Douze ans après avoir signé sa première chorégraphie, Olivier Dubois revient sur son parcours exceptionnel d’interprète et explore les recoins intimes de la mémoire du corps, tel un réceptacle d’une histoire de la danse. Le festival Everybody a eu la bonne idée de reprendre cette pièce créée en 2018.
Il a porté plus de soixante œuvres, notamment des plus grands chorégraphes, il connaît la danse contemporaine – et même classique – sous toutes ses coutures. Même les plus invisibles et parfois les moins reluisantes. Mais surtout, il connaît mieux que personne le paradoxe du danseur qui consiste en être et avoir un corps, et savoir transformer celui-ci en œuvre d’art éphémère. Le voilà seul sur scène. En costard chic, clope et coupe de champagne à la main, costume rappelant L’Homme de l’Atlantique, une de ses pièces datant de 2010, il énonce les règles d’un jeu étrange. Autour de lui, les spectateurs sont assis. Trois d’entre eux sont appelés à le rejoindre pour choisir deux enveloppes, c’est le titre de l’extrait d’une des pièces qui ont parsemé sa carrière qu’il doit interpréter, et une musique venant du même fonds donc potentiellement d’une autre pièce. Mais le spectateur choisi a le droit de demander la musique originelle. Et le troisième ? Une fois l’extrait dansé sur le plateau, il doit choisir la pièce – mais de vêtement cette fois ! – que Dubois doit enlever.
Galerie photo © Laurent Philippe
Et le spectacle est tout à fait passionnant. Non seulement parce que Olivier Dubois est un interprète littéralement époustouflant, capable de passer d’une œuvre à l’autre avec une maestria invraisemblable, tant dans le style de l’auteur, que de ses capacités techniques incroyables qui l’autorisent à affronter toutes sortes de gestuelles qui parfois même se contredisent corporellement parlant, tant dans sa facilité à faire émerger dans son interprétation la part la plus profonde de sa physicalité que de sa personnalité très singulière.Tant dans sa façon de se couler dans un rôle « à contre-emploi » que dans sa faculté à retenir dans son esprit et son corps l’étendue de ce catalogue insensé. Mais surtout, son génie tient à entrer et sortir de ces rôles successifs pour en endosser un autre : celui d’une masculinité sur le fil qui, à la fois affiche les atours du mâle dominant (costard, champagne et cigarette qu’il offre aux spectateurs) tout en se mettant à nu et en devenant à chaque « variation » de plus en plus fragile, ne serait-ce que par l’effort fourni, mais aussi se précipitant dans une zone où les genres n’ont plus aucune importance car les rassemblant tous.
L’autre atout de ce spectacle étant le récit irremplaçable des circonstances de la création, les anecdotes, les paroles pleines d’esprit, qu’il pose sur ce qu’il danse et qui le transforme en médium, en passeur, de la danse elle-même.
En ce qui nous concerne, nous avons vu successivement On n’épouse pas les Méduses d’Angelin Preljocaj (1999), Peplum de Nasser Martin-Gousset (2007), Dragon avec Céline Dion et le Cirque du Soleil à Las Vegas, Je suis sang de Jan Fabre (recréation 2005) et L’Histoire des Larmes (2005) et pour finir en beauté, sa reprise, qui a priori tiendrait de l’improbable, mais il faut toujours se méfier de ses a priori, de l’extraordinaire In the Middle Somewhat Elevated de William Forsythe qu’il danse d’une façon formidable. Qui d’autre que lui pourrait afficher un tel palmarès ? À la question – ou plutôt la confession – que lui demande une personne du public, à savoir « quelle pièce avez-vous préféré danser ? » il répond « Je suis sang, justement » étayant sa réponse par une fine analyse de son vécu d’artiste… Avant d’inviter tous les spectateurs à le rejoindre, il revient sous les spotlights avec son manteau de Faune(s), une œuvre étonnante créée en 2008, couvert de paillettes d’Étoile qui fait ses adieux. Impressionnant !
Agnès Izrine
Le 15 février 2025 dans le cadre du festival Everybody