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« At the Still Point of the Turning World » de Renaud Herbin avec Julie Nioche

Une indéniable poésie, mais des intentions difficiles à cerner, dans une rencontre entre art de la marionnette et chorégraphie.

Des fois, on se sent un peu bête. La danse, on pense en savoir un bon bout. Comme ça, on ne se méfie pas au moment de se rendre à un spectacle de marionnettes faisant grande place à la présence d'une danseuse. Oui mais voilà : l'art de la marionnette n'est pas si évident qu'on croit. Une fois de plus, l'inter-disciplinarité révèle de labyrinthiques arcanes, beaucoup plus obscures que ce que raconte la vulgate de l'hybridation et du métissage.

Pour commencer, At the Still Point of the Turning World est-il un spectacle de marionnettes ? C'est sans doute trop simple de le dire ainsi. Il s'agit de la dernière pièce créée par Renaud Herbin. Lequel gravite certes dans cet univers artistique (personnellement formé à l'école de Charleville-Mézières, etc), et dirige un Centre dramatique national tout de même (le TJP CDN Strasbourg-Grand Est). S'il y a de la marionnette sous la main de Renaud Herbin, il y a beaucoup de prise en compte des arts visuels, de préoccupation de l'espace, d'intérêt pour la chorégraphie, dans son projet artistique.

Et Julie Nioche, artiste chorégraphique est une protagoniste de premier plan dans la pièce évoquée. Dans une sorte de prologue, c'est d'abord un pantin, une mascotte, qui apparaît en devant de scène, manipulé à vue et sans fil par Renaud Herbin lui-même. Cela place d'emblée le spectateur néophyte devant la fascinante équation marionnettique : une forte projection humanisante habite d'emblée le regard qu'on porte sur ce personnage qui n'est pourtant que de matière inerte. Alors va se créer un tiers espace de la dramatisation, par l'apport d'un mouvement physique produit de manière décalée, et imprimé sur cette image-corps.

Il y a là un formidable embrayeur imaginaire, d'une autre nature que ce que peut, de son côté, le geste dansé. Celui-ci condense dans une sphère de vibration, l'extériorisation d'une intention du corps mis au contact du monde. C'est autre chose. On s'y emmêle un peu, jusque dans la manière d'essayer de le dire ici. Mais on sent bien qu'il y a, entre ces deux arts, du croisement possible dans l'espace d'émergence du sens. Cela rend impatient.

Il faut quand même d'emblée consentir une part de deuil : à la taille d'un enfant, le pantin d'At the Still Point nous laisse dans l'embarras d'une morphologie d'artefact technoïde, qu'on verrait plutôt adulte. Tout une part de son buste est évidée, on ne discerne pas bien la structure qui transparaît là. On peut croire y voir un bout de squelette. On ne sait plus trop ce qui vit, ce qui est mort, dans cette affaire ; ni de quoi veut-on nous parler au juste. De toute façon, le voilà remisé bien vite.

L'attention se reporte sur la danseuse, d'abord figée très longuement, dos vers la salle. Devant elle, flottant à ras du plateau, apparaît une grande couche épaisse d'énigmatique matière : suspendus aux cintres par autant de filins, des centaines et des centaines de petits sacs, tous identiques, dont on ignore ce qu'ils contiennent, sont agglutinés les uns contre les autres, formant une sorte de tapis très épais, en plan horizontal, et d'un format  tout parallélépipèdique.

Voilà qui nous déplace plutôt du côté des approches plasticiennes, sculpturales, voire architecturales, volumétriques aussi dans l'espace. En bord de ce dispositif, deux manipulateurs, deux marionnettistes (Renaud Herbin et Aïtor Suanz Juanes), vont actionner les filins de suspension des sacs. Cela rappelle les actions parfois exécutées à vue par des techniciens de plateau. Sur l'autre bord, la musicienne et chanteuse Sir Alice est à son pupitre, d'où elle libèrera une riche sonorité atmosphérique et électroïde.

A partir de là, tout est finalement assez simple. Les vigoureuses tractions de deux manipulateurs animent le tapis de sacs suspendus à la façon d'un paysage valonné désormais mouvant. Cela monte, descend, compose des versants, selon toute une variété de modulations rythmiques. Quant à la danseuse, elle s'introduit au coeur de cette matière pour arpenter l'espace. Ses allées et venues perturbent l'ordonnancement des accessoires suspendus, d'abord impeccablement géométrique, mais dès lors soulevés, agités, entrechoqués, selon les trajectoires chorégraphiques qui les traversent.

On ne dira pas que la conjugaison des actions de manipulation, des nappes musicales, des éclairages, du mouvement dansé, et des déformations générales du paysage scénique, soit vide de poésie. Voire de quelque beauté. A certains moments, lorsque les objets sont suffisamment hauts, suffisamment dynamiques, quand la danseuse semble y nager, voire s'engloutir dans la tempête, disparaître en-dessous, rejaillir, il se produit quelque assomption transcendante.

Un chahut imaginaire du monde s'y projette, enveloppé dans les plis et dé-plis d'une orchestration plasticienne généralisée du plateau. La danse n'y a rien de surplombant. Elle compte au nombre des choses. Elle agit avec le monde. Ces perspectives ne sont pas vaines. Elles disent de l'émotion, et de la pensée.

Mais enfin, ces moments sont rares. La plupart du temps, au contraire, on peine à cerner ce que la césure d'un geste vient produire dans le tissu matériel des objets suspendus. Sinon les agiter un peu. Évidemment. En retour, on ne discerne pas plus ce que la présence de ce tissu vient impacter, solliciter ou défier dans la présence humaine agissante.

Le pantin inaugural revient sur la fin. On ne sait rien de la raison de son absence durant l'essentiel de la pièce. Rien des raisons de son retour. Voici qu'on le manipule de façon plus aérienne, on suppute qu'on doit vouloir nous montrer quelque chose de l'ordre de la gravité dans la métaphore des destinées. Mais ce petit vol soutenu est bien empêtré, et voyant. Egaré dans cet écheveau de sens, on s'est alors dit que la musicienne, participant à cette action, était enceinte à un point si rarement vu sur une scène, qu'on pouvait affubler ce bambin artificiel d'une visée métaphorique de l'enfantement. C'était tout incongru. Mais au moins on y trouva prétexte à s'échapper, au moins un instant.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 29 novembre 2018 au Théâtre de La Vignette (Université Paul Valéry – Montpellier).

En tournée : Amiens 11-13 décembre.
Belfort 16 janvier 2019.
Chambéry 299, 30/01.
Sartrouville 7/02.
Vandoeuvre-les-Nancy 21, 22 mars.
Paris Biennale des arts de la marionnette 3, 4, 5/05.

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