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Paris L’Été en toute liberté

Difficile de ne pas être reconnaissant à Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, directeurs de Paris l’Été, d’avoir proposé en dépit des contraintes et des obstacles liés à la pandémie de Covid-19, une version ( très !) réduite, mais une version tout de même, de leur festival annuel estival. Les deux complices, par ailleurs aux manettes du Montfort, ont en effet réussi à monter en très peu de temps un programme rebaptisé pour l’occasion Paris L’Été en toute liberté et sis pour l’essentiel dans les cours du lycée Jacques Decour, à Paris 9e. Certes, avec seize compagnies sur cinq jours, rien de comparable aux trois semaines et trente-deux lieux habituels de la manifestation. Mais après quatre mois de disette et de vidéos, l’assurance de renouer enfin avec le spectacle vivant.


Toutefois, au lendemain de la soirée d’ouverture le 29 juillet, on ne pouvait s’empêcher d’éprouver non seulement une certaine déception mais une relative inquiétude. Sur le papier pourtant, le menu était alléchant : une carte blanche à François Alu, désormais étiqueté « le » danseur classique « hors-normes », prodige en prouesses techniques et en dérapages inventifs. Lequel proposait quatre Histoires dansées, vocable désignant aussi bien La Mort du Cygne et Les Bourgeois de Ben Van Cauwenbergh qu’une création maison. Apte à séduire tous les publics, ce mélange éclectique était en tous points conforme à l’ADN du festival parisien. Il était précédé d’une autre carte blanche, donnée cette fois au one man shower Sébastien Barrier, présenté comme « venu à la scène par le biais du cirque et des arts de la rue » et qui promettait, entre deux prises de parole, une dégustation de vins naturels et des mini conférences sur le post punk anglais. Pourquoi pas, se disait-on avec une curiosité gourmande.
Las ! Passé le plaisir de retrouver quelques habitués du monde de la danse partageant la même impatience joyeuse au moment d’un lever de rideau tout ce qu’il y a de plus virtuel (la scène se réduisant à un podium ouvert), l’excitation laissait vite place au désenchantement. Au part le fait de « tenir » 1h45 durant en parlant de tout et de rien, en chantant ça et là quelques hits des Sleaford Mods, et en apostrophant régulièrement les spectateurs inattentifs qui lui faisaient face, allongés dans leurs transats, Sébastien Barrier n’a pas vraiment convaincu. Et lorsqu’à 22h, commençait enfin le spectacle de François Alu, une partie du public avait déjà déserté les lieux.

Tant attendue, cette deuxième partie ne tenait malheureusement pas toutes ses promesses. Certes, on ne pouvait s’empêcher de ressentir un frisson d’émotion lorsque s’avançait sur la scène de la cour du fond, en tutu blanc, la jeune quadrille de l’Opéra de Paris Luna Peigné pour interpréter La Mort du Cygne. Une danseuse « en vrai », pour la première fois depuis si longtemps ! Mais il faudrait un répertoire et une scène plus adaptés pour juger vraiment des qualités de la jeune fille. Quant aux prestations de François Alu, que ce soit dans le pas de deux suivant, une Sylphide revue par ses soins, ou dans le solo final des Bourgeois, leur manquaient ce je ne sais quoi et ce presque rien qui transforment habituellement ses suites de pirouettes – en l’occurrence ici sur un plancher inadapté – en vrai moment de grâce. Sans parler de sa création, Chers parents, dont on peinait à comprendre le sens.


Le timing incohérent de l’ensemble n’arrangeait rien : chaque prestation de quelques minutes était entrecoupée des interventions d’un Sébastien Barrier chargé de « meubler », comme il l’annonçait lui-même, quitte à réciter la liste des élèves du lycée Jacques Decour morts à la guerre... Sans compter un entracte de 30 minutes dans la cour précédente, sous forme de DJ set, qui contribuait à casser le rythme. Soit au total, vingt minutes de danse sur 1h30 bien tassée de spectacle, ratio pour le moins insuffisant après tant de mois d’abstinence. Qu’on ajoute à cela le fait que cette seconde partie se regardait debout, sans chaise ni coussins avec une visibilité de ce fait aléatoire (et une distanciation difficile à respecter !), et l’on comprendra le désappointement de nombre de spectateurs.
L’ambition louable d’offrir un moment de fête mérite quoi qu’il en soit d’être soulignée, et on s’en veut de devoir ici jouer les rabat-joie. Mais cette demi soirée, à tous sens du terme, faisait surtout naître une crainte sourde : celle d’une rentrée à son image, c’est à dire placée sous le signe des restrictions sanitaires et de ce fait privée des moyens indispensables à la satisfaction des artistes, comme à celle du public.
Isabelle Calabre
Vu au Lycée Jacques Decour à Paris le 29 juillet 2020.
 

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