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Singin'in the rain

Adapter à la scène les grandes « musicals » hollywoodiennes est une sacrée gageure. Parce que le cinéma a les moyens techniques que la scène n'a pas. Parce que les mirobolantes chorégraphies des chef-d'œuvres de Stanley Donen, Vincente Minnelli ou Busby Berkeley nécessitent de l'espace et des angles de vue qu'un simple plateau de théâtre n'accorde pas. Mais c'est souvent d'une contrainte que naissent les meilleures idées. Et c'est le cas pour Singin' in the rain , qu'une équipe anglo-saxonne recrée avec beaucoup de bonheurs au théâtre du Châtelet, à Paris.

Depuis quelques années, le Châtelet est devenue une adresse incontournable pour faire renaître les musicals américains. Depuis 2006 et l'arrivée de Jean-Luc Choplin aux commandes du théâtre, pas moins d'une quinzaine de comédies musicales de qualité ont été présentées. Voire même produites ex-nihilo à Paris, comme pour My Fair Lady et tout récemment An American in Paris. Avec Singin' in the rain le théâtre parisien est, là encore, à l'origine d'une production somptueuse, ambitieuse et vraisemblablement coûteuse. Mais qu'importe le flacon, lorsque l'ivresse est là : cette nouvelle version scénique du film musical probablement le plus célèbre, est une réussite.
 

Rendons à leurs créateurs ce qui leur appartient : c'est évidemment la partition, qui aide à faire de  Singin' in the rain , la chronique d'un succès musical assuré. Les chansons mythiques se succèdent, joyeuses, rythmées, répétées, et amplifiées par une grande formation d'orchestre dans la fosse, ce qui est un luxe non superflu. 

Le succès de ces chansons n'a rien de surprenant puisque dès le départ, le film de 1952 fût conçu - comme souvent à l'époque - à partir de chansons à succès des années 20-30, composées par  Herb Brown pour la musique et Arthur Freed pour les paroles, Freed étant également le producteur du film. À partir d'une simple liste de chansons « tubes » (All I Do is Dream of You, Beautiful Girl, Would You ? Ou Broadway Melody et bien sûr Singin' in the Rain), il fallut constituer une trame dramaturgique que le film restitue à merveille, et la scène aussi.


    
L'histoire, on la connaît, et pourtant on s'y replonge avec délice : nous sommes en 1927, à la toute fin  du cinéma muet, au moment même où le cinéma parlant fait son apparition. Lina Lamont et Don Lockwood, stars du moment, bavards dans les magazines de cinéma mais muets à l'écran, vont devoir se reconvertir. Las, Lina a une voix , mais de crécelle. Et un cerveau, mais de moineau qui ne comprend pas comment jouer devant un micro. Leur nouvel opus est un désastre, et Cosmo Brown, le complice de Don Lockwood, va proposer de remplacer sa voix par celle de Kathy Selden,  une jeune ingénue actrice de théâtre et bonne chanteuse dont Lockwood est tombé amoureux. Le suspense est donc double : le couple de stars du muet va-t-il se relever de la déferlante du parlant ? Et ce vrai couple amoureux, va-t-il survivre à la jalousie destructrice de Lina ?


    
Cette mise en abîme du cinéma regardant sa propre et jeune histoire (ce que l'on appelle le backstage film) est aussi sans concession, pointant la bêtise de certaines vedettes, le star-system et son public fanatique, le poids — déjà — de l'image et de la communication, l'envers souvent gris d'un décor plein de paillettes, l'angoisse de producteurs soucieux de ne pas rater le tournant du parlant... Ce regard finalement très satirique sur le septième art fonctionne mieux dans le film que sur la scène, qui se trouve forcément dans la situation de la citation et de l'hommage au film-culte.


 
D'autant que  l'équipe anglo-canadienne du Châtelet  dirigée par Robert Carsen a fait le choix de la fidélité absolue au livret pour cette adaptation scénique. Au point que l'on y retrouve les chansons mais aussi tous les dialogues originaux (surtitrés en français), ce qui est appréciable. Il y a même 40 minutes d'ajouts, puisque la seule première partie fait déjà 1h35 ( ce qui est un chouia trop long) , soit quasiment la durée du film. Mieux vaut, d'ailleurs, ne pas revoir le film avant d'aller au spectacle,  car on sera forcément gêné de ne pas retrouver visuellement ce que l'on entend, notamment certaines scènes cultes du film comme la rencontre impromptue avec Kathy dans la voiture (ici, elle se fait devant le cinéma où vient de se dérouler la première du film), le long et mémorable plan-séquence sur la chanson Make 'em Laugh qui devient juste une chorégraphie le temps de la chanson, ou le film multicolore autour de Broadway Melody. Quant à l'après-soirée de première où Kathy, Cosmo et Don se décident à travailler ensemble et chantent le génial Good Morning, il ne se déroule plus dans la cuisine de Kathy, mais devant le cinéma, ce qui ne permet pas de comprendre pourquoi nous sommes déjà au petit matin...
Quand au duo très physique de Don et Cosmo chez le répétiteur de Don, il devient un trio pour claquettes avec la coach de Lina, tout aussi fort.


    
Toujours dans l'idée de respecter le film, costumes et décors sont déclinés en une grande nuance de gris, de blanc et de noir pour revisiter le principe du film en noir et blanc... Le pari est gonflé, et le résultat est  formidable . Le travail du costumier Anthony Powell est hardi, alternant entre l'élégant et le clinquant, entre les costumes années 20 pour la vraie vie, et ceux de l'époque Louis XIII pour le film que tournent les deux vedettes.  

Quant au décorateur Tim Hatley, il a méticuleusement respecté certains décors, notamment la façade du cinéma, et la salle de réception de la première party, où Kathy surgit de son gâteau, le tout dans un grisé rappelant le film, assez courageux. Il travaille aussi le principe du gros plan et du plan large en ouvrant et fermant des pans de décors en largeur et en hauteur pour passer d'une scène à l'autre. On est moins convaincu , hélas, par le décor de la chanson titre, qui semble être une photo, arrivant à un moment curieux.

Quant aux images du long-métrage tourné, la production n'a pas lésiné sur les moyens : là où le film ne filme le film (vous y êtes ? ) que dans un petit hôtel particulier, l'équipe de Robert Carsen est allée tourner... à Versailles, dans la Galerie des Glaces, ce qui donne du panache. Pour le petit épisode de l'homme parlant pour la première fois sur une pellicule, il a été fait appel, comme un clin d'œil , à Lambert Wilson. Et comme pour bien marquer l'impact du film sur le spectacle parisien, celui-ci commence par un générique filmé à l'ancienne, où le premier carton indique : « Châtelet Pictures presents Singin' n the Rain ». Une bonne idée, bien qu'un peu longuette, tant le générique déroule pléthore de noms...

Et maintenant, que dire des courageux artistes et chorégraphe, qui se sont frottés à des images et des mouvements si légendaires ? La chorégraphie de Stephen Mear (qui avait déjà monté une version scénique de Singin à Londres) est diablement efficace et rythmée. Elle est bien souvent épatante, notamment pour Make'em laugh,  et pour le trio en claquettes de Cosmo, Don et la coach vocal, l'irrésistible Jennie Dale. Les ensembles du Broadway Melody sont aussi fort bien montés, et les danseurs de belle facture. Mais il y manque toujours une donnée importante que l'on trouvait dans la chorégraphie de Gene Kelly : l'humour et le naturel enfantin et spontané des mouvements pour tous les personnages dansés. L'effet comique  est fondamental dans le solo de Make'em laugh , où Cosmo, dans le film, ne cesse de tomber à terre, et il manque ici singulièrement, même si le résultat est déjà formidable. L'humour et la naïveté de l'enfant sont très importants aussi dans la chanson titre, où Don-Kelly s'éclabousse et  danse dans les flaques d'eau comme un gosse, là ou Stephen Mear donne à voir au Châtelet un Don avant tout romantique et amoureux. On retrouve pour autant la drôlerie dans la scène du générique, où tout le monde chante et danse Singin' in the rain en... bottes et ciré jaunes, et parapluie multicolore du meilleur effet.


    
La distribution de la première, donnait à voir des artistes britanniques de haute volée et super pros dont le casting a indéniablement ét guidé aussi par la ressemblance physique avec les acteurs du film. C'est peut-être là qu'est la limite de l'exercice. Car si Daniel Crossley (Cosmo) est indubitablement à sa place, tout comme Clare Halse (en Kathy) , Emma Kate Nelson (en Lina et sa voix de crécelle fort bien restituée) ou Jennie Dale (la coach), on est resté un peu moins scotché par Dan Burton (Don), meilleur chanteur que danseur. Mais qui peut bien rivaliser avec Gene Kelly ?  

Ariane Dollfus

À noter : la richesse  du programme, qui fourmille d'analyses historiques sur le film musical en général, sur Singin en particulier, et sur le travail de l'équipe de production de cette version scénique de 2015.
Jusqu'au 26 mars 2015. Tout est complet. Reprise du 27 novembre 2015 au 15 janvier 2016. La location est ouverte (01 40 28 28 40). www.chatelet-theatre.com
 

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