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« Soirée solos » d’Odile Cougoule

L’ancien atelier de ganterie du quartier Saint-Fargeau, à Paris, après transformation en atelier photographique, a fait un saut qualitatif, passant en 2009 de l’artisanat à l’art sous le nom de galerie Mercier & Associés. Celle-ci, lors du vernissage de l’exposition du peintre Jean-Loup Septier, a laissé place à la danse, en l’espèce aux solos chorégraphiés au cours du temps par Odile Cougoule.

Jean-Loup Septier, plasticien subtil au style voisin de celui de Tal Coat et de Cy Twombly, mêle depuis les années 80 dessin, peinture et écriture, matière terreuse et abstraction pure, lettre et signe, dans une formule qu’il appelle « dessins/mots », sur des formats de taille diverse. Jean-Philippe Mercier, galeriste, libraire et collectionneur, va à l’encontre de l’esthétique « white cube » en vogue un peu partout, préférant laisser dans ses deux espaces d’exposition « les traces du passé, les espèces de sédimentations sur les murs » qui évoquent le sage conseil de Léonard de fixer les « murs barbouillés de taches, ou faits de pierres d’espèces différentes. »

L’imagination du visiteur est de fait stimulée par les jets de lumière naturelle d’un cadre brut invitant à la méditation. Ici, la forme se fond avec le fond. Dans le beau livre d’art, Septier vu par Geoffroy Pithon (2017), le peintre a manifestement voulu « dessiner des signes de vie éphémères », partageant ainsi l’objectif du (de la) chorégraphe. Le lieu accueille diverses expressions artistiques – architecture, design, céramique . Pourquoi pas la danse? Le public, amateur d’art dont celui de Terpsichore, était au rendez-vous.

Odile Cougoule a présenté quatre solos de son cru : La Première extaseUne infinie solitudeGervaiseThérèse ou l’envie d’autre chose. Le solo inaugural bénéficie d’Études pour piano et de Sonates pour violoncelle de György Ligeti, lequel avait personnellement autorisé la chorégraphe à les utiliser pour accompagner ses danses. Armelle Robillard, en tenue voyante – une mini-robe écarlate de patineuse, des baskets gris clair sans façon et un bonnet benêt emprunté à la Giselle de Mats Ek – en livre une interprétation extrêmement fluide et gracieuse.

L’opus oppose temps forts et plus faibles, vivacité et douceur, limpidité et impulsivité. Le style chorégraphique combine éléments de ballet (attitudes, arabesques, équilibres) et tics et tocs contemporains (élémentarité, répétitivité, austérité). La danse y paraît en synchronie avec la musique, toutes deux étant irrégulières, asymétriques et incisives – Fém, aux accents satiens, huitième morceau du « livre » deux des études, en hongrois, signifie métal.

Nawel Oulad danse ensuite Une infinie solitude, un titre qui, précisément, joue sur la notion de solo, un peu comme le fait Georges Didi-Huberman lorsqu’il qualifie Israel Galván de « danseur des solitudes »  celui-ci excellant, comme on sait, dans la soleá.

La danseuse, de noir parée, en socquettes immaculées, les cheveux retenus par un chignon, est longiligne, hiératique, olympienne. En un premier temps immobile, elle demeure assise sur un tabouret, prend la pose, aligne une série de postures, panoramique du regard en offrant un profil puis l’autre aux spectateurs. Les uns se tiennent debout, les autres sont assis sur la marche qui sépare des deux salles ou bien posés à même le sol. On dirait que la musique, signée du jeune compositeur Leonid Karev, dicte le tempo à la jeune femme. Le mouvement s’accélère, jusqu’à devenir impétueux.

Sans sortir de ses gonds, la belle interprète se livre à une suite de reptations au raz du béton ; elle lève majestueusement, ses bras dénudés en direction de la grande verrière ; elle exécute de façon symétrique des flexions latérales.

Dans Gervaise, on retrouve Mademoiselle Robillard, cette fois en pantalon, déchaussée, allongée sur un matelas inconfortable teint en orange hippie. Les riffs électriques de feu Julien Gauthier (celui-là même qui a été tué par un grizzli en août dernier au nord-ouest du Canada) sont distribués par intermittence, jusqu’à secouer l’ensommeillée au milieu de son rêve.

Une fois sur pied, la danseuse s’accorde aux éclats orchestraux; svelte, elle évolue de façon contrapunctique avec les phrases musicales atonales, voire modales.

Après ce solo qui nous a semblé des plus complexes à danser, solo où Cougoule démontre tout son savoir-faire et sa maîtrise, la soirée se clôt sur deux extraits de Thérèse ou l’envie d’autre chose, l’un accompagné de Chopin, l’autre soutenu par Luc Ferrari.

Sur le piano romantique, Nawel Oulad, en robe moulante rose pâle, avec une économie de moyens, exprime le plus, à savoir un certain désarroi. Sans pousser outre mesure la veine psychologique, la chorégraphie représente néanmoins un personnage et ses états d’âme – en l’occurrence, celui du roman de François Mauriac. La danseuse se fait tragédienne. Elle en a la trempe. Son laconisme impressionne. L’intensité qu’elle dégage est rare.

La deuxième section est plus anecdotique, qui recourt à l’accessoire d’une branche d’arbuste. La beauté de la chose ne fait cependant aucun doute. La concentration de l’interprète et celle du public qu’elle a su captiver est palpable. Ce qui explique que la chorégraphe ait gardé ce solo en finale.

Nicolas Villodre

Vu le 20 septembre 2019, Galerie Mercier & Associés, Paris.

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