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Tomer Heymann, réalisateur de « Mr. Gaga »

Mr. Gaga, Sur les pas d’Ohad Naharin a remporté le prix du meilleur film de danse de la saison 2015/16 de la critique de danse française, distinction qui s’ajoute à beaucoup d’autres prix internationaux. Alors que Mr. Gaga reste à l’affiche dans plusieurs salles parisiennes, il sera également projeté au festival Cadenses, à Arcachon. Suite à notre interview d’Ohad Naharin , nous publions ici notre entretien exclusif avec le réalisateur, Tomer Heymann.

Danser Canal Historique : Tomer Heymann, on parle beaucoup de la  persévérance et du temps qu’il vous a fallu pour gagner la confiance d’Ohad Naharin et pour accéder à ses archives personnels ainsi qu’au studio de la compagnie. Comment s’est déroulé le tournage de Mr. Gaga ?
Tomer Heymann : En effet, j’ai mis longtemps à obtenir d’Ohad la permission d’être dans le studio et de pouvoir partager cet espace avec les danseurs. Ensuite il nous a fallu créer un langage pour la caméra, une forme adaptée à la méthode Gaga et le travail chorégraphique qui en découle. Par exemple, nous nous sommes permis de changer les angles de vue. Aussi j’ai pu créer pratiquement une nouvelle chorégraphie à partir de la danse de la Batsheva, autant par notre action dans le studio que par le montage. En fait, c’était la condition pour faire ce film. Sinon, pourquoi montrer de la danse à l’écran ? Il vaut alors mieux aller voir la danse sur scène !

 

DCH : Il est particulièrement difficile de tourner en studio de répétitions. Comment avez-vous procédé ?  
Tomer Heymann :
Moi-même, la caméra et son opérateur, Itai Raziel, étions parfois placés au milieu du studio, les danseurs bougeant autour de nous au cours des répétitions. Ils passaient même à travers nous et Ohad était inquiet des risques de collision ! Je me souviens des danseurs nous disant : « Arrêtez de bouger comme des fous avec votre caméra ! » Mais nous n’étions pas en train de faire un de ces documentaires calmes et formatés avec des images parfaites. Ca ne me gêne pas si dans Mr. Gaga le cadre coupe un bras, un nez, une jambe ou une paire de fesses...  Nous ne sommes pas non plus au spectacle frontal où le chorégraphe construit des images savantes.

DCH : C’est donc dans les détails de votre documentaire que se cache sa dimension rock’n’roll ?
Tomer Heymann :
Je n’aime pas les films de danse qui deviennent, par loyauté à l’original, des sortes d’imitations de la chorégraphie. Par chance, Ohad a été d’accord, alors qu’il était inquiet que la caméra, cette boite métallique, allait détruire l’authenticité et la sincérité du processus de travail dans le studio. Il me disait: « Pour moi, nos studios sont des lieux sont sacrés. Tous les matins je crée quelque chose de très fort entre moi et mes danseurs qui n’appartient qu’à nous. » Il s’inquiétait : « Avec la caméra dans le studio, ne vont-ils pas commencer à chercher à avoir l’air joli, à s’intéresser surtout à leurs coiffures et à ce que leurs jambes soient bien rasées ? » Nous avons donc fait tout notre possible pour que les danseurs nous oublient.

DCH : Malgré votre équipement technique, vous avez réussi à effacer vos présences ?
Tomer Heymann :
Les danseurs ont vraiment fini par nous dire qu’ils avaient l’impression d’être avec d’autres membres de la Batsheva. Il y a une scène-clé où Naharin a amené sa fille à une répétition. Il s’occupe d’elle tendrement. Alors qu’il la tient dans ses brans, il est assez dur avec un jeune danseur. Pendant ce temps, Erie, la femme d’Ohad, danse. J’ai dit au cameraman de s’effacer totalement en filmant et nous avons tourné, en nous cachant presque, un long plan-séquence qu’on retrouve tel quel dans le documentaire. Et comme c’est authentique au lieu d’être scénarisé, la fille d’Ohad finit par refuser de sourire et se met à pleurer. En quelque sorte, elle refuse de continuer à jouer son rôle. C’est toute la force du réel et du documentaire par rapport à la fiction.

DCH : Vous mélangez une approche chronologique de sa vie avec des captations de son travail en studio et des extraits de représentations. Mais on a l’impression de voir un biopic de facture presque hollywoodienne, avec tout ce qu’il faut en matière d’émotion, de coups de théâtre négatifs et positifs, de tragique, de bonheur, et à la fin un happy end qui ouvre sur l’avenir.
Tomer Heymann :
C’est là qu’intervient le montage. C’est un film sur une personne réelle et les situations sont réelles, mais nous nous disions que nous étions en train d’écrire un film de fiction, avec les amis tués en guerre, la rencontre avec des légendes de la danse comme Martha Graham, l’accident qui lui interdit de continuer à danser, l’amour de sa vie qui meurt d’un cancer... Tout est réel, mais nous l’avons traité avec l’énergie d’une fiction. Le montage a pris trois ans !

 

DCH : Quels moments vous tiennent à cœur, particulièrement?
Tomer Heymann :
Nous avons réfléchi à chaque instant du film, mais si je devais choisir les moments-clé, ce seraient les cinq séquences tournées en studio. Ca commence par la danseuse, Maya, qui tombe et se relève, encore et encore, et Ohad lui dit : « Fais confiance à ton corps, il te protégera ! » Nous avons tous des moments de crise à traverser. Je reçois donc cette phrase comme une inspiration pour ma vie, quand il me faut me relever de quelque chose. C’est pareil pour l’autre scène où il dit à une danseuse: « Tu as tout ce qu’il te faut, tu es belle et sexy, mais tu n’as pas besoin de le souligner. Trente pour cent de ce que tu fais suffiraient. » En interne, nous appelons cette séquence « Less is more ». Les leçons du studio de danse sont des leçons de vie.

DCH : Alors qu’il s’agit de danse, Mr. Gaga remporte un grand succès en Israël. Cela s’explique-t-il par cette proximité entre les danseurs en studio et la vie de madame ou monsieur-tout-le-monde ?
Tomer Heymann :
Je pense aussi à la scène où il fait bouger, grâce à la technique Gaga, une fille qui a perdu l’usage de ses jambes. Il y réussit aussi avec deux cents vieux atteints de Parkinson. On les voit entrer dans le studio, tous dans un état de demi-mort, et à la fin, ils bougent ensemble. La société et leurs familles les cachent et s’en débarrassent, mais Ohad dit : « Ces gens-là aussi ont besoin de danser. » Tout le monde connaît quelqu’un qui est en situation difficile. Les gens peuvent aussi se sentir proches du film à cause de l’histoire de sa première femme, la danseuse Mary Kujawara. Pour Naharin elle est l’amour de sa vie et elle meurt d’un cancer. Mais tout ça peut expliquer la moitié des cent mille spectateurs israéliens qui ont vu le film, du nord au sud. Ce film parle à tout le monde. Qui ne traverse pas un jour une crise dans sa vie ? En ce sens, la fin du film, avec un nouvel amour et un enfant, peut donner de l’espoir à tout le monde. Même dans les moments difficiles, on peut encore danser, et la danse peut aider à surmonter les crises.

 

DCH : Vous connaissiez Ohad Naharin depuis longtemps, mais vous l’avez sans doute redécouvert, en quelque sorte, à travers ce travail... ?
Tomer Heymann :
Je le connaissais comme artiste. Son art m’a donné beaucoup, et m’a peut-être fait devenir l’artiste que je suis. J’avais perçu qu’il a un côté assez dur, et j’avais peur de l’approcher. C’est à travers le travail pour mon film que j’ai découvert l’être humain. Car il est quelqu’un d’assez discret qui ne se dévoile pas beaucoup. C’est en le suivant au cours du processus pour Mr. Gaga que j’ai appris à l’aimer, au-delà de son art. Il est traversé par des conflits et des complexes, et il peut vous intimider. Mais en apprenant à le connaître plus personnellement, j’ai découvert la beauté de son âme. Et un jour je lui ai lancé: « Ohad, ton âme est vraiment belle ! Pourquoi tu la caches ? » (rires).

DCH : Je m’attendais à parler avec un cinéaste. Mais vous vous exprimez presque à la manière d’un artiste chorégraphique.
Tomer Heymann :
Honnêtement, en quelque sorte nous avons voulu chorégraphier ce film. Chaque séquence chorégraphique, sur scène ou en répétition, est volontairement incomplète. Un jour je me suis dit que notre film est basé sur une suite de surprises. Le rythme et le caractère des transitions font que le spectateur est sans arrêt sollicité pour assembler les fragments et les strates par lui-même. C’est lui qui crée les conclusions émotionnelles et intellectuelles. D’où des réactions très contrastées. Certains sont furieux et disent qu’ils ne rencontrent pas vraiment Ohad. D’autres, au contraire, disent qu’ils croient en lui. J’aime ces aléas. Il y a assez d’art, en Israël en tout cas, qui apporte toutes les réponses clé-en-main à un public de plus en plus paresseux. Ca me fatigue. Je donne les pièces du puzzle, mais c’est au spectateur de créer le cadre.

DCH : Jusqu’où va votre lien avec l’art chorégraphique ? Allez-vous voir des spectacles de danse, au-delà de ceux de la Batsheva ?
Tomer Heymann :
Ohad Naharin m’a ouvert les portes de la danse. Mais je vais plus loin. Aujourd’hui, chaque fois que je voyage, je commence par m’informer sur les spectacles de danse à voir. C’est seulement après cela que je fais mon programme côté films documentaires à voir, alors que c’est mon vrai domaine. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand des artistes dansent dans la rue, de façon naturelle. La plus belle danse de ma vie, je l’ai vue à Kyoto, en tournée avec la Batsheva. Un après-midi, en me baladant dans la ville, j’ai vu une Japonaise, très menue, danser dans un cercle de craie dessiné sur le bitume, face à une poignée de spectateurs. Dans sa simplicité, elle se transforma quasiment un oiseau. Je ne pourrais plus envisager ma vie sans être spectateur de danse. Je dis aux gens : Laissez-vous manger par la danse et vous vivrez plus heureux qu’avant !
 

Propos recueillis par Thomas Hahn
 
www.mrgagathefilm.com
www.facebook.com/hashtag/filmmrgaga
http://www.arcachon.com/festival_cadences.html

 

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