe.

Quel est le suivi des danseurs, d'un point de vue médical ?

M.F. : Il est exceptionnel. Nous avons des masseurs, des kinés, des médecins du sport qui viennent tous les jours, nous bénéficions d'une piscine de récupération, un spa, de la musculation, du gyrotonic (que l'on va faire dans les locaux du Lines Ballet d'Alonso King)... Là aussi, c'était inédit pour moi, car il n'y a pas toutes ces possibilités à l'Opéra de Paris.

DCH : Abordons le répertoire du San Francisco Ballet et dont les Étés de la Danse nous ont donné une image assez large. Il est très circonscrit aux grands ballets du répertoire et aux courts ballets néo-classique des chorégraphes connus du XXe siècle ou d'aujourd'hui. On retrouve Balanchine, Ashton, Robbins, Mac Millan, Neumeier, Forsythe, Lifar, Ratmansky, Possokhov, Wheeldon... C'est un répertoire plutôt uniforme.

M.F. : Oui, c'est vrai que le vocabulaire est résolument classique et que les filles seront toujours sur pointes. C'est le choix d'Helgi Tomasson, ses goûts, et sans doute aussi, celui du public américain. Il n'y a pas ce grand écart que fait l'Opéra, où l'on propose une palette de styles très large allant de Noureev à Pina Bausch. Peu-être cela va-t-il me manquer? Peut-être aurai-je envie de retrouver ce contact avec le sol qui est le contraire de ce répertoire ? Je ne sais pas encore. Mais ce qui est vrai, c'est que même à l'Opéra, j'étais surtout une danseuse classique. On m'a peu programmée dans des créations contemporaines.

Ce qui est frappant également, en voyant les spectacles donnés au Châtelet, c'est l'unité de la compagnie. Alors que les danseurs viennent du monde entier (sur 20 principals, seules deux sont américaines) , et d'écoles très diverses. Comment l'expliquez-vous?

M.F. : Je ne suis pas tout à fait sûre que nous dansions tous de la même façon. Maria Kochetkova (la russe, qui est la star de la compagnie) , Yuan Yuan Tan (qui est chinoise) ou Lorena Feijoo (qui vient de Cuba) dansent différemment un même ballet. Mais c'est la force d'Helgi Tomasson et de ces danseuses de s'adapter au style de la chorégraphie. Il me semble qu'au niveau des solistes, Helgi choisit des personnalités, avant de choisir des danseurs censés servir un style ou une école.

Quelles relations avez-vous développé avec les danseurs de la compagnie?

M.F. : Elles sont très bonnes et surtout très faciles. A l'Opéra, nous sommes en famille, depuis notre enfance, avec tout ce que cela implique d'amours et de haines, de barrières qui tombent tellement nous sommes familiers les uns aux autres. Ici, ce sont des amis, qui ont eu des passés différents. A l'Opéra, il y a une histoire, un passé parfois pesant. On vit dans de la pierre, alors qu'ici, c'est de la pâte, c'est plus malléable. À San Francisco, il n'y a pas non plus de cérémonial entre principals et Corps de ballet. Et les garçons sont tous d'excellents partenaires. Il faut dire qu'Helgi Tomasson est très dur avec eux, davantage qu'avec les filles. Car un mauvais partenariat, cela ne pardonne pas dans du Balanchine, Et Helgi a longtemps dansé au New York City Ballet.

Le rapport avec le public américain est-il également très différent?

M.F. : Absolument. À San Francisco, comme ailleurs aux États-Unis, on n'a pas peur d'être fan. De manifester son admiration, de dire qu'on a aimé le spectacle, le costume, la robe que vous portez... Il y a une relation très directe avec les spectateurs, qui se décline aussi à travers les rencontres avec le public qui ont lieu juste avant le spectacle, ou le blog des danseurs, que nous sommes invités à alimenter.

Avez-vous des obligations contractuelles avec les mécènes du Ballet, par exemple?

M.F. : Non, pas spécialement. Mais il est évident que lorsqu'il y a des dîners avec les donateurs, il faut y aller. Les Américains ont un rapport très sain et simple avec l'argent. En France, les artistes préfèrent se tenir à distance des mécènes. Ici, on vient leur dire merci. Car on sait que sans eux, rien ne pourrait continuer.

Revenons à l'Opéra de Paris. Dans le fond, pourquoi en êtes-vous partie en prenant une année sabbatique que vous prolongez aujourd'hui d'un an de congé sans solde ?

M.F. : Mes dernières années à l'Opéra étaient assez tristes. Rester onze ans au grade de sujet, rater tous mes concours, voire même ne pas être classée, alors que Brigitte Lefèvre me donnait, dans le même temps, des rôles d'étoile (Don Quichotte, La Bayadère, la Fille mal gardée) appréciés du public a quelque chose de très déstabilisant. Il y avait aussi cet héritage pesant de la « Génération Noureev » à laquelle les filles de mon âge n'appartiendront jamais. Comme je vous l'ai dit, je ne savais plus quoi faire pour être reconnue dans mon travail et promue. J'ai contacté Helgi en janvier 2013 et j'ai rapidement mis Brigitte Lefèvre au courant. Les danseurs étaient très surpris que je parte ainsi. L'aurais-je fait si j'avais été étoile ? Peut-être pas, mais je ne peux pas vraiment répondre à cela.

Vous êtes partie avant d'apprendre la nomination de Benjamin Millepied. Regrettez-vous de ne pas être là pour sa première saison ? Vous risquez ainsi de ne pas être « indispensable » à ses yeux pour la compagnie, non?

M.F. : Je ne sais pas. J'ai de très bonnes relations avec lui. Il est bordelais, comme moi ! Je lui en avais parlé et je l'ai vu, bien sûr, pour prolonger mon congé. Il m'a beaucoup encouragée, donné des conseils, des adresses. Il sait ce que c'est de quitter son pays et de partir aux États-Unis. Il m'a dit : « Profite, danse, apprends, voyage ! » Donc, je crois, au contraire, que cette expérience est positive, à ses yeux. Et que pour l'heure, la saison qui arrive n'est pas vraiment la sienne, puisqu'il n'en a pas fait la programmation.

Son arrivée, l'ambiance différente qui va y régner, pourraient-elles vous faire revenir?

M.F. : J'ai vu la compagnie danser sa création, Daphnis et Chloé , j'étais très excitée de les voir si énergiques, si contents. On sent qu'il y a une vague de renouveau, de fraîcheur. Peut-être aurais-je envie d'en profiter ? Peut-être que Noureev, qui est notre petit-déjeuner à tous, va me manquer ? Je suis ouverte, à l'écoute de ce qui se passe à l'Opéra, bien sûr !

L'Opéra vous a demandé en urgence de venir danser Don Quichotte au Japon ce printemps, faute de danseuses pour le faire. C'est assez cocasse, non?

M.F. : Non, c'était juste qu'il n'était plus possible d'apprendre le rôle à de nouvelles danseuses, dix jours avant. Vous n'imaginez pas le bonheur que cela a été pour moi. Danser Kitri, mon rôle fétiche, avec Matthias Heymann que j'admire, et avec l'Opéra de Paris, en tournée au Japon ! C'était un moment formidable, pour moi.

Les danseurs français ont -ils eu l'impression que votre danse avait changé?

M.F. : Ils ont trouvé que je sautais plus haut et surtout, que j'étais heureuse et épanouie.

Depuis votre arrivée à San Francisco, avez-vous eu le temps pour autre chose que la danse?

M.F. : J'ai fait beaucoup de tourisme. J'ai acheté une moto et la nature environnante est toute proche et magnifique... Et puis, je passe pas mal de temps, je l'avoue, sur les réseaux sociaux. Je n'ai jamais eu autant de relations directes avec mes parents et mes amis, en étant à des milliers de kilomètres...

 

Propos recueillis par Ariane Dollfus

 

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