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Tours d’Horizons : Entretien avec Christine Jouve

À l’occasion de la création de Mes yeux voient à la hauteur de racines au festival Tours d’Horizon, nous avons rencontré Christine Jouve, une artiste rare.

Danser Canal Historique : C’est une belle surprise de vous retrouver sur un plateau, ce qui est plutôt rare ces derniers temps…

Christine Jouve : Je ne suis plus interprète, donc on me voit moins. C’est arrivé de manière assez organique, du coup, je me retrouve dans ma région d’origine, à Montpellier.
J’ai eu un enfant, ce qui pousse à rééquilibrer la vie sur les chemins que suppose la vie d’un interprète. J’enseigne, je travaille avec un plasticien, patrickandrédepuis1966. C’est un autre champ de questionnement artistique, une autre vision des choses, d’autres outils de création. J’ai surtout arrêté de chercher, de demander, de prendre des rendez-vous pour faire exister ma compagnie.

DCH : Cela vous semblait-il trop compliqué ? Trop difficile ?

Christine Jouve : Je me suis beaucoup interrogée. Finalement, j’ai pris cette décision car je veux préserver mon goût de la danse, la joie, la liberté de créer que je n’arrive pas à partager avec le travail un peu fou de faire vivre une compagnie. Je préfère laisser les choses se faire avec le terrain. Je reçois une subvention du Conseil Général du Gard. C’est-à-dire un soutien là où ça fait sens et où cela paraît naturel.

DCH : En quoi avoir une compagnie n’est pas naturel ?

Christine Jouve : Nous ne sommes pas formés pour faire face à tout ce que demande l’existence d’une compagnie. En tant qu’artistes, nous avons des projets à mettre sur un plateau. Et soudain, vous vous retrouvez balancé dans des problèmes de production. Nous apprenons tout sur le tas, sans formation aucune. Personne ne nous a dit que ce serait l’essentiel de notre vie. Nous sommes souvent seuls à tirer les ficelles et au final, nous sommes happés par une sorte de machine infernale. Dans ma dernière pièce de groupe, avec des moyens très modestes, nous étions six danseurs et trois techniciens. Il était presque impossible de tourner. Nous ne sommes pas accopagnés. Donc il est difficile d’être une femme porteuse de projet dans ce milieu aujourd’hui. Je me suis sentie violentée. Je ne suis pas dans le pouvoir. Ça ne m’intéresse pas. J’arrive avec un travail artistique, une couleur qui est la mienne, qui travaille le silence, la vulnérabilité, l’espace. Des notions difficiles à faire passer. Du coup, je renonce pour me préserver car on y perd la préciosité du geste artistique. Ici on est dans un système très enclos, très procédurier. On enferme l’acte de création dans des schémas, des formats.

DCH : Du coup, comment arrivez-vous à continer à faire exister votre danse ?

Christine Jouve : Je travaille beaucoup, j’arrive encore à vivre de mon art. Je crois à la puissance de la danse dans cette société, j’y crois même plus que jamais. J’en parle dans des contextes scolaires, auprès des enfants, des amateurs, des collégiens, car à travers elle c’est une liberté d’expression formidable par son geste. La danse est un outil d’émancipation. Je vais aussi dans les écoles d’art. Ça me permet de me nettoyer des années précédentes, laborieuses. Je retrouve la foi absolue que j’ai dans ce métier dans des rapports plus simples. Les enjeux sont ailleurs.

Je fais des solos très simples. Dans des médiathèques par exemple. J’ai des pièces en magasin que personne n’a vues, ce sont des petites formes qui ne coûtent rien à programmer mais les contextes ne se sont pas présentés. Et je suis happée par le fait de devoir vivre de mon métier. Parfois, le téléphone sonne. On me demande si telle ou telle pièce est toujours disponible. Du coup, ça relance un peu un circuit. Mais l’idée de repartir en rendez-vous et le reste…

 

DCH : Mais vous répondez aux sollicitations ?

Christine Jouve : Je vais naturellement là où le téléphone a sonné. Car parfois, on déploie un travail mais on est accueilli pour des raisons tout autres. Dans ce cas, c’est peine perdue. Je préfère trouver les endroits où mon travail entre en résonnance. De ce fait je préfère aller dans des lieux où mon travail sera peut-être moins financé mais plus soutenu dans son fond. Sinon, on devient les otages d’une situation, on entre dans des calculs politiques qui ne me concernent pas et la pièce n’est pas à sa place. Ce fait d’être hors circuit, de rencontrer des publics improbables, des gens qui ne s’attendent pas  à voir ce genre de chorégraphies complique singulièrement les choses. Alors qu’il est facile de donner des clefs pour voir le travail et ça change tout !

 

DCH : Pourtant vous continuez à créer ?

Christine Jouve : Il faut trouver une autre façon de conjuguer son travail. Savoir ce que l’on désire. Moi, j’aime partager. Je fabrique des formes avec patrickandrédepuis1966, ou avec des amateurs. J’ouvre les studios dans des contextes où je me sens libre.

Ensuite, l’invitation de Thomas Lebrun pour le festival Tours d’Horizons remue des moyens auxquels je n’ai plus accès : un vrai temps avec un éclairagiste, une quiétude extraordinaire pour créer.

Je suis très heureuse de cette commande, surtout qu’elle vienne de Thomas. C’est une joie et une liberté d’être dans un studio. Ça vous remet au monde à chaque fois que l’on traverse cet avènement d’un geste à l’autre. Du coup, j’ai envie de terminer ce travail car la pièce de John Adams dure plus longtemps que l’extrait que j’ai utilisé.

 

DCH : D’autres projets ?

Christine Jouve : Ces dernières années, j’ai vraiment aimé organiser nous-mêmes, avec patrickandrédepuis1966, des résidences à l’étranger. Nous sommes allés à Naples, Istambul, Lisbonne. Pour aller chercher d’autres paysages, d’autres températures géographiques, d’autres contextes. On s’autorise à faire ailleurs ce qu’on ne ferait pas en France.  On se sent plus libre, il y a des rapports de porosité avec une autre culture.

Ce sont des choix différents, par exemple de musiques, des écarts que l’on peut s’autoriser quand on est loin. Comment on peut être bougé. Comment bouge la terre, les gens… On est porté par l’étrangeté de l’étranger et bien sûr, ramenés à notre identité.

On est aussi accueillis. Il y a une force de la présence, et pour moi, c’est ça la danse. C’est aussi redécouvrir le possible de l’aventure.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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