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Quelle(s) danse(s) pour le monde après le confinement - vol. 9

Vous voulez que les salles de spectacle puissent continuer à ouvrir ? Soyez responsables ! Coup de gueule.

Le soir du 19 septembre 2020, nous avons assisté, au festival Le Temps d’aimer, dans la Salle du Casino de Biarritz, à un phénomène dont on souhaiterait qu’il ne se propage pas. Non parce qu’on voudrait faire la morale ou stigmatiser qui que ce soit. Mais parce que ce qui s’est produit ce soir-là met en lumière que le monde du spectacle n’a pas fini sa réflexion sur son fonctionnement pendant que le coronavirus sévit dans le pays. Ni le public. Surtout pas lui. Que s’est-il donc passé ? 

Le Ballet du Capitole de Toulouse proposa un programme spécialement composé pour Le Temps d’Aimer, soirée en quatre parties qui commença par Liens de Table, une pièce de Kader Belarbi, quatuor sur les relatons familiales empreintes de violence, dont le style rappelle fortement un certain Mats EK. Mais ce n’est pas des danseurs dont il sera ici question. Ce billet d’humeur concerne les spectateurs ! 

Avant le lever de rideau, les conversations entre spectateurs allaient bon train. On s’en réjouissait en se disant que le public français n’était que trop content de retrouver ses fauteuils et les artistes. Et heureusement qu’il répond présent ! Il répond fort, le public français, car il est émancipé. Au théâtre, il est en République, il est chez lui et il se fait entendre, contrairement à certains pays voisins (presque tous, en fait) où l’on s’incline inutilement face à l’institution culturelle et observe un silence quasi-religieux dans les salles de spectacles.

Entractes

Après Liens de table, un premier entracte. Les spectateurs reprennent la parole, plus détendus encore. La compagnie enchaîne avec Fugaz, un sextuor du Catalan Cayetano Soto, sur la fugacité de la vie. Un hommage à son père, décédé d’un cancer. Mais visiblement, le sujet n’avait refroidi les ardeurs du public, qui visiblement préféra se laisser emporter par la beauté des quatre danseuses dans le rôle de l’énergie vitale. Bien sûr, on ne demandera à personne d’adopter la prestance sombre et menaçante des deux hommes de la pièce, représentant le royaume des ombres.

Quand arriva le second changement de plateau, le niveau sonore dans la salle augmenta une fois de plus. Et plus l’entracte se prolongea, plus il fallut parler fort pour se faire entendre. Le phénomène est connu partout, en salle de classe comme au restaurant. On aperçut alors, dans la salle du Casino, quelques personnes ôter le masque pour mieux être comprises par leurs amis. Mais quand le public, dans une salle de théâtre, oublie la présence du virus - alors que l’omniprésence du masque devrait en être un rappel permanent - le brouhaha qui s’amplifie augmente le risque d’infection. Sans parler de ceux qui se mettent à tousser. 

Calculs

Pourquoi ?  En portant le masque, on protège ses interlocuteurs, sauf que l’efficacité de la plupart des masques mis en circulation ne dépasse pas 70%. Quand deux personnes se parlent à ciel ouvert en portant le masque, 90% du risque de transmission du virus est éliminé. Mais les 10% restants, s’additionnant ici sur des centaines de personnes dans une salle sans concept d’aération adapté (on commence tout juste à en développer), produisent un risque considérable d’émission d’aérosols. Bien sûr, tout était fait dans le respect des règles de la distanciation physique. Mais malgré les sièges vides entre personnes ne se connaissant pas, parler à son voisin signifie ici qu’on expose plusieurs spectateurs à une lente diffusion de ses gouttelettes qui échappent au masque. Et on sait que dans un espace fermé, les aérosols peuvent aller loin, bien au-delà de l’espace enjambé par un grand jeté...

Les enjeux sont clairs, rien ne se fera sans une attitude responsable du public. Sachant que le taux de positivité des tests PCR s’établit au-dessus de 5%, le nombre de personnes potentiellement porteuses du virus dans la salle est considérable. Réduisons maintenant ce taux à 2% pour tenir compte du fait qu’on teste en priorité des personnes présentant des symptômes de la Covid-19 ou faisant partie de groupes à risque. Nous avons alors toujours, statistiquement parlant, six personnes infectées dans la salle. Peut-être moins, peut-être plus. Mais le zéro est peu probable.

Conclusions

On appréhende le jour où le traçage des infections chez quelques dizaines de personnes mène à une salle de spectacles.  A la lumière de cette expérience biarrote, on constate que les soirées de danse en plusieurs parties comportent plus de risques que des pièces sans entracte. A quoi bon alors qu’on demande au public de sortir de la salle « de façon fluide et en respectant la distanciation physique »? Force est de constater que les règles de distanciation ultra-strictes établies en Corée du Sud [lire notre article], qui peuvent paraître exagérées, ont au moins le mérite d’exclure qu’on en arrive à une situation comme celle dans la Salle du Casino, au Temps d’aimer.

In fine, tout dépend de l’attitude des spectateurs et chaque personne entrant dans un lieu de spectacle porte sa part de responsabilité. Juste avant la représentation du Ballet du Capitole, celle des Ballets de Monte Carlo, à la Gare du Midi de Biarritz (en deux parties - Altro Canto etVers un Pays sage), s’était déroulée sans provoquer une sensation de dérive.

Donc : Cher public, si tu veux continuer à voir des spectacles dans les mois qui viennent, le port du masque ne suffira pas. Il faudra songer à fêter les retrouvailles avec les amis ailleurs, avant ou après la représentation. Tu tiens entre tes mains, entre tes mots, sur le fil, l’avenir du spectacle vivant en ces temps chahutés.

Thomas Hahn

Spectacle et spectateurs vus le 19 septembre 2020. Le temps d’aimer, Biarritz.

 

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