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Entretien avec Akaji Maro

À l'occasion de la venue exceptionnelle d'Akaji Maro à Paris, Aya Soejma a réalisé un entretien avec l'un des plus grands maîtres du butô, directeur et fondateur de la compagnie Dairakudakan que l'on pourra voir à la Maison de la Culture du Japon du 14 au 30 novembre prochains.

Akaji Maro @G. Cloarec

Entretien avec Akaji Maro

En général, dans vos pièces, vous composez des tableaux chorégraphiques avec des groupes de danseurs plus ou moins importants dans lesquels vous apparaissez par moments, telle une créature surnaturelle. Dans Symphonie M vous enchaînez des tableaux solos du début à la fin. Où placez-vous ce registre dans votre travail ?
Je crée une fois tous les trois ans ce genre de pièce solo et à chaque fois c’est un véritable défi. C’est une façon pour moi de vérifier l’état de mon corps et de constater mes limites.  Je ressens une certaine excitation masochiste car je m’expose aux regards des spectateurs pendant tout le spectacle et ces regards ne sont pas forcément bienveillants. Je teste ainsi jusqu’où je peux m’exposer.
Le travail du solo me demande aussi d’atténuer la frontière entre l’acteur et le danseur. Dans un solo, je fais ressortir davantage mon côté acteur, je navigue sur la scène entre le théâtre et la danse.

C’est vrai que vous êtes un danseur particulièrement proche du milieu du théâtre.  Vous avez été une grande figure du théâtre underground dans les années 60 et aujourd’huivous continuez à jouer au cinéma. Comment s’est passé ce passage du théâtre à la danse ?
Le butô est quelque chose qui n’a pas de forme et qui n’est pas destiné à être décrit. C’est pourquoi, d’ailleurs, on a fait à l’époque un parallèle avec le surréalisme. Je voulais découvrir ce monde mystérieux. Je me suis donc incrusté dans les répétitions de Hijikata pendant trois ans. Il me demandait ce que je comptais faire mais j’hésitais entre le théâtre et la danse. Des fois, je piquais des mouvements chez Hijikata que j’utilisais dans les pièces de théâtre. En imitant le mouvement, on comprend petit à petit d’où il est né. On prend conscience de quelque chose de plus instinctif. C’est comme ça que j’ai glissé vers la danse.

Si le butô n’a pas de forme, pourquoi vous peindre en blanc aujourd’hui ?
Il existe des représentations de butô sans corps peints en blanc.
Pour moi, c’est une façon d’être hors du monde quotidien, c’est aussi une forme de rituel. Il y a aussi le fait que, quand je chorégraphie, je me base déjà sur l’idée que le corps est blanc.  Je ne sais pas si c’est bien ou pas. En se poudrant en blanc, on s’impose une étape de préparation pénible…Ce serait tellement plus simple si on ne le faisait pas !

Akaji Maro

En interprétant les solos, vous arrive-t-il d’oublier où vous êtes, de rentrer dans un état de transe ?
Entrer en transe n’est pas toujours un plus pour interpréter une danse. Sinon, il suffirait de se droguer puis de danser durant son trip.  Le fait de me mettre en scène m’oblige à créer un regard extérieur en moi-même. Interpréter un solo, c’est multiplier ce regard extérieur à l’infini.

Quelle est la relation entre cette pièce et le « Livre des morts tibétain » ?
Ce texte tibétain décrit les états de conscience et les perceptions se succédant pendant la période qui s’étend de la mort à la renaissance. Même si on le lie à une spiritualité, ce livre comprend des passages pragmatiques comme s’il regroupait des expériences accumulées dans l’histoire humaine. On dirait presque un manuel. Il détaille les 49 jours nécessaires pour atteindre la nouvelle vie ou pour sortir du cycle des réincarnations. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est le fait que même après la mort, on est obligé de galérer ! C’est pareil que d’être vivant.
On doit « mourir » de nouveau même après la mort, ce qui veut dire qu’on vit encore après la mort. Même à l’état de cadavre, le corps travaille pour se décomposer. Après, on s’évapore comme un nuage, comme de la brume. Se réincarner n’est pas le but final car on va devoir vivre encore avec un nouveau karma. L’important, c’est de disparaitre.

Akaji Maro

Vers la fin, il y a un passage avec quelques cris impressionnants. Est-ce une image liée à la mort ?
C’est le cri du cygne, mais aussi le souffle qui symbolise la vie. J’ai essayé de trouver une sorte de cri né d’une tempête, d’un vent puissant lié à la vie. La fin du dernier cri représente la mort. Par manque d’oxygène, je suis en réalité au bord de l’évanouissement. Là, je peux dire que je suis en transe.
Le titre du dernier tableau – « Les ténèbres blanches » – est une image que j’aime bien et que j’utilise souvent dans mes spectacles. Le cri est ici important car c’est le seul moyen de mesurer l’espace quand on se retrouve dans un univers immaculé.

Que signifie le « M » dans le titre ? Maro, Mahler ?
Cela peut être aussi Masoch, Mu (le vide), Mad (fou), Man (l’homme)… Comme vous voulez !

De la Symphonie n°5 de Mahler, on connaît surtout le 4mouvement, notamment grâce au film « Mort à Venise ».
Dans la Symphonie n°5 de Mahler, j’aime surtout le premier mouvement, la marche funèbre.  Je ne sais pas pourquoi. On dit que Mahler a composé cette musique en pensant à un lac.  Moi, j’y vois plutôt un fleuve, de l’eau qui coule dans une direction.

Vous dansez équipé d’une oreillette. Vous écoutez cette symphonie de Mahler pendant le spectacle, n’est-ce pas ? Pourquoi ne pas partager entièrement avec le public ce que vous entendez ?
Pendant le spectacle, quand le public entend la symphonie de Mahler, il arrive que je n’aie aucun son à l’oreille ou que je sois en train d’écouter une toute autre musique.
Je ne fais diffuser dans le public que de courts extraits de musique de Mahler et conserve de la place pour le silence. C’est pour éviter que les spectateurs se raccrochent uniquement à cette oeuvre de Mahler. Cette distance avec la musique que le public va ressentir va lui donner l’impression d’entrevoir ce qui se passe à l’intérieur du corps d’un danseur butô. Ce genre de décalage peut générer une fragilité dans la pièce mais il va augmenter la tension dramatique entre le public et moi-même. J’aimerais que le public s’aperçoive que mon corps peut « jouir » ou « se fait torturer » par les sons. Je voudrais aussi qu’une sensation abstraite de cet ordre naisse dans chaque personne du public.

Akaji Maro

Ce solo est accompagné de danseurs. Quel genre de rôle les danseurs de Dairakudakan assument-ils dans cette pièce ?
La honte de présenter les choses sérieusement constitue ce qui me fonde. Bien sûr, je danse sérieusement, mais une partie de moi-même a envie de me moquer de moi-même.  Raconter la mort sur le plateau n’est qu’une fiction finalement. J’ai besoin qu’on me rappelle cela ; la présence des danseurs de la compagnie est donc primordiale.

En dansant devant eux sur le plateau, je leur parle à travers ma danse : « Voilà comment va finir le butô. Que comptez-vous en faire ? » Les garçons sont comme des assistants. Dans le même temps, s’ils me trouvent trop mou, ils sont là pour me booster, pour me dire : « Allez Papy ! Du nerf ! » Pour la version présentée à Paris, je compte ajouter des scènes avec des filles. Peut-être qu’elles participeront avec le rôle de séductrices. On va voir ce que ça va apporter à l’ensemble de la pièce.

J’ai toujours eu conscience que les danseurs ont « la gentillesse de s’amuser avec moi ». Pendant 41 ans, j’ai eu l’impression de jouer comme un gamin sans que la nuit tombe et qu’on l’oblige à arrêter. Et ça n’a pas changé.

Akaji Maro

Entretien réalisé par Aya Soejima

Lire aussi : http://dansercanalhistorique.com/2013/11/10/dairakudakan-a-paris/

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Akaji Maro dans "Symphonie M"

 

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