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Entretien Christian Rizzo

À l'occasion de sa nomination à la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc Roussillon le 28 octobre dernier, nous avons rencontré Christian Rizzo qui a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions.

DanserCanalHistorique : Christian Rizzo vous venez d’être nommé directeur artistique du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc Roussillon. Quelles sont vos premières réactions ?

Christian Rizzo : Je suis surtout ému. Ému que mon travail arrive à être entendu, car ça fait un moment que j’avais envie de me lancer dans une aventure autre que rester compagnie Indépendante – c’est-à-dire très dépendante des subsides qu’elle reçoit – et je suis conscient qu’il faut maintenant relever nos manches. Mais je crois que c’est justement ce qui m’émeut le plus, cette conscience du travail à accomplir. Sans doute parce que le travail est une valeur fondamentale pour moi.

DCH : Votre projet pour le CCN porte le nom d’Institut Chorégraphique International qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Christian Rizzo : Au départ c’est surtout l’acronyme ICI qui a été le déclencheur. Mais surtout, j’avais envie que le lieu et la pratique deviennent un territoire. D’où le nom ICI. J’aimais l’idée de l’Institut où on montre et on partage ce qu’on fait. International car on ne peut aujourd’hui, l’éviter. Il faut au contraire repenser les territoires comme des cercles concentriques. L’international n’est plus au loin, nous sommes inclus dans un seul et même territoire. Le Centre chorégraphique est déjà international de l’intérieur, il reçoit des artistes de tous horizons, mais de plus, j’imagine très bien faire des interventions très « locales » au Japon. Pour moi, ICI c’est à la fois les fondations et la toiture, les deux sont indispensables et même pourraient permuter, selon moi. J’aime me placer au milieu de paradoxes pour pouvoir réfléchir plus librement. L’institut c’est donc la mise en œuvre d’une pensée et d’une pratique qui sont indissociables. C’est pourquoi je l’ai appelé ICI, car où que je sois, ce sera ICI. Par exemple, j’ai très envie de m’attaquer à des endroits très ruraux. Je vais souvent dans l’Aveyron ou le bas du Larzac, ce sont des lieux que j’ai envie d’investir pour réfléchir le travail que l’on fait aujourd’hui. J’ai une vraie demande, un vrai désir par rapport à ça. Il faut interroger le rural et le virtuel d’un même mouvement, car le geste chorégraphique peut se trouver et se penser partout.

Il ne faut pas rester sur des territoires prédéterminés – ou tout du moins, tels qu’ils sont encore présentés par les institutions (local, national, international ou création, diffusion, sensibilisation, par exemple) – je préfère tout prendre à bras le corps et voir comment ça résonne chez moi. Je préfère être un peu hors normes, du coup, ça devient très réjouissant, on peut aller bien plus loin que les cadres qui nous sont proposés.

DCH : Arrivez-vous avec votre équipe ?

Christian Rizzo : J’arrive avec Cornelia Albrecht (ex administratrice générale du Ballet de Marseille, et de la compagnie de Pina Bausch, le Tanztheater de Wuppertal NDLR) et je garde toute l’équipe du CCN en place. Je les connais et ils ont fait un travail formidable et remarquable. C’est, de plus, une équipe en état de marche et je ne vois pas pourquoi je m’en priverai, d’autant que c’est en pensant à eux que j’ai écrit mon projet.

DCH : Et pour les danseurs ?

Christian Rizzo : Pour l’instant, je ne suis pas encore entré dans cette problématique. Peut-être que la question d’une présence artistique permanente pourrait voir le jour, mais, en tout cas, ce n’était pas mon premier souci.

J’ai un projet de terrain à mettre en œuvre. Bien sûr, je tiens à fidéliser les artistes avec lesquels je travaille, mais je voudrais également rencontrer tous les danseurs de la région, qui sont nombreux et ont une expertise de terrain. J’espère voir ce lieu traversé par les gens qui font la danse.

DCH : Cette orientation était-elle inscrite dans le projet que vous avez défendu ?

Christian Rizzo : J’avais effectivement inscrit cela dans le projet mais de façon très simple. Ce que j’ai intitulé l’Académie expérimentale est là pour réunir toutes les resources du CCN. Je ne compte pas en faire l’outil d’un chorégraphe unique, mais au contraire, en tant que directeur artistique j’ai envie d’irriguer des pistes, de lancer des hypothèeses, mais j’ai aussi envie de me faire traverser par d’autres idées, points de vue…

Maintenant, j’attends de voir comment on peut mener à bien ce projet. Je viens d’une famille de maçon et de carreleurs, donc poser des briques, ça m’importe.

DCH : Vous avez conçu ICI autour d’une « Académie expérimentale » et d’un « Caravansérail » pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Christian Rizzo : Donc l’Académie expérimentale regroupe toute la production du savoir, la création – y compris celle des artistes invités résidents dont ceux d’ex.e.r.ce, bref toute la fabrication et la mise en hypothèse du champ chorégraphique et de ses satellites.

Le Caravansérail est le partage de ces savoirs. C’est-à-dire comment on met en place des chambres d’écho innovantes avec les artistes associés. Cela concerne tout ce qui est éducation artistique, programmation, expositions, débats… dans le but de donner accès le plus large possible à ce savoir, qu’il s’agisse de ceux pour qui cet accès est difficile, ou que ce soit ceux qui ne participent pas à ce volet du projet. C’est donc un trait d’union entre les artistes et le public, un dialogue qui se noue, de quelque ordre qu’il soit.

J’ai aussi très envie de monter quelque chose autour de l’image. C’est un domaine qui me passionne… En fait, mon modèle c’est le Bauhaus.

DCH : Et puis vous voulez imaginer un CCN 2.0 ; que recouvre ce terme ?

Christian Rizzo : En fait, c’est mon expérience d’enseignant au Fresnoy et mon travail avec les images digitales, notamment avec Iuan-Hau Chiang, un artiste taïwannais, qui m’a lancé sur cette voie. Cela dit, il ne s’agit pas de se jeter sur les nouveaux outils mais d’ouvrir un chantier prospectif pour réfléchir à la place de la création à l’ère du numérique. Quels sont les outils numériques nécessaires au regard de la pensée ? En a-t-on besoin ? Aujourd’hui, la plupart des chorégraphes font leurs recherches sur You Tube, ce qui en accélère la diffusion. C'est un flux très rapide, en direct qui se croise avec le phénomène air du temps. Ça donne des choses curieuses. Par exemple, en ce moment, il existe un flot très important de danses folkloriques de toutes sortes. Du coup, les chorégraphes qui travaillent à partir de ces "world danses" pullulent. Ce qui est fou, c’est la preuve que tout le monde regarde les mêmes vidéos, et que celles-ci deviennent un « starter » pour la création. Mon souci c’est de ne pas entrer dans ces productions de flux où les repères se dissolvent. C’est pourquoi je voudrais créer une plate-forme en open source où on archiverait tout ce qui se passe au CCN pour que chacun puisse venir y puiser. C’est une nouvelle façon peut-être d’imaginer les outils de transmission.

DCH : On constate aussi une certaine méfiance face à cette révolution numérique...

Christian Rizzo : Cela ouvre la question des réseaux sur Internet. Comment l’information circule… C’est un nouveau champ d’écriture, de diffusion et de production qui apparaît. Il déplace certaines problématiques, notamment ce que j’appelerai « le retour sur investissement narcissique » qui est le propre du spectacle vivant. Internet apporte un système de pensée différent, pour autant, il ne peut se substituer à l’expérience du spectacle en direct.

Mais le numérique est une nouvelle « niche » très riche à exploiter, particulièrement si ICI prend l’initiative de rassembler autour d’une table sur ce sujet la Gaîté Lyrique, le Fresnoy, le CDN de Rodrigo Garcia et le théâtre universitaire de La Vignette. Ça peut nous permettre de réfléchir sur les modalités de pensée à mettre au travail avant de se jeter sur les outils.

DCH : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser autant au numérique ?

Christian Rizzo : J’ai eu la chance de faire des expériences digitalisées à Taipei et force est de constater que ça ouvre des perspectives, je ne sais pas encore vraiment lesquelles, mais je suis certain que ça déplie des possibilités d’écriture et ça peut entrer en résonnance avec ma pratique. C’est un nouveau territoire qui suscite de la méfiance car tout le monde le prend comme un espace de diffusion. Mais c’est aussi un transmetteur et non un simple récepteur.

Mon projet de plate-forme numérique s’appelle d’ailleurs Copyleft. Car dans les échanges et le partage liés à Internet, la question de la paternité de l’œuvre devient peu importante.

DCH : Avez-vous commencé à tisser des liens avec Montpellier Danse et comment vous situez-vous face à cet autre pôle chorégraphique avec lequel vous partagez les bâtiments ?

Christian Rizzo : J’ai parlé avec Jean-Paul Montanari, bien avant d’ailleurs que ma nomination n’intervienne et ce serait dommage que nous n’arrivions pas à trouver des points de rencontre. Je suis sûr qu’il y a de nombreux artistes que nous aimons et nous pourrions tout à fait construire quelque chose de commun autour de la présence de ces artistes. Nous avons un dialogue à avoir, mais où que j’ai pu aller – et j’ai déménagé trente fois dans ma vie – j’ai toujours eu de bons rapports avec mes voisins. De plus j’arrive dans une région que je connais encore assez peu, je suis dans l’optique d’une très grande ouverture esthétique. J’espère que le CCN puisse être « circulé » par des écritures très différentes et non le repère d’un certain courant ou d’une certaine conception de la danse. Je souhaite rencontrer des artistes très éloignés de moi justement pour continuer à m’enrichir par un dialogue. Que ce soit avec Montpellier Danse, Rodrigo Garcia, ou le théâtre de la Vignette. Il faut pouvoir inventer ensemble des pensées fortes, des programmations de toutes sortes qui se diffractent dans l’espace. Je pense, j’espère qu’on pourra rester dans une circulation comme pour un organisme où chaque organe joue un rôle dans l’ensemble mais a ses propres fonctions.

DCH : Vous allez quitter un long compagnonnage avec la ville de Lille…

 Christian Rizzo :C’est aussi pour moi l’opportunité de revenir dans le Sud. Montpellier se situe dans une région tranfrontalière, avec l’Espagne, même si les liens sont un peu distants, mais aussi avec la Méditerrannée, incluse d’ailleurs dans mon projet. Mais l’autre frontière se situe pour moi dans le rapport avec le Nord, avec Lille notamment, où j’aimerais garder suffisamment d’attaches pour créer un pôle Nord-Sud. Car, sur le point de partir, je regarde avec émotion tout ce que nous avons pu faire à Lille.

DCH : Le CCN de Montpellier de par son histoire et de par sa taille est un enjeu de taille, comment vous sentez-vous face à cela ?

Je suis très content de cette nomination. Mathilde Monnier, et Dominique Bagouet avant elle, ont fait un énorme travail et je suis vraiment heureux de m’inscrire dans cette lignée, dans cette histoire dont je suis presque obligé d’écrire un nouvel épisode. C’est à la fois fascinant et désarmant. Du coup il faut faire face à la nécessité d’être ancré encore plus Mais c’est aussi la chance de pouvoir sortir de soi, et c’est réjouissant de devoir se construire à travers une extériorité. C’est un lieu qui invite au travail. J’ai reçu depuis de nombreux appels, notamment de danseurs qui sont le plus souvent dans l’ombre de notre profession et ça m’a fait plaisir. Comme lorsque trois d’entre eux m’ont choisi pour trois Vifs du Sujet. C’est comme des retours d’affection.

Propos recueillis par Agnès Izrine

En savoir plus sur Christian Rizzo :

http://dansercanalhistorique.com/2014/10/28/christian-rizzo/

http://dansercanalhistorique.com/2013/07/19/rizzo-fait-le-buzz-en-avignon/

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