Error message

The file could not be created.

À Périgueux, le geste qui danse

Si la 31e édition du festival Mimos occupera une place particulière dans l’histoire du festival, ce sera à cause du passage éclair de François Hollande qui s’arrêta un moment à Périgueux où les rues du centre-ville appartenaient aux artistes. Pourtant, l’intérêt du président se porta sur l’industrialisation agricole, alors que le cru artistique 2013 de Mimos justifie à lui tout seul qu’on en vante les références. C’était le retour des compagnies d’envergure,  des recherches artistiques très poussées et des surprises esthétiques.

A commencer par le retour de Derevo, compagnie russe installée à Dresde en Allemagne et double lauréate du Prix Mimos (1992 et 1998). Mais leur nouvelle production, Harlekin, a fait l’objet d’une controverse. Entre Arlequin, Colombine et le diable, Anton Adassinsky, directeur artistique et acteur principal de Derevo (l’arbre, en russe), a conçu une danse-théâtre très espiègle,  très influencée par la référence aux premières apparitions d’Arlequin, alors assimilé à un personnage des enfers. C’était avant l’invention du joyeux drille populaire, vêtu de losanges de toutes les couleurs. Adassinsky joue un Arlequin d’inspiration foraine et n’hésite pas à découper son manteau. Irrévérencieux, malmené par Colombine, il laisse libre cours à ses appétits et ses malices. L’esthétique est souvent artisanale, l’attitude réfractaire et provocatrice.

Ce voyage à travers les siècles et les diverses représentations d’Arlequin ne manque pas de fascination. Mais il est présenté sur un plateau presque vide, alors qu’on connaissait la compagnie pour ses images à couper le souffle et une intensité de la présence corporelle, proche du butô. Ici, les images sont moins denses et offrent  moins de magie et de mystère visuels. Mais Adassinsky en lutin survolté offre une danse saisissante. Sauf qu’à l’arrivée, ce kaléidoscope un brin sanguinaire essuya un rejet. Bousculent-ils trop notre image d’Arlequin pour que le public français veuille bien les suivre?

Il y avait des spectacles beaucoup plus consensuels à Mimos. Lebensraum  de Jakop Ahlbom, nouveau chouchou du théâtre burlesque et gestuel européen, est inspiré de Buster Keaton. Les trois acteurs impressionnent avec humour, maîtrise corporelle et jeu muet. Sous couvert d’un hommage au cinéma muet, ce feu d’artifice de coups de théâtre et d’acrobaties interroge notre rapport à l’intelligence artificielle. Dans un scénario du type Frankenstein, les deux hommes (s’agit-il des deux faces d’une même personne?) perdent le contrôle du robot domestique qui devait leur servir de bonne à tout faire. La femme prend conscience d’elle et le contrôle de la situation. On rit  aux éclats. À revoir le 5 décembre à Champs-sur-Marne, Salle Jacques Brel.

Et si ce n’est pas une femme-robot qui se rebelle, ce sont les vieux, dans la rue. Dans Issue de secours de la Cie Adhok, sept septuagénaires, s’échappent d’une maison de retraite, leurs plateaux-repas à la main. Le petit déjeuner attendra, ils vont chanter et danser avec les passants et monter sur les barricades. Le ballet  des pots de yaourt se transforme en Carmagnole. Chacun(e) a de l’énergie pour trois jeunes, ce qui donne la plus touchante des révoltes en place publique. Ceux qui y avaient assisté en faisaient le sujet premier de toutes leurs conversations.

Chantal Achilli qui assume désormais seule la direction artistique remet le festival sur les traces de la création au sommet de l’art gestuel. Mais le lien avec la création chorégraphique n’est pas coupé. La danse est présente dans les rues et les espaces verts de Périgueux. Sept femmes de tous les âges s’adressent à sept spectateurs masculins, en font leurs confidents, partenaires ou adversaires et les intègrent dans leur aire de danse: « Dis-le moi », disent-elles. Mais c’est elles qui parlent de la condition féminine, en exprimant par la danse les états d’âme de la vie d’une femme, des plus tendres aux plus violents.

Seule artiste du festival à danser en extérieur et en salle, la Coréenne Sun-A Lee ne s’est pas contentée d’envoyer des Waves  d’une énergie redoutable, sur une pelouse, en plein soleil. En salle, elle s’est montrée tout aussi nuancée dans sa gestuelle, doublant sa recherche sur le mouvement d’une approche sensible de la narration.  Dans « Touch ! », une pièce très poétique à la frontière entre la présence et l’absence, elle embarque le public dans un voyage intérieur qui permet de remonter à la source même de l’émotion, ce qui est plus que rare en danse contemporaine. Et Arlequin n’aurait pas hésité à reconnaître en elle sa Colombine rêvée. Waves  est à revoir le 15 septembre à Biarritz (Le temps d’aimer) et le 17 septembre à Arcachon (Cadences).
Thomas Hahn

Catégories: 

Add new comment