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Peeping Tom à l'Opéra de Paris : Entretien

Peeping Tom, la compagnie fondée par Gabriela Carrizo et Franck Chartier est la compagnie invitée de l'Opéra de Paris du 7 au 11 juin 2023 avec Triptych. Nous les avons rencontrés.

Danser Canal Historique : Quelle est la genèse de ce Triptych?

Gabriela Carrizo : Au départ, nous n’avions pas l’idée de faire un triptyque, car il s’agissait d’une commande du Nederlans Dans Theater (NDT) en 2013. C’était la première fois que je créais pour une autre compagnie que Peeping Tom. Avec le NDT et ses danseurs à la technique incroyable, c’était un autre monde. La pièce devait être courte, car présentée dans un programme composé. Nous ne pouvions donc pas imaginer un grand décor comme à notre habitude car il fallait pouvoir le monter et le démonter rapidement. 

Franck Chartier : J’aimais l’idée de Gabriela de faire un set de cinéma, donc un décor très réaliste, une sorte de théâtre dans le théâtre, une sorte de couloir avec des portes, assez abstrait. Les personnages entrent dans cet espace, et s’entourent d’objets ou manipulent les lumières et sont les acteurs de cette fiction.

DCH : Quelle en est le sujet ?

Gabriela Carrizo : Ça commence quelques secondes avant la mort d’un personnage. Les spectateurs découvrent ce qu’il se passe dans sa tête. C’est une sorte de flash back, qui raconte l’histoire d’un couple, avec d’autres personnages, peut-être fantômes, qui vivent dans cet endroit, habité par d’autres souvenirs. Mais déjà on comprend qu’il s’est passé un drame, une petite mort, dans cette histoire de couple. Ça se devine par le montage, dans le mouvement même où il y a des arrêts, des moments figés, comme si c’étaient des photos ou des moments de décalage, où les choses ne sont pas synchrones.
 

DCH : Comment en êtes-vous arrivé à le développer ?

Franck Chartier : le NDT m’a invité à faire une autre création. Nous avons pensé pourquoi ne pas faire la suite ? Je m’étais attaché aux personnages de la pièce de Gabriella, et j’avais envie de les développer. Je répétais à La Haye, il y avait des bateaux, beaucoup de mouettes, je logeais dans un appartement au dessus d’un canal, c’était très inspirant. J’ai eu l’idée de placer ce couple initial sur un bateau, dans une cabine, The lost room, et d’entrer un peu plus dans l’intimité de ce couple. Nous avons expérimenté les changements de décor cinématographiques d’une scène à l’autre, afin que les transitions se déploient en nouvelle donnée dramaturgique.Le bateau c’est aussi un confinement. Le couple est enfermé, avec des gens pas nécessairement choisis. Comment réagir ? Que vit-on dans ce huis-clos. Pour nous ce sont toujours des problématiques attirantes.

Franck Chartier :Pour la troisième partie quand le NDT m'a sollicité de nouveau, j’aimais bien l’idée que ce couple prenne ce bateau. Pour quelle raison ? Ç'est resté flou dans la pièce. J’ai développé plusieurs scénarios, la femme est malade et ils partent faire une croisière , ou ce sont leurs souvenirs, ou l'homme part seul sur ce bateau, et se rappelle… Est-ce simplement un couple de migrants qui va vers un avenir meilleur ? J’aimais cette idée d’avenir meilleur, de partir pour aller mieux, vers un but... Mais, quelque chose se passe, et ça ne va pas comme prévu. Dans cette troisième partie, ils sont à la dérive, à la dérive du temps, des courants d’eau, les courants marins, ceux du vent, et ils sont perdus, aveugles, dans cette immensité de l’océan. Ensuite nous avons amplifié et aspect : Et s'ils étaient à la dérive pendant dix ans, ils n’ont plus rien à manger... Ils sont au restaurant et le bateau commence à couler, tout est humide, il y a de l’eau sur scène, les plantes commencent à pousser sur les murs. Comment l’amour va survivre à cette situation extrême ? Quel est le plus fort de l’amour pour soi ou pour les autres, quelle est la limite ?

DCH : Comment amenez-vous ces atmosphères, ces images qui sont parties intégrantes de votre signature ?

Gabriela Carrizo : Outre la lumière, l’espace, le temps, c’est la situation, la façon de transformer le mouvement, qui vont nous faire décoller de la réalité, en devenant plus fantastique ou du domaine de l’inconscient. Avec des effets techniques, on peut opérer des zoom par le travail de la lumière, ou du son. Pour nous, le son est très important. Comme pour un film, la musique conditionne l’image. Permet de se focaliser sur un détail. Un petit son amplifié transforme une scène. Le bruit d’une poignée de porte peut suffire à déclencher la peur. Pour ce triptyque, nous avons travaillé avec Raphaëlle Latini qui est française et explore vraiment cet aspect-là du son, le design sonore.

DCH : Vous avez une façon de travailler la gestuelle qui donne l’impression que c’est la pensée qui conditionne le mouvement, qui le distord, … Comment travaillez-vous ces effets avec les interprètes ?

Franck Chartier :  Nous aimons bien le mot transformation car c’est dénaturer la forme humaine et la modifier en quelque chose qui n’est pas reconnaissable, ou qui va justement nous faire partir dans un autre espace, à l’intérieur de notre tête ou de notre inconscient.

Gabriela Carrizo : J’appelle ça la pensée en mouvement parce que la pensée n’est pas linéaire, elle est mouvante, pleine de contradictions. Passer d’une émotion à l’autre peut ne prendre qu’un quart de seconde. L’humain est très complexe et nous essayons de transcrire cette particularité par le mouvement. Par des recherches spécifiques, notamment sur la restriction du temps. Ce n’est plus un danseur, c’est un personnage, quelqu’un de normal, qui vit avec sa femme, qui va au travail…  Donc il faut rendre la physicalité plus humaine, et donc bien sûr, cette histoire de distorsion, de métamorphose, qui les amène à se tordre, à se contorsionner, c’est aussi très lié à ce qui leur arrive. Pourquoi cette femmes sent que ses os se liquéfient, qu’elle est plus lourde ? Parce que c’est lié à ses sentiments, à ce qu’elle est…

DCH :Pourquoi ce goût du triptyque  (Le Jardin, le Salon, Le Sous-sol ; Vater, Moeder, Kind ?) ?

Gabriela Carrizo :C’est l’idée que ce n’est jamais fini, de vouloir attendre la suite, ou d’envisager une autre possibilité, autre hypothèse de ce qui aurait pu se passer plus tard, dans un autre temps.

Franck Chartier : Ça fait partie de notre processus de création. Nous créons instinctivement, c’est une suite d’idées, par rapport au monde. Peut-être aussi parce que nous sommes trois dans la famille, nous avons un enfant.

DCH : N’y a-t-il pas dans vos triptyques un parallèle avec la disposition d’un retable ? Un tableau central, et sur le côté deux panneaux qui l’enrichissent et le commentent ?

Gabriela Carrizo : Il y a cette idée de tableaux, parce que dans la scénographie, c’est un autre temps, avec les mêmes personnages, dans les idées picturales, tous les personnages sont liés, sauf que le retable peut se voir ouvert ou fermé.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Du 7 au 11 juin 2023 au Palais Garnier -  Opéra national de Paris

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