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« À propos de Dolldrums » de Laure Delamotte-Legrand en collaboration avec Julie Nioche

Dolldrums sera diffusé du 7 au 13 novembre sur notre palteforme de films de danse. Dans le cadre de cette diffusion nous nous sommes entretenus avec Laure Delamotte-Legrand, plasticienne et réalisatrice et Julie Nioche, chorégraphe.

Danser Canal Historique : Avant d’être une vidéodanse ou cinédanse de 45’, Dolldrums a été une expérience de danse à l’école menée dans divers établissements, une installation d’arts plastiques, une série de courts reportages sans dialogues ni voix-off. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film de 45’ terminé en 2019 ?

Laure Delamotte-Legrand : Julie et moi travaillons ensemble depuis vingt ans. Nous nous invitons mutuellement sur nos projets respectifs, moi en tant que plasticienne, Julie en tant que chorégraphe.. C’est une espèce de ping-pong. Pour la genèse de Dolldrums : Julie m’avait invitée en tant que scénographe sur sa pièce En classe qu’elle a initiée justement dans le milieu scolaire. Je me suis confrontée à la classe en tant qu’espace de spectacle. Avec la question qui s’est posée du mobilier scolaire qui est devenu dans le projet de Julie une contrainte par rapport à l’occupation de l’espace, à sa transformation possible, à une autre vie sur place. À l’issue de ce projet, il y avait une question qui m’intéressait, celle du rapport du corps à ce mobilier scolaire, à ces chaises, ces tables, toute cette matière qui était vraiment très lourde spatialement. J’ai répondu à un projet qui s’appelait « Un artiste, un collège » qui permettait d’être invité en tant qu’artiste dans un collège pour y passer un temps assez long. J’ai été retenue sur ce projet et, dans cet aller-retour avec Julie et la manière dont on a l’habitude de travailler, je lui ai dit : « Je veux faire des films avec les enfants autour de ce mobilier scolaire. » Dès le départ, c’était une volonté de films.

DCH : C’était en 2016 ?

Laure Delamotte-Legrand : Oui. J’avais obtenu une résidence de six mois dans un collège, avec des sixièmes. Six mois, c’est long, cela permet d’aller loin avec les enfants.
 

DCH : Julie, comment avez-vous vécu de votre côté cette expérience ?

Julie Nioche : Nous étions d’accord sur le sujet sur lequel nous voulions travailler. Laure est une plasticienne-cinéaste qui travaille beaucoup autour du corps. Moi, je suis une chorégraphe qui travaille beaucoup avec les objets et des outils des arts plastiques. Nous venons chacune d’un champ différent mais nous sommes très portées sur le champ de l’autre. Donc le dialogue se crée assez naturellement, assez facilement. Je savais qu’il fallait travailler sur les corps des enfants, qu’ils puissent se mettre en mouvement et, en plus, qu’ils le fassent devant une caméra. Nous travaillions tout en même temps. On ne pouvait pas dire : « Vous travaillez le mouvement et après vous gérez la caméra ». En fait , c’est un temps qui est long mais il y a quand même l’idée que ce sera pour une caméra. Ce n’est pas la même chose de se préparer à être en mouvement sur un plateau qu’à être en mouvement face à une caméra. Ce ne sont pas exactement les mêmes préparations, ce ne sont pas les mêmes pratiques. Laure a pensé à moi pour ce projet-là parce que nous avions travaillé ensemble dans En classe, parce qu’elle sait que je partage avec elle un désir d’être dans des intentions délicates, sensibles, poétiques, rêveuses, des espaces et des états de corps qu’on ne voit pas souvent, qu’on ne valorise pas beaucoup dans le quotidien. Pour un film, on peut demander aux enfants de faire des choses toutes petites, on peut les faire se concentrer et s’arrêter, sur des temps assez courts. Parce qu’on sait que la caméra va filmer et qu’on va pouvoir être dans des choses qui se coupent.
 

Laure Delamotte-Legrand : Nous avons démarré avec un groupe d’adolescents. Avec un gros temps d’ateliers en arts plastiques, un gros temps d’ateliers en corps et, pour leur faire comprendre qu’à un moment ces deux choses-là se rejoignaient pour arriver au tournage, nous avons établi avec eux, durant six mois, un langage commun. Avec des objets communs, des chaises particulières qui ne viennent pas de n’importe où. Lors des ateliers d’arts plastiques, nous avons travaillé à partir de ces objets, donc les chaises de classe. Je leur ai fait faire tout un travail de montage, démontage, remontage. Je leur ai fait assembler des chaises au scotch. Nous avons fait de nombreux croquis. J’ai dessiné les chaises qui apparaissent dans le film, des objets un peu étranges. Avec Julie, les enfants ont travaillé avec des chaises qu’ils avaient eux-mêmes déjà transformées. Ils étaient tendus vers cet objectif de film. Nous leur avons dit : « Vous êtes nos acteurs, nos danseurs. Ce sera vous, mais pas vous, ça vous dépassera. » Nous les avons amenés dans quelque chose qui les transcendait par rapport à ce qu’ils ont l’habitude de vivre dans l’établissement scolaire. Quand nous avons démarré, les élèves n’osaient même pas se donner la main. Il y avait beaucoup de violence. Assez vite, Julie et moi nous sommes dit les chaises seraient des endroits de rencontre à deux ou à trois, des espaces où nous n’allions travailler que la douceur et la lenteur. Faire en sorte, pendant plusieurs mois, que ces notions entrent en eux. Qu’ils arrivent à se regarder, à faire des choses très simples comme s’appuyer l’un contre l’autre, être en respect du camarade en face, petit à petit constituer des choses mais en petits groupes. Ce processus qui va des arts plastiques aux corps est très puissant dans le chemin que cela fait suivre aux participants. Et lors des prises de vue, ils voulaient tous tourner, ils voulaient tous faire des trucs, ils voulaient retourner plusieurs fois. Il n’y avait plus de difficultés à ce qu’ils se regardent dans les yeux, à ce qu’ils se touchent le corps. Julie a fait un énorme travail avec eux sur la lenteur.

DCH : Pouvez-vous nous parler de la transformation des chaises ?

Laure Delamotte-Legrand : J’ai travaillé avec le métallier Vincent Renaux qui a collaboré à plusieurs projets avec moi. C’est un magicien. Je lui apportais des chaises dans son atelier. Des vraies chaises d’école qui partaient au rebut et que j’avais récupérées dans un collège

DCH : Des chaises en couleur ?

Laure Delamotte-Legrand : Non, en métal gris. La couleur est une chose importante. Je voulais qu’elles soient thermolaquées. C’est aussi cette finition qui a plus aux jeunes Ils voulaient tous monter dessus. L’objet est totalement réaliste. Le rouge est une couleur qui revient tout le temps dans mon travail de plasticienne.

DCH : [à Julie] Vous êtes plusieurs chorégraphes à travailler sur la lenteur en ce moment. Depuis quand cette idée de ralentir le geste vous préoccupe-t-elle ?

Julie Nioche : Ce n’est pas ma seule façon de travailler ! Je travaille aussi sur les limites du corps, avec des sauts que je vais faire faire pendant vingt minutes à des adolescents jusqu’à ce qu’ils s’épuisent... Je ne suis pas que sur ce process. Le travail avec Laure portait sur le doldrum, le moment d’immobilité au cœur d’une tempête. La question était pour nous : quand est-il possible pour un ado, un enfant ou même un adulte, de pouvoir être calme, dans ses pensées, dans sa rêverie, dans un moment d’intimité et de retour à soi. Les moments où l’on rêve, souvent on ne fait pas grand-chose physiquement. On est un peu dans ses sensations. Le rapport à la lenteur est plutôt dans le rapport à la sensation et à l’imaginaire. Avec Laure, nous avons fait pas mal de détours parce que si on se confronte aux adolescents avec la question de la douceur, de la lenteur, de la sensualité, c’est fichu. Ils partent en courant ! On a osé leur parler de connecter un geste avec ce qu’il peut signifier, avec ce qu’il peut donner à ressentir, donner à voir de l’extérieur. C’est le travail de l’interprète. Un danseur travaille sur la forme qu’il va donner avec son corps, avec une intention – moi je travaille beaucoup avec la sensation et l’imaginaire – et sur l’émotionnel.

DCH : Le musicien Éric Thielemans, auteur de la bande-son, était-il au tournage ?

Laure Delamotte-Legrand : Non. Avec lui, comme avec Julie, j’avais un protocole : je faisais un premier montage, très brut, pour qu’il ressente la matière, je le lui envoyais, lui, de son côté, proposait et m’envoyait quelque chose de brut également, je commençais à travailler le montage avec ce nouvel élément, je voyais à quels endroits les choses fonctionnaient, je lui renvoyais le pré-montage. Cel a été un aller-retour comme ça pour, petit à petit, affiner, affiner, affiner et stabiliser à un moment donné un équilibre entre le son et l’image.
 

DCH : Nous n’avons pas parlé des costumes. De ce rouge, là encore…

Laure Delamotte-Legrand : Le rouge, ça date d’œuvres plus anciennes. Je m’étais rendu compte que, pour ce qui est des vêtements, le rouge était la seule couleur qui apparaissait à l’image de manière évidente. Les chaises sont donc arrivées en rouge et les sweats étaient généralement les tenues des adolescents. Dans les impros, ils avaient tendance à se planquer et à mettre la capuche ! À partir du moment où ils mettent la capuche, ils deviennent autres, ils sont invisibles ou ailleurs. Il me paraissait évident que pour les films, il ne fallait pas qu’ils aient leurs vêtements mais qu’ils enfilent quelque chose qui ne leur appartienne pas.


 

DCH : Est-ce vous également qui avez fait le montage du film ?

Laure Delamotte-Legrand : Oui. A.I.M.E. a eu une subvention du ministère de la Culture destinée à des projets vidéo. Il était intéressant d’avoir un film transversal qui soit plus resserré que ceux réalisés pour l’installation. Et de se demander comment y faire apparaître les quatre âges différents. Pour moi, ce sont deux objets très différents. J’ai monté le film et ai eu un nouvel échange avec Éric Thielemans, qui a ajusté les sons provenant des films précédents pour qu’il garde sa cohérence.

DCH : Quel est l’avis de Julie sur le film diffusé par notre plateforme, par rapport aux films de l'installation ? 

Julie Nioche : Je me souviens que notre projet artistique étant fini, j’ai eu cette occasion, avec des soutiens assez spécifiques de vidéos de danse, de demander à Laure si cela pouvait se faire sous une forme plus cinématographique. Que ce ne soit plus une installation mais un film. Ce qui m’importait c’était aussi  pouvoir traduire, de pouvoir témoigner de tout ce travail sur plusieurs années sur le territoire du hors-champ de la danse, et qui là est là sous forme de condensé. C’est un film artistique qui représente aussi ce travail sur la beauté du geste chez des gens qui n(ont pas forcément envie d’être danseurs.

Nicolas Villodre

Propos recueillis par zoom le 3 novembre 2021.

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