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« Urgence » d' Amala Dianor & Cie HKC

Biennale de la Danse de Lyon : Cinq jeunes danseurs des cités cherchent leur place en république. 

Ils sont cinq, aux gabarits et styles très divers. Ils vivent dans les fameuses cités et en dressent le portrait, par la danse et la parole. En 2015 ils ont participé au projet Babel 8.3  de la Maison de la Danse et ont été repérés pour leur talent particulier dont ils font preuve dans Urgence :  Marwan Kadded, Freddy Madodé, Mohamed Makhlouf, Elliot Oke et Karym Zoubert font voler en éclats toutes les idées reçues sur les banlieues. Généralement, on parle d’eux. Beaucoup. Trop. Mal.

Pour cette édition de la Biennale, la Maison de la Danse a permis à ce quintet de travailler avec Amala Dianor pour une chorégraphie,une fois de plus détonante. Mais la particularité du projet Urgence – qui sera repris à Chaillot Théâtre National de la Danse – est l’association avec HKC, une compagnie de théâtre basée à Chelles et dirigée par Anne Rehbinder (dramaturge) et Antoine Colnot (metteur en scène). Une telle collaboration est rare, car complexe et pleine d’écueils. Pourtant, à l’arrivée, Urgence  affiche, malgré son titre suggérant l’inverse, une maturité qui force le respect. 

Ancré dans le réel

Vivre dans une cité, ça ressemble à quoi ? Pas facile de parler du quotidien dans les cités. Le terrain (de la parole) est miné, les discours sont orientés et biaisés. Mais contrairement aux plans d’urgence décrétés d’en haut et aux pamphlets populistes sur la banlieue, ce quotidien est ici vu par les habitants qui s’expriment, par la danse et par les mots. Et quelle danse, et quels mots ! Chaque geste, chaque figure de break est aussi vraie que leurs paroles et les visages, fiers et défiants. Déterminés.

Parfaitement conscients des enjeux, ils prennent les stéréotypes à bras le corps : « Je sais bien que c’est du cliché, mais les clichés, ça existe. Je suis un gros cliché », dit l’un d’entre eux. Oui, son frère est en prison pour trafic de drogue. Oui, ils vivent dans des appartements pourris. Oui, il y a du bruit et des odeurs. Oui, ils arborent parfois le poing serré. Oui, leurs élans évoquent aussi des affrontements avec les CRS ou entre gangs rivaux. Et plus encore : « On va arrêter de tourner autour du pot »,avertissent les cinq garçons quand ils abordent leurs « pulsions sexuelles », en s’adressant aux filles. 

Des aspirations universelles

Quand leurs pieds balayent le sol de figures de break, on ne voit plus le tapis de danse, mais le bitume. Chaque fibre de leurs corps porte une authentique street energy qui n’est pas acquise en studio de danse mais entre les immeubles. Il leur suffit de se tenir debout, immobiles, et leurs baskets semblent se fondre dans le sol. Quand ils dansent, leur énergie n’est pas celle dite « contagieuse », mais profonde. Une attaque tonique, un sens de la musicalité du geste, une soif véritable d’unissons dans lesquels ils disent leur rêve ultime: « Il faudrait changer le monde, mais alors il faudrait tout changer ».

Le défi ici gagné est celui de la quadrature du cercle (de la breakdance) : éviter tout angélisme, nommer les problèmes et pourtant faire émerger un sentiment optimiste, une confiance en l’avenir. Rien n’est écrit d’avance, tout dépend de la volonté de tous. A commencer par ce spectacle, aussi improbable qu’impressionnant. Et salutaire. Car si les discours sur la banlieue sont clivants, souvent de façon intentionnelle, Urgence est un spectacle qui nomme les mêmes problèmes, sans fard et sans fausse pudeur. Mais il crée la capacité à fédérer les populations et de faire émerger le sentiment qu’entre les centres-villes et les cités, le dialogue est encore possible et que la république n’a pas dit son dernier mot. Rarement un spectacle de danse n’a été aussi nécessaire. 

Thomas Hahn

Vu le 1er juin 2021, espace Albert Camus, Bron

Mise en scène Antoine Colnot
Écriture Anne Rehbinder
Chorégraphe invité Amala Dianor
Musique Olivier Slabiak
Lumières, scénographie Laïs Foulc

Avec Marwan Kadded, Freddy Madodé, Mohamed Makhlouf, Elliot Oke, Karym Zoubert

19Biennale de la Danse de Lyon

Du 24 au 26 juin à Chaillot Théâtre National de la Danse

Le 2 octobre au théâtre de Tarare (Biennale de la Danse)

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