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Régine Chopinot au top

La chorégraphe Régine Chopinot convoque dans top sept danseurs et danseuses, un batteur et un guitariste pour lever une tempête de sensations brutes. Une pièce à découvrir dans le Festival Immersion de l’Onde - Théâtre centre d’Art Vélizy-Villacoublay. Entretien.

Danser Canal Historique : Quelle est la genèse de top ?

Régine Chopinot : J’ai commencé en 2019, cette pièce qui a changé plusieurs fois de nom. Elle s’est d’abord intitulée deuxzérodeuxun puis deuxzérodeuxdeux puis 2 0 2 2 puis 2 0 2 ... et finalement « top ». Comme nous avions beaucoup de force et peu d’argent, nous avons travaillé régulièrement sur la durée, avec de grands intervalles qui séparaient nos rendez-vous. Le temps a une puissance de tamis extraordinaire, pour vérifier la force et la pertinence des éléments qui constitueront l’écriture de la pièce. 

DCH : Top signifie à la fois début, sommet, signal de départ… c’est un mot optimiste…

Régine Chopinot : Oui c’est énergique, c’est un geste qui fait du bruit. Ça lance la musique, et moi je suis passionnée par l’ouïe, par le son, j’aime qu’on s’entende au double sens du terme, depuis que je suis partie dans le Pacifique, après la fin du CCN, c’est la que j’ai retrouvé la puissance du son, du rythme et top est un enfant de cette expérience qui m’a remis les pieds au bon endroit. Et oui en anglais c’est un sommet. C'est un petit mot que tout le monde comprend partout sur la planète. Tu dis TOP avec un claquement des deux doigts et tu peux commencer un travail rythmique et chorégraphique donc c’est ça top !

DCH : Vous avez à votre répertoire plusieurs pièces en trois lettres. Un hasard ?

Régine Chopinot : Via, WHA, KOK, OUI, A D-N,… oui, tout le ternaire est dedans. Le ternaire c’est mon rythme, celui qui m’embarque.

DCH : Sur quoi avez-vous travaillé et comment ?

Régine Chopinot : Je travaille toujours pareil, je fais avec ce qui vient. Je suis née en 52 et ça fait donc 70 ans que je suis en vie. J’ai commencé à danser à 5 ans, et ça fait donc 65 ans que j’aborde, j’apprivoise, je tutoie, la danse et c’est vrai qu’à 70 « balais », le chemin est derrière moi. Vu que le trajet est écrit, je n’ai plus rien à me prouver ou à perdre, sauf de la liberté à fêter chaque jour. Danser est la chose la plus vivace et la plus difficile au monde. Parce que je chorégraphie et je continue à vouloir danser. Et donc je me collete la gravité terrestre tous les jours, et c’est fou, ambitieux, prétentieux, et c’est ça qui me donne le chemin de ce que je fais. Et ce que je fais consiste à travailler avec des gens qui ont envie de collaborer avec moi. top c’est un groupe de gens que j’ai rencontrés depuis longtemps et qui n’entrent dans aucun moule, et c’est juste ça la force de top. C’est quelque chose que l’on ne peut pas attraper. Quand nous sommes arrivés au théâtre Garonne, récemment, nous ne nous étions pas revus depuis neuf mois. J’ai alors dit : pour savoir ce qui reste de top nous allons faire une « traversée » de la pièce. Et il s’est passé une chose que je ne croyais pas être possible. Seuls les instruments de musique étaient posés dans l’espace, la lumière était en train de se faire avec Sallahdyn Khatir, toute la puissance, la finesse du son de Nicolas Barillot étaient présentes lors de ce démarrage. Et cette traversée a été l’une des plus belles et le lendemain, à la générale, c'était pareil. Et ça, je ne l’ai jamais vécu au cours de ces quarante années d’expérience. top c’est mon petit prince, c’est la pièce que je n’aurais jamais osé imaginer. Elle parle à chacun. Elle est à la fois de haut niveau et d’une simplicité à pleurer. Je suis toujours d’une exigence sauvage, et je n’arrive pas à critiquer cette pièce. Bien sûr, je continue à la travailler, et c’est ce qui est passionnant, c’est là où la pièce vit, reprend son souffle, nous éclaire, nous montre ce qu’il y a encore à faire.

DCH : Comment avez-vous rencontré votre équipe ?

Régine Chopinot : C’est la vie. Je vis à Toulon et, il y a sept ans, les trajets d’immigration par la frontière italienne passaient encore à proximité, ce qui n’est plus le cas depuis la catastrophe de La Roya. Donc je voyais ces migrants en centre ville, et je me demandais toujours ce que je pouvais faire. C’est alors que s’est mis en place ce projet d’apprentissage de la langue française en dansant, et c’est là que j’ai rencontré Bekaye Diaby. Maintenant, il est dans toutes mes pièces, il vit à Toulon, il a commencé son Diplôme d’Etat en danse contemporaine à Marseille aux Studios du Cours. Julien Roblès est de Toulon, je l’ai croisé dans des ateliers que j’organisais en 2014 avec des étudiants des Beaux-Arts. Aujourd’hui, il a 23 ans, vient de finir des études de cinéma à l’ENS-Louis Lumière et nous a rejoints. Dans les anciens il y a Sallahdyn Khatir, Nicolas Barillot et moi. Les autres ce sont des jeunes. Deyvron Noel, je suis allée voir un battle et j’ai eu un coup de foudre. Nico Morcillo, notre guitariste est de Hyères et c’est un long compagnonnage. Vincent Kreyder le batteur était avec moi lors des ateliers de OUI à l’Académie de l’Opéra de Paris. Mellina Boubetra, sa présence lumineuse m’a tout de suite frappée lors d’ateliers à la MC 93. Avec Prunelle Bry, nous avons la Nouvelle Calédonie en commun, elle est née là-bas. Elle cherchait cette personne qui avait travaillé avec le wetr*, donc elle est venue. Tristan Bénon est son compagnon. Naoko Ichiwada, est arrivée de Marseille parce qu’elle cherchait à prendre des cours… Ce ne sont que des hasards comme ceux-là. Improbables. Et des coups de foudre réciproques. C’est comme ça que j’avance en travaillant et en écoutant. Il y a un terrain ouvert pour toute la joie, mais solide.

DCH : Vous avez mis en place des outils de transmission. En quoi est-ce important pour vous ?

Régine Chopinot : Pour moi c’est tout un. Création, recherche, transmission. Pour le projet OUI, nous sommes allés faire des ateliers sur trois saisons à l’Académie de l’Opéra national de Paris, à l’invitation de Myriam Mazouzi, à destination des personnes en situation d’exil, en apprentissage de la langue française ou en situation de précarité. Nous avons fait de même pour les sans-abri avec Habitat humanisme, avec l’HUDA centre d’hébergement d’urgence de Montrouge ou pour Elan, la formation du CN D pour l’égalité des chances. A la fin, j’organise toujours au moins une restitution publique.

DCH : Comment procédez-vous dans ces ateliers ?

Régine Chopinot : Quand nous débarquons, Bekaye et Vincent et moi – moi, je suis vieille et j’ai une dent en or, Bekaye est noir et c’est une montagne, Vincent est tatoué de partout – nous gagnons un mois d’efficacité. Comme nous décochons toutes les cases, nous pouvons tout de suite entrer dans le vif du sujet. Nous transmettons des outils d’épanouissement personnel, humain et sociétal. Nous essayons de favoriser la prise de conscience du corps et de la langue, à la fois langage d’une communauté partagée et expression de la singularité de chacun. Et on emporte tout le monde et surtout nous-mêmes. Et c’est ça que j’ai retrouvé dans le Pacifique. C’est ça que les Néo-Zélandais, les Kanaks, certains Japonais, les Maoris, m’ont réappris, c’est ça que j’avais oublié. Et maintenant je suis chargée de cette humanité. Quand nous arrivons dans un théâtre nous demandons à saluer la totalité de l’équipe et la permission de faire du bruit, parce que nous sommes chez eux. Et pendant 22 ans au CCN de La Rochelle je ne faisais pas ça. Je ne savais pas. Maintenant que je le fais, ça change tout, parce que les gens sont curieux de voir cet étonnant équipage. Et en même temps c’est le b.a. ba de la relation, et la danse, c’est la reine de la relation, c’est elle qui met au diapason, elle qui provoque, qui crée les espaces, nous fait réfléchir, nous secoue, je l’adore, mais comme elle est difficile.

DCH : En quoi est-elle difficile ?

Régine Chopinot : Parce la danse tape sur mes raideurs, elle tape sur ce qui s’amenuise, sur mon image, mes désirs, mes rêves. Donc c’est délicat.

DCH : Comment conjurez-vous cette difficulté ?

Régine Chopinot : J’y vais. J’ai appris à ne plus avoir peur de ma peur. Je réfléchis le moins possible et je travaille. Et en travaillant, tout arrive. Avec l’œil que j’ai, l’expérience, le désir, l’exigence quand je vois surgir des choses que je n’ai pas encore vues, je les cultive. Parfois ça ne pousse pas. Et parfois, ce que je n’ai pas cultivé… pousse tout seul, juste grâce au temps. Et c’est cette espèce de confiance absolue dans le temps et le travail que je développe, des choses que je ne décide pas consciemment mais qui s'imposent à moi. Le travail c’est juste passer du temps avec les outils de la danse, de la musique, de l’espace. Nous bossons deux ou trois heures, et les équipes voient bien que quelque chose nous a changés, nous ne sommes plus les mêmes qu’au début de la répétition. Alors nous imaginons que ça peut peut-être avoir un effet sur le public. Et top c’est ça. Ils ont tous tellement envie de danser, qu’à la fin, quand j’invite le public c’est comme s’ils attendaient ça. Car la danse est ce qu’il existe de plus contagieux.

Indirectement, le résultat de top ou A D-N ou de tout ce que je fabrique en ce moment est à cet endroit. Comme il n’y a pas d’abonnement à ce genre de « machin », nous sommes toujours surpris.

DCH : Par le succès de top ?

Régine Chopinot : En ce moment, comme nous avons du succès, et parce que j’ai retrouvé le goût de ce que j’avais traversé dans les années 80, il y a une ambiance très spécifique, comme un frisson d’excitation. Et je me dis, attention, il faut que je reste calme et je goûte mon plaisir. J’ai arrêté de me croire illégitime.

DCH : Seulement maintenant ?

Régine Chopinot : Oui. A 70 ans. Je me suis dit ce n’est pas ton affaire.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Le 24 novembre à 21h. L’Onde – Théâtre centre d’Art Vélizy-Villacoublay.

* Le Wetr, groupe traditionnel originaire de l’île de Lifou/Drehu en Nouvelle-Calédonie, ayant pour objectif de retrouver et se réapproprier les danses, chants et musiques disparus suite à la colonisation française. 

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