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Que penser de l'exil d'Afshin Ghaffarian ?

Le film Desert Dancer narre la célèbre fuite du chorégraphe iranien. Mais voici qu'il marque lui-même sa distance avec le récit trop simpliste que chacun a bien voulu se raconter.

C'est une émission très étrange qu'on pouvait écouter lundi 4 janvier sur France-Inter en début de soirée. Pour son Humeur vagabonde, l'animatrice Kathleen Evin recevait le chorégraphe iranien Afshin Ghaffarian. Il s'agissait d'évoquer la sortie sur les écrans, deux jours plus tard, du film Desert Dancer, du réalisateur britannique Richard Raymond. Ce long-métrage est annoncé comme "inspiré d'une histoire vraie". En l'occurrence celle d'Afshin Ghaffarian, dont le héros de l'intrigue, joué par Reece Ritchie, porte directement le nom.


L'animatrice radiophonique semblait avoir directement décalqué ses questions à partir du contenu du film. Soit un récit romancé de la vocation du chorégraphe iranien, dressé contre l'interdiction de danser imposé par le régime des ayatollahs, et finalement contraint à l'exil alors que la terrible police de la morale publique s'est juré d'avoir sa peau.

On se souvient, en effet, de la façon dont le sort d'Afshin Ghaffarian émut fortement la communauté de la danse en France, au moment de son arrivée en 2009, et de sa prise en charge par le Centre national de la danse. On ne pouvait que partager l'élan de solidarité pour le jeune exilé. On n'en était pas moins gêné au moment de constater les limites de son talent d'auteur, alors encore confiné dans une narration littérale à message.


Or l'émission du 4 janvier aura contraint l'auditeur – en même temps que son animatrice – à se faire une idée un peu plus complexe de la réalité iranienne, et d'un parcours d'artiste au coeur de celle-ci. Non sans honnêteté, parfois teintée d'embarras semble-t-il, Afshin Ghaffarian paraissait s'être mis en tête de marquer sa distance avec la vision véhiculée par le film, où les gentils (la jeunesse iranienne en révolte) souffrent des menées des méchants (les gardiens de la révolution islamiste), et trouvent dans la danse l'incarnation pure de la révolte.

D'emblée, le chorégraphe précise que ce film parle « d'une partie de ma vie, pas de toute ma vie ». Au moment où il donna son accord pour ce projet cinématographique, Afshin Ghaffarian avoue « ne pas avoir autant réfléchi » que ce qu'il a pu le faire entre-temps, de sorte que lui paraît « beaucoup plus complexe, ce qu'il a vécu en Iran » que ce qui apparaît à l'écran.


L'animatrice Kkathleen Evin s'étonne qu'une vocation pour la danse puisse s'éveiller dans un pays où celle-ci est interdite. Son invité corrige : « La danse existe partout en Iran, dans toutes les familles, les fêtes. La danse, cela ne s'apprend pas qu'avec des professeurs ». Lui-même était étudiant en théâtre, puis est venu à la danse par sa découverte du théâtre du corps dans l'art de Grotowski.

Enfant, il fréquenta une école d'art pour jeunes gens dans sa ville natale de Mashada. L'animatrice conçoit que cette école était clandestine : « Cette école existait de façon non clandestine, autorisée » répond Ghaffarian. Mais alors, comment comprendre qu'on s'y consacre à des activités non légales ? L'artiste met les points sur le i : « est-ce qu'on parle du film ou de ce qu'a été ma vie ? », poursuivant : « Tout n'est pas interdit en Iran. Tout semble interdit, mais en même temps rien n'est interdit. Internet est interdit, mais beaucoup de gens ont accès à Internet, accès au monde entier, sans problème. La danse semble interdite, mais elle ne l'est pas vraiment. Elle est laissée pour compte, ça ne veut pas dire qu'elle est interdite. Elle existe même dans la tradition théâtrale, et même dans les milieux officiels, mais il ne faut pas l'appeler danse. On peut faire du hip-hop sous le nom d'aérobic, prendre des cours de ballet au nom de gymnastique rythmique, et de  danse contemporaine comme théâtre physique ».


Le film Desert Dancer articule le récit, bien connu à l'étranger, d'une performance dansée effectuée clandestinement en plein désert par Afshin Ghaffarian d'une part et la terrible menace d'exactions de la part des Gardiens de la révolution islamiste d'autre part. L'animatrice radio demande à l'artiste s'il a eu personnellement à en souffrir : « Non, pas vraiment » surprend-il, par sa réponse. « Aller dans le désert était un choix artistique, le choix de sortir des lieux conventionnels du théâtre. La nature était vue comme lieu de liberté pure. Mais ça n'était pas politique. On n'aurait pas pu présenter notre travail dans un lieu officiel, mais nous n'en avions aucunement l'intention ».

Travaillé pendant neuf mois, le spectacle fut donné une seule fois : « C'était notre choix, c'était une expérience ». En revanche il fut dument filmé et diffusé sur Internet de manière à toucher plusieurs personnalités significatives de l'univers chorégraphique occidental. « Il ne faut pas donner cet image d'un Iran où les gens sont isolés sous un régime où tout est fermé. Non, on est en communication avec le monde ».

Peu à peu, c'est donc une vision trop simple qui se désagrège sous les propos de l'invité de  L'humeur vagabonde. On apprend qu'Afshin Ghaffarian a renoncé à son statut de réfugié en 2013, qu'il est retourné en Iran en 2014, « sans aucun problème » précise-t-il. Et en France, il lui faut « continuer la même lutte, ce n'est pas si facile d'être un artiste, les conditions sont de plus en plus difficiles. L'ironie, c'est que j'ai eu beaucoup plus d'occasions d'être sur scène en Iran qu'en France. Mon dernier spectacle à Téhéran, j'ai pu le montrer pendant un mois complet. Une durée inimaginable en France ».

Les dernières images de Desert Dancer imaginent Afshin Ghaffarian battu par les sbires du Ministère de la Culture de son pays jusque derrière les rideaux d'un théâtre parisien où, en plein spectacle, il vient de dénoncer les exactions du régime des ayatollahs. Purement fictionnelle semble-t-il, cette séquence en reste pour autant la plus intéressante, voyant le réel s'imposer au coeur d'une représentation scénique, en plaçant les spectateurs devant l'obliger de discerner le vrai du faux, sous la pression politique qui les concerne, tout autant que l'artiste. C'est qu'à tous les niveaux, s'impose le recul critique a l'égard de la fabrique des récits, fût-ce la représentation  toute univoque des parfaites démocraties occidentales contre les maléfiques dictatures d'ailleurs.

Gérard Mayen

Pour sa sortie en première semaine, Desert Dancer n'était diffusé que dans deux salles indépendantes à Paris : La Clef (5e arrondissement) et Le Brady (10e arrondissement). Il est à noter que les séquences dansées du film ont été supervisées par Akram Khan.
 

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