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Rencontre avec Paul Marque

Entré en 2014 dans le corps de ballet, Paul Marque est depuis le 13 décembre 2020 la nouvelle étoile du Ballet de l’Opéra de Paris. A l’affiche du prochain programme Robbins/ Forsythe/ Lander, le danseur de 23 ans se raconte. 
 

Danser Canal Historique : Comment commencez-vous vos journées ? 

Paul Marque : Le matin vers 9h, je me rends à pied depuis Montmartre, où j’habite, jusqu’au Palais Garnier. En principe, depuis un an et demi je me déplace à vélo, mais le 13 décembre dernier je l’ai laissé au parking de Bastille. Mes amis proches étaient venus m’attendre à la fin de la représentation de La Bayadère (retransmise en direct sur la plateforme de l’Opéra), et nous sommes rentrés ensemble en taxi chez moi pour fêter ma nomination d’étoile. Depuis, je marche. Ecouteurs aux oreilles, je passe des coups de fil, j’écoute de la musique. J’ouvre l’œil, aussi, parce que je  collectionne sur mon portable les mosaïques d’Invader. Je suis fan d’architecture, j’aime les grandes villes et ce jeu est une façon de regarder l’espace urbain autrement. Lorsque j’arrive à Garnier, je vais dans ma loge, je me change et je m’accorde un dernier temps de pause. Puis je me rends au studio pour le cours du matin, je m’échauffe et je passe « en mode » danseur !

DCH : Quand est née votre vocation ?

Paul Marque : Quand j’avais quatre - cinq ans, j’accompagnais chaque semaine ma mère qui allait chercher ma sœur aînée, Marion, à la sortie de son cours de danse dans une petite école de Dax, où nous vivions. Là, je restais collé derrière la porte vitrée à regarder les élèves danser. Puisque mes parents incitaient chacun de leurs quatre enfants à choisir une activité sportive, j’ai déclaré que c’était ça que je voulais faire. Ma mère m’a inscrit l’année suivante. A la maison comme à l’extérieur, je passais mon temps à danser. Je suis ensuite entré au Conservatoire de Dax et chaque été, je venais à Biarritz suivre le stage de danse. A à 7 - 8 ans, Nicole Cavallin, ex professeure à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, m’a remarqué et a dit à mes parents que je devrais tenter le concours d’entrée. L’idée a germé dans leur tête, mais ils ont attendu que la demande vienne de moi. C’est comme ça que, deux ans plus tard, en 2008, j’ai passé l’audition à Nanterre et j’ai été reçu au stage de six mois. A la rentrée suivante, j’ai intégré la première division. 

DCH : Comment se sont passés vos débuts à l’Ecole ? 

Paul Marque : Je suis arrivé là sans savoir vraiment où je mettais les pieds. Mon père, radiologue, et ma mère, au foyer, ne venaient pas du tout de ce monde. L’adaptation a été très dure. J’avais grandi dans une famille très soudée, avec trois frères et sœur nés tous à un an d’intervalle ; nous étions très proches également de nos nombreux cousins. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul, loin de ma famille, dans un univers inconnu. La première année, je pleurais chaque soir au téléphone et le week-end, je faisais 4 à 5 heures de train, à l’aller et au retour, pour rentrer chez moi  - lorsque, pour des questions de planning, c’était impossible, j’étais accueilli chez l’un de mes oncles à Paris. Au début, ma mère venait me chercher le vendredi et me raccompagnait le dimanche. Pendant le trajet, nous regardions ensemble des dvd de danse. Progressivement, j’ai fait le voyage seul. Lorsqu’arrivait la fin du week-end, mes parents me rappelaient que j’étais libre de continuer ou non, mais chaque semaine, je décidais de rentrer à Nanterre car en dehors de la douleur de la séparation, j’étais heureux à l’Ecole. Paradoxalement, alors que j’avais commencé la danse comme un hobby, il était pour moi hors de question d’envisager un autre avenir qu’à l’Opéra. Je n’ai pas été traumatisé par les examens de fin d’année, ou par le processus de sélection. Pour moi, cela faisait partie du jeu. 

DCH : Qui étaient vos petit père et petite mère ?

Paul Marque : Je n’en ai pas eu, en tout cas pas très longtemps car deux de mes petits parents successifs ont arrêté l’Ecole. Mais j’ai eu un mentor extraordinaire, Gil Isoard. Je l’ai rencontré quand j’avais 12 ans, en quatrième division. Il était venu remplacer à titre exceptionnel Wilfried Romoli, qui devait s’absenter pendant deux semaines. Ç’a été une sorte de coup de foudre pédagogique. Ensuite, on ne s’est jamais lâché. J’ai continué à prendre des cours particuliers avec lui et il m’a préparé à tous mes concours, sauf Varna - où Paul Marque a été médaille d’or en 2016-, parce qu’initialement je me présentais dans la catégorie des Pas de deux, avec Ambre Chiarcosso, et qu’il voulait que je concoure seul ! Aujourd’hui c’est un confident, quelqu’un que je peux appeler à toute heure en cas de problème. Il m’a fait réviser beaucoup de mes rôles, notamment pour les galas. A mon entrée dans le corps de ballet, je participais en effet régulièrement à ce type de spectacles ou de tournées, que ce soit avec les compagnies « maison » comme 3Etage et Les Italiens de l’Opéra de Paris, ou en tant que guest dans une autre troupe. Désormais, c’est beaucoup plus rare car je préfère consacrer 100% de mon temps à mon travail à l’Opéra. 

DCH : Qu’éprouvez-vous lorsque vous dansez ? 

Paul Marque : Cela dépend du ballet : mes émotions sont toujours liées au rôle que j’interprète. Quand je danse Lenski dans Onéguine de Cranko, au premier acte je suis un jeune homme heureux et amoureux, tandis qu’au deuxième acte, je me sens trahi, furieux, désespéré. Même un ballet non narratif raconte une histoire : dans In the Night de Jerome Robbins, que je répète en ce moment, chaque pas de deux correspond à un moment de l’histoire d’un couple. Je danse le premier duo, qui se situe donc au début de la rencontre amoureuse, et je suis donc tendre et heureux. Dans The Vertiginous Thrill of Exactitude, de Forsythe, au programme de la même soirée, c’est encore différent. Techniquement, la pièce est très difficile et il faut être capable de faire ressentir au public, selon les moments, une sensation d’énergie pure ou bien de flottement aérien. Chaque fois, j’essaie d’être au maximum de mes capacités d’interprète. Cette dimension « acting » est ce qui me plaît particulièrement dans mon métier. C’est d’ailleurs ce qui change lorsque l’on est étoile : désormais, on ne danse plus que les grands rôles du répertoire. Avoir eu la chance d’en avoir déjà approché certains, tel Basilio dans Don Quichotte ou Siegfried dans Le Lac des Cygnes (avec Myriam Ould Braham en 2019), m’a permis de comprendre que c’était ceux-là que je voulais danser, et donc que je voulais être étoile. 

DCH : Pour autant, vous ne vous attendiez pas à votre nomination ?

Paul Marque : Non, pas du tout. Ç'a été un moment très particulier. Toute la compagnie avait beaucoup travaillé, sans être sûre de pouvoir danser mais avec enthousiasme, parce que ça nous  faisait du bien d’être ensemble. Lorsque nous avons compris que cette représentation du 13 décembre serait la seule de la série initialement prévue, nous nous sommes tous dit : on va en profiter à fond ! Compte tenu de ces circonstances, quand j’ai vu s’avancer Alexander Neef et Aurélie Dupont, j’ai pensé qu’ils venaient faire en direct quelques remerciements. Puis j’ai entendu prononcer mon  nom, et l’espace de quelques secondes, je n’arrivais pas à y croire ! 

 

DCH : Quels sont les rôles que vous aimeriez danser dans le futur ?

Paul Marque : Armand, dans La Dame aux camélias de Neumeier. Mais ce sera pour plus tard, car ce rôle nécessite d’emmagasiner beaucoup d’expérience, et de faire preuve d’une grande maturité scénique. Je rêve aussi du Jeune Homme et la Mort de Roland Petit, du rôle de Solor dans La Bayadère, ou bien de monter sur la table du Boléro de Béjart. J’ai envie également de danser d’autres ballets de Noureev, de Robbins – je me suis « éclaté » en 2018 dans Fancy Free-, de Crystal Pite…

DCH : Quel est votre principal défaut ? Et votre principale qualité ?

Paul Marque : A la première question je répondrais : le travail parce que sur ce sujet, il y a un malentendu : on m’a souvent reproché de ne pas travailler assez, alors qu’en fait je suis très bosseur. Mais je mets beaucoup d’énergie à ne pas le montrer ! En général, je ne suis pas dans le démonstratif. J’aime une danse légère, fluide, précise, sans chichis ni fioriture. Typique « école française », dont je suis un pur produit. Quant à la qualité, je dirai : l’optimisme. Je suis très positif, et j’essaie toujours de trouver l’aspect positif d’une situation.  Par exemple lors des concours de promotion interne, là où mes camarades étaient stressés, je trouvais au contraire génial de me retrouver, le temps d’une variation, en train de danser seul sur la scène de Garnier. C’était mon rêve depuis que j’étais tout petit !

Propos recueillis par Isabelle Calabre.

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