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À propos de « Ré-activation, l’art du geste », entretien avec Do Brunet

Ré-activation, l’art du geste sera diffusé du 3 au 10 janvier 2022 sur notre plateforme de films de danse. Ce documentaire de Do Brunet, danseuse contemporaine, chorégraphe, pédagogue, réalisatrice de L’Art de voler (2016) a été tourné à l’occasion de la reprise en 2020 d’une des pièces historiques de Daniel Larrieu, Romance en stuc (1985), programmée à l’époque au festival d’Avignon, pièce dont elle fut l’une des interprètes. 

DCH : Le documentaire date de 2020 mais il a probablement été tourné en 2019.

Do Brunet : En 2018-19. Les premières répétitions ont commencé en 2018. 

DCH : Pouvez-vous nous dire dans quelles conditions ? Où a-t-il été tourné ?

Do Brunet : Dans de nombreux endroits. À la Ménagerie de verre, aux studios de répétition de L’Échangeur à Château-Thierry et chez des particuliers parce que j’ai été interviewer et filmer Françoise Michel chez elle, les Palix dans leur studio, Daniel Cendron, qui avait fait les perruques en latex, dans son atelier. 

DCH : On a l’impression que vous avez utilisé deux caméras ? Étiez-vous derrière l’une d’elles ?

Do Brunet :J’étais derrière l’une d’elles. Quand moi j’étais à l’image, j’ai demandé à quelqu’un d’autre de filmer ! C’est un film qui s’est fait de manière très « roots ». Y compris par rapport au matériel. Depuis 2015-16, je travaille avec Daniel sur ses archives vidéo, comme je le fais avec d’autres chorégraphes. Nous avons transcrit de vieilles cassettes, regardé les choses ensemble, décidé ce que nous gardions ou pas. Un jour, nous avons visionné une version de Romance en stuc, que nous n’avions jamais vue et que j’ai fait sauvegarder par un labo à partir d’un ancien support.

DCH : Une Vhs ?

Do Brunet : Non, pas une Vhs.

DCH : Un quart de pouce Sony ? Avec des drops (rayures horizontales) ?

Do Brunet : Voilà. C’est bien possible pour les drops. Alors que jusque-là Daniel avait mis cette pièce de côté – il s’en était pris plein les dents par les journalistes, à l’époque, avec des articles du genre « Larrieu, la poudre aux yeux »  –,  en revoyant ces archives, il a dit : « Mais, franchement, elle est bien cette pièce ! ». C’est comme ça que ça c’est décidé. Il a eu envie de la remonter. Il a pensé que ce serait peut-être bien qu’on ait des images documentaires. J’ai été revoir mon producteur, avec lequel j’avais fait un film sur le travail de Kitsou Dubois [L’Art de voler, 2016]. C’est comme ça que ça s’est fait.

DCH : On y voit plus clair sur la genèse. Le film étant sans sous-titres, il est utile d’indiquer, comme dans le générique de fin, l’ordre d’apparition des danseurs, notamment de ceux qui ont contribué avec vous et Daniel Larrieu à transmettre les rôles : Sara Lindon, Philippe Saire, Bertrand Lombard, Laurence Rondoni, Didier Chauvin.

Do Brunet : Nous avons refusé de mettre des sous-titres. C’est un choix esthétique. Je parle en mon nom et en celui de Vincent Gaullier, mon producteur. Ce n’est pas un reportage, c’est un documentaire. Ce n’est pas la même chose !
 

DCH : Dans quelle mesure la mémoire du corps est-elle plus fidèle que celle de l’enregistrement vidéo ? 

Do Brunet : C’est une des questions du film. Ce n’est pas la même mémoire. Et pas « plus fidèle » ou « moins fidèle », mais « autrement » fidèle. Ce qui est beau quand on voit Bertrand Lombard s’adresser aux jeunes danseurs et que Daniel lui pose des questions, c’est qu’il se remet physiquement dans sa danse et que, tout à coup, des évidences ressortent presque malgré lui. J’ai eu la même expérience. On me pose la question : « Est-ce que c’est comme ça ou comme ça, les bras ? » et hop ! instinctivement, ça revient. Il y a des danseurs qui ont une excellente mémoire corporelle et qui vont ressortir tout de A jusqu’à Z – c’est le cas de Bertrand –, d’autres qui ont une mémoire plus parcellaire. C’est la mémoire des fibres ! La mémoire des bonnes choses.
 

DCH :  Les deux bandes vidéo qu’on voit dans le film, celle prise de loin et l’autre, de plus près, plus nette, ont-elles été tournées à Avignon ?

Do Brunet : La première, oui, c’est à Avignon. L’autre, de meilleure qualité, est de Charles Picq ; elle a été prise à la Maison de la danse de Lyon ; la troisième, dont nous avons parlé, a aussi été filmée à Avignon. Il y avait déjà à l’époque l’idée de la compagnie Astrakan de faire un film.

DCH : Avez-vous utilisé les photos d’archives ?

Do Brunet : Pas dans le film. J’ai revu les photos, y compris les planches-contact. 

DCH : Il y a un passage très fort dans le film, lorsque Sara sort un dossier format A3 avec les dessins de Patrick Bossatti.*

Do Brunet : Ils sont magnifiques.

DCH :  Rehaussés de couleur, à l’aquarelle. Le solo de Sara qu’il avait noté ne fut finalement pas gardé par Larrieu…

Do Brunet : Sara a été très déçue. Mais c’est le cours logique d’une création. On produit du matériau et puis après…

DCH : Cela a donné en tout cas ces dessins de Bossatti. Il y a différentes interprétations possibles de la pièce, ce qui prouve sa richesse ou sa polysémie. La jeune danseuse, par exemple, parle de romantisme. Françoise Michel ne la juge pas romantique mais, au contraire, cruelle…

Do Brunet : Françoise Michel explique pourquoi c’est cruel selon elle : il y a cet arrachement entre les deux mondes qu’elle a marqué avec la tombe dessinée par l’éclairage au sol et les lumières qui coupent l’interprète en deux.

DCH :  Pouvez-vous nous dire un mot de la B.O. de Jean-Jacques Palix et Ève Couturier, qui est très importante pour la pièce ?

Do Brunet : Ils venaient de Radio Nova et ont répondu à la demande de Daniel. Ils ont procédé comme ils faisaient déjà à l’époque avec leurs bandes sonores. 
 

DCH :  Avec leurs mix.

Do Brunet : Leurs mix pour la radio. Ils ont gardé ce procédé pour la pièce. Le choix des morceaux, je pense que cela s’est fait entre eux deux mais ils n’en parlent pas, de ça. C’est vraiment leur tricotage à eux.

DCH : On y trouve du classique, de l’électronique…

Do Brunet : Ils ont déformé certaines voix. Je pense qu’ils ont vraiment traité ça à la façon radiophonique et c’est ça qui est intéressant. 

DCH : Il y a du baroque, du médiéval…

Do Brunet : Plus que du médiéval : de la musique grecque antique ! Et du moderne : les Einstürzende Neubauten, groupe allemand très « trash metal ». Pour faire ainsi se frotter les époques. Daniel Larrieu avait été inspiré par Spirite, le roman de Théophile Gautier. Par le texte et, comme il le dit très justement, par son envie de faire du théâtre.

DCH : Les danseurs ne parlent pas…

Do Brunet : Ils font du playback. La voix de Sara fut enregistrée et fait partie de la bande-son.

DCH : Pouvez-vous nous parler des nouveaux interprètes, de leur formation et de la façon dont ils ont été recrutés ?

Do Brunet : La plupart d’entre eux viennent des CNSMD** de Lyon et de Paris. Marion Peuta, qui prend le rôle de Sara Lindon, dansait déjà avec Daniel sur la pièce précédente. Jérôme Andrieu, son assistant, est dans la compagnie depuis vingt ans.

DCH : C’est un bon client. 

Do Brunet : Oui, parce qu’il connaît tout.

DCH : Et un bon orateur. Il pourrait faire de la politique. Il n’était pas là en 1985 ?

Do Brunet : C’est ce qu’il raconte : il a dû incorporer cette danse en se projetant dans un passé en étant plus armé que de jeunes danseurs débarquant. Il est le lien entre trois époques. Il y a une recrue particulière, Pierre, qui prend le rôle de Didier Chauvin. Pierre est le fils de Didier. De Didier et de moi. Notre fils. C’est assez drôle, et presque psychanalytique. Daniel avait envie de travailler sur la transmission, sur la succession et cela lui paraissait évident d’inclure les descendants des danseurs de 1985.

DCH : La jeune génération est beaucoup plus grande. On n’a pas du tout les mêmes physiques. Sara Lindon ou Laurence Rondoni, à côté des gabarits actuels… 

Do Brunet : Laurence et Élodie Cottet ne sont pas très loin, l’une étant à peine plus grande que l’autre. Elles se ressemblent, je trouve. Mais effectivement, Sara et Marion : il y a deux têtes de différence. Les danseurs ont de nos jours une autre formation, beaucoup plus respectueuse du corps que celle que nous avions nous. En revanche, pour danser cette pièce, nous avons eu du mal à leur demander, et à leur faire toucher la niaque. Nous, nous étions plus rock’n’roll à l’époque, nous étions assez rudes et y allions à fond. Eux sont beaucoup plus respectueux, et c’est tant mieux. Mais la niaque, ça leur manque !

Propos recueillis par Nicolas Villodre, à Paris, le 11 décembre 2021.

Patrick Bossatti (1961-1993), évoqué dans le film, suivit un cursus universitaire en arts plastiques qui le mènera jusqu’à la soutenance d’une thèse de IIIe cycle tout en collaborant à plusieurs publications : Le Gay pied, Les Saisons de la danse et Pour la danse.

** Conservatoire national supérieur de Musique et Danse

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