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« Coup fatal » à Avignon

« Coup fatal » d’Alain Platel, Fabrizio Cassol et Serge Kakudji est un des spectacles qui a fait le « buzz » au festival d’Avignon cette année. À juste titre.

Avec une énergie à tout casser, la bande de treize musiciens de Kinshasa débarque sur la scène de la Cour lycée Saint-Joseph. Ils brandissent des chaises en plastique bleu, emblématiques, car identiques à celles mises à disposition par le gouvernement lors des festivités organisées pour les 50 ans de la République du Congo… Les spectateurs les avaient emportées, les considérant comme un cadeau de Kabila.

Très vite, sous la direction du guitariste Rodriguez Vangama, les voilà lancés dans une folle rumba, avec intruments éléctrifiés (y compris les Likembe, ces petits instruments à lamelles métalliques) avant que la voix extraordinaire de Serge Kakudji ne s’élève et ne fasse virer ce concert africain aux airs baroques, mais toujours avec une « pêche d’enfer » !

Galerie photo Laurent Philippe

Il a fallu la réunion de quatre artistes pour mettre en place ce spectacle exceptionnel. L’aventure commence en 2008 lrosque Fabrizio Cassol, compositeur du groupe Aka Moon et collaborateur régulier d’Alain Platel (mais aussi d’Anne Teresa de Keersmaeker, du groupe Ictus ou de TG Stan) découvre Serge Kakudji à Kinshasa. Le heune homme n’a alors que dix-sept ans, mais sa voix de contre-ténor impressionne déjà. Fabrizio Cassol et Alain Platel lui proposent de rejoindre l’équipe de Pitié ! Il poursuivra ensuite son apprentissage du chant au KVS (théâtre royal flamand de Bruxelles) grâce à un programme d’échange avec la RDC. Paul Kerstens, coordinnateur du projet organise ensuite à Kinshasa des rencontres avec des musiciens venus d’horizons différents (Traditionnel, jazz, danse populaire) à Kinshasa et le guiratriste Rodriguez Vangana prend la direction musicale de ce groupe, tandis que Serge Kakudji choisit des arias baroques. Après une première présentation à Kinshasa, Fabrizio Cassol et Alain Platel commencent à songer à ce futur Coup Fatal.

Et pour un Coup, c’est un coup de maître. Il est vrai qu’Alain Platel nous a prouvé depuis Stabat Mater (1984) ou Lets Op Bach (1998) qu’il est un virtuose des amalgames entre le baroque et le contemporain. Une veine qu’il a poursuivi avec Fabrizio Cassol notamment pour VSPRS (2006), et Pitié (2008)!. Mais la force de Coup fatal, est de se dégager d’une sorte de métissage « world music » comme l’avait fait en son temps Hugues de Courson (LambarenaMozart l'Égyptien...), pour créer un vrai spectacle africain qui semble s’être approprié depuis longtemps la musique du XVIIIe siècle européen pour l’intégrer tout en finesse. Au fond, ces deux styles sont les rois de la polyphonie vocale, il ne restait qu’à tisser les bons liens. Quand Serge Kadudji chante Bach ou Haendel, il y a toujours deux ou trois voix africaines qui se superposent et déplacent le « groove » sans jamais l’annuler. Le tout forme un nouveau style musical qui n’appartient plus qu’à ceux qui la font. On aurait tort d’être étonnés, la mondialisation est arrivée depuis longtemps en Afrique, et les « standards » africains – notamment la rumba – utilisent presque depuis toujours des apports glanés ça et là. Et l’électrification des instruments en porte aussi la marque.

Galerie photo Laurent Philippe

On retrouve donc des tubes baroques : cantates de Bach, air d’Eurydice de Gluck, Lascia ch'io pianga de Rinaldo d’Haendel, ou le  Stabat Mater de Pergolese, ou des arias de Monteverdi orchestrés merveilleusement par les kinois, soit par le groupe dans son ensemble, soit par des instruments traditionnels solistes comme un xylophone ou de balaphone (balafon électrique) et percussions, chantés par Serge Kakudji. Vite qualifié de contre-ténor, le plus étonnant est sans doute son amplitude de tessiture, qui le fait commencer en contre-ténor et finir en baryton basse. Jeux de scène, danse qui jaillit spontanément de la musique, ou s’élève en silence, ponctuations et apostrophes rythment ce spectacle qui respire la joie de vivre. La longue séquence sur la chanson de Nina Simone « To be young, gifted, and black » est un vrai bonheur d’énergie et d’équilibre qui laisse sourdre une émotion sensible. Si Serge Kadudji y est exceptionnel, mais Russel Tshiebuea et Bule Mpanya qui l’accompagnent le sont tout autant.

Galerie photo de Chris-van der Burght

 

 

 

 

 

 

 

La deuxième partie, qui transforme tout le groupe en « sapeurs » (de la SAPE, Société des ambianceurs et des personnes élégantes) est un vrai pied de nez à ceux qui voudraient enfermer ce spectacle dans l’admiration baroque, les références à la tradition ou le mélange des deux. Défilant en musique avec des accoutrements aussi improbables que drôles, la patte de Platel s’imprime alors dans ces curieux dandys à l’esthétique très personnelle… qui pourraient au fond, être les cousins un peu éloignés du Voguing.

Bien sûr, ce n’est pas le côté dramatique de Pitié ! ou de Tauberbach mais quelle importance. Pas plus qu’il ne suffit de dénoncer la misère du monde pour faire un bon spectacle (si ce n’est à titre idéologique), le rire ou la comédie n’ont jamais empêché de penser et cette énergie est aussi stratégie de survie. Comme en témoigne peut-être ce rideau fait de douilles de munitions qui sert de décor à Coup fatal.

Agnès Izrine

Du 5 au 8 juillet 2014 - Festival d'Avignon - Cour du Lycée Saint-Joseph

Distribution
D’après une idée de
Serge Kakudji et Paul Kerstens
Un projet de : Serge Kakudji (contre-ténor) et orchestre: Rodriguez Vangama (guitare électrique), Costa Pinto (guitare acoustique), Angou Ingutu (guitare basse), Bouton Kalanda (likembe), Erick Ngoya (likembe), Silva Makengo (likembe), Tister Ikomo (xylophone), Deb’s Bukaka (balaphone), Cé-drick Buya (percussion), Jean-Marie Matoko (percussion), 36 Seke (percussion), Russell Tshiebua (backing vocals), Bule Mpanya (backing vocals)
Direction musicale : Fabrizio Cassol et Rodriguez Vangama
Direction artistique : Alain Platel
Chef d’orchestr : Rodriguez Vangama
Assistance à la direction artistique : Romain Guion
Scénographie : Freddy Tsimba
Éclairages : Carlo Bourguignon
Son : Max Stuurman
Costumes : Dorine Demuynck
Régisseur éclairage : Luc Laroy
Régisseur plateau : Lieven Symaeys
Production KVS & les ballets C de la B

Tournée (plus de 80 dates) voir ici : http://www.lesballetscdela.be/#/fr/projects/productions/coup-fatal/playlist/

 

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