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« Rule of Three » de Jan Martens

Un rapport émoussé à la musique électronique. Mais un regard renouvelé sur la nudité en scène. Énigmatique pièce bicéphale du chorégraphe flamand. À voir le vendredi 17 novembre au théâtre L'Onde.

La tâche n'est pas simple pour Jan Martens, qui doit retenir l'attention après être rentré naguère d'un grand coup d'épaule sur la scène des renouvellements chorégraphiques. Cela avec sa pièce The Dog Days are Over en 2014. Jusqu'à épuisement, y compris du regard spectateur, ses huit interprètes reproduisaient inexorablement le motif d'un saut sur place. Cela recélait tout l'éclat d'un choc fondateur.

On retrouve un principe de mouvements répétés à l'envi dans Rule of Three, sa dernière création. Mais sa portée est radicalement tranformée, puisque rabattue sur une dimension seulement anecdotique. Un DJ et batteur (le très fameux Nah) a pris place sur scène. Les morceaux qu'il joue sont très directement évocateurs de l'atmosphère électronique de nuits en raves ou discothèques.

Dès lors, les mouvements des trois danseur.se.s sur le plateau se calent très directement sur cette musique. Leur répétitivité ne ressort plus à un principe conceptuel dans l'ordre des fondamentaux chorégraphiques. Beaucoup plus prosaïquement, ces mouvements reprennent ceux, festifs et égotiques, du public des dance-floors. Quand pareils mouvements se développent dans ce cadre, on ne doute pas un instant de l'intensité jubilatoire et profonde qu'ils dispensent aux teufeurs qui s'y adonnent. En revanche, reproduits tels quels sur un plateau de théâtre, ils se retournent en une image qui communique peu.

En regardant Rule of Three comme un standard absent, planqué derrière son quatrième mur, on en venait à songer aux pièces de Michele Rizzo, Arno Schuitemaher et Cristina Kristal Rizzo, habilement regroupées par les Rencontres de Seine Saint-Denis au printemps 2016. Partant de ce même univers de référence, et sans rien perdre de sa furieuse intensité, ces trois chorégraphes avaient su le transcender à travers des processus de complexification et de dilution, qui sous-tendait une métaphorisation artistique. L'ivresse devenait celle du spectateur.

Voilà ce qui ne se produit pas dans Rule of Three. Si bien qu'à la longue, les joyeux martèlements du sol, chaloupés de bassins chatoyants, et balencements cadencés des bras, trahissent une inconsistance plutôt navrante. Il est jusqu'à la morphologie rutilante et satisfaite des deux interprètes masculins, pour agacer dans cette affaire. Cela d'autant qu'ils écrasent une partenaire féminine pourtant pleine de trempe, mais que sa très petite taille handicape dans son impact, alors que ce répertoire gestuel laisse peu d'opportunités à une affirmation de quelque intérêt. Puis tout cela cesse. La pièce pourrait sembler terminée.

Or, c'en est comme une seconde qui débute. Réfugiés dans la pénombre d'un bord du plateau, les trois danseur.se.s se dénudent. On frémit devant ce qui pourrait sembler un tic, venu pimenter à peu de frais une composition qui n'a pas convaincu jusque là. Mais la nouvelle séquence qui s'ouvre balaye vite cette crainte, en intriguant le regard. Cette fois en silence, les trois interprètes se rapprochent et s'éloignent alternativement les uns des autres. Ainsi viennent-ils composer puis défaire, très patiemment, des agencements où leurs corps s'articulent dans des contacts très proches, quoique dénués de connotations sexuelles.

Cela rappellerait une série de prises de poses, mais insolites, par exemple du fait de positions essentiellement allongées au sol. Les façons de s'encastrer, de se coller, se segmenter dans l'appui sur l'autre, travaillent à une sourde et insolite instabilité des tableaux ainsi produits. A ces jeux, la stupéfiante différence de taille mentionnée précédemment, gagne une signification très stimulante. Quoique les mimiques restent neutres, la présence de la jeune femme induit toujours une forme de dérangement, d'anomalie, dans la paire sans cela monumentale qui relie les gaillards.

On ne dira pas qu'il y a là un grand moment. Peut-être seulement un trait assez malain. Mais qui éveille l'esprit selon des perspectives renouvelées.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 13 novembre à l'Espace Cardin (programmation Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d'Automne.

A voir vendredi 17 novembre à 20h30 à L'Onde -Vélizy
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