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Papaioannou et Øyen : créations 2018 au Tanztheater Wuppertal

Deux prodiges du Tanztheater contemporain croisent leurs univers respectifs avec celui de Pina Bausch et des interprètes, anciens et nouveaux, de la compagnie.

Avec le licenciement surprise d’Adolphe Binder [lire notre article], les deux créations 2018 du Tanztheater Wuppertal, sous la direction de Dimitris Papaioannou et d’Alan Lucien Øyen, resteront dans l’histoire de la compagnie comme les prémices d’une redéfinition totale.

Le limogeage de Binder n’est pas son échec personnel, mais celui d’une structure administrative qui ne pouvait fonctionner que sous Pina Bausch elle-même, quand personne n’aurait pu avoir l’idée de remettre en cause la fondatrice dans son rôle de directrice artistique.

Bien entendu, la compagnie continuera de danser les deux pièces nouvelles, en même temps qu’elle fera vivre le répertoire de Pina Bausch. Chacune des deux pièces créées sous l’impulsion de Binder croise l’univers du chorégraphe invité avec celui de la fondatrice. Les deux pièces sont donc naturellement très différentes l’une de l’autre et élargissent l’identité artistique de la compagnie. Elles s’avèrent même être complémentaires.

Du Tanztheater, le chorégraphe de Still Life [lire notre critique] et The Great Tamer [lire notre critique] souligne, à sa façon personnelle, non sans quelques belles citations du répertoire bauschien, avec sa passion pour la relation hommes-femmes, les belles robes, les chaises et les décors monumentaux. Øyen, le jeune chorégraphe et  metteur en scène norvégien (récemment révélé à Chaillot - Théâtre National de la Danse, lire notre critique), met en avant la polyvalence de la troupe entre interprétation chorégraphique et dramatique.

De la grande génération d’interprètes de Wuppertal, Since She réunit Ruth Amaranthe, Ditta Miranda Jasjfi, Azusa Seyama, Michael Strecker et autres Ophelia Young, alors qu’Øyen a pu travailler avec Regina Advento, Rainer Behr, Nayoung Kim, Nazareth Panadero, Helena Pikon, Tsai-Chin Yu  et Julie Shanahan. Et chacune de ces moitiés de l’ensemble travaille en cohésion parfaite avec la jeune génération qui sera  le Tanztheater Wuppertal de demain.

Papaioannou en osmose bauschienne

Since She : Elliptique, le titre fait allusion à la disparition de Pina Bausch et en même temps à son à œuvre, à quatre décennies de création qui nous engagent à porter sur l’être humain un regard sans complaisance, mais empli de tendresse.

Since She se réfère  à ce legs universel avec un flot d’images où fusionnent les dimensions tragique et grotesque de la condition humaine.

On y croise un bouc, une méduse, la toison d’or, un centaure et un ou deux Ulysse. Une femme en robe de soirée est traversée de flèches qui s’accumulent jusqu’à la transformer en boule solaire. Un homme - un Sisyphe ? - empile les chaises sur son propre corps jusqu’à ne plus tenir en équilibre sous leur poids, jusqu’à s’effondrer au milieu de ces vestiges de Café Müller. Les hommes s’adonnent parfois à des moments d’oisiveté méditerranéenne et l’ensemble donne l’impression que Pina se serait rendue à Athènes pour y puiser des inspirations pour une nouvelle pièce « de voyage ».

Le décor, une montagne de matelas sombres, rappelle aux uns les monuments scénographiques de Peter Pabst, réalisés pour Pina Bausch et aux autres la scénographie de The Great Tamer.

Comme dans The Great Tamer, Papaioannou nous surprend sans cesse, en multipliant les actions simultanées dans différents coins du plateau. Comme Bausch, il a ce don à résumer la condition humaine, d’un regard universel et pragmatique à la fois. Et il enchaîne les tableaux à la manière de Pina, sans forcément construire une narration d’ensemble.

On sent chez Papaioannou que son propre univers est suffisamment personnel, fortifié et structuré pour pouvoir se superposer à celui de Pina Bausch dans un équilibre parfait. Le prodige grec maintient aussi son propre format, dans lequel il est à l’aise. Since She est une pièce d’une heure et vingt minutes, alors qu’Øyen adopte l’approche monumentale wuppertalienne: trois heures et demi de spectacle avec, bien sûr, un entracte.

Øyen dans une toile narrative

La complémentarité entre les deux visions du Tanztheater s’inscrit aussi dans le rapport à la narration. Chez Papaioannou, elle existe dans le dialogue avec les mythes antiques et  celui de Bausch.

Øyen adopte d’emblée une approche beaucoup plus théâtrale et tend des fils narratifs qui ne cessent de se croiser, de s’entrechoquer, de se perdre et de ressurgir. Il les tisse à partir d‘histoires de couples, d’espionnage, de coups de fil, de mystères et de la présence de la mort.

Où chaque interprète est autant acteur que danseur, où on parle, où les prénoms sont les mêmes à la scène et à la ville, où la danse surgit comme de l’inconscient, quelque part entre le réel et le rêve, rappelant les ambiances et la sève poétique d’une Carolyn Carlson.

Tous les fils suggérés dans la première partie auraient mérité d’être démêlés après  l’entracte. Au lieu de quoi la pièce perd le fil, dans les souvenirs et les émotions des protagonistes ou dans des évasions superflues. Mais Øyen et la troupe en étaient encore à la première, avec une pièce qui était, pour les anciens de la troupe, une première  collaboration à Wuppertal avec un autre chorégraphe que Pina Bausch.

Reste à savoir si le travail nécessaire pour resserrer la pièce sera possible malgré le départ d’Adolphe Binder. Entretemps, la pièce n’a toujours pas reçu de titre et selon Øyen, elle n’en aura pas, restant donc : Neues Stück II. A quand une Nouvelle pièce III ? Et qui en sera le ou la chorégraphe ?

Thomas Hahn

Pièces vues le 2 juin 2018  à l’opéra de Wuppertal (Neues Stück  II) et le 20 juin 2018 au Stadsschouwburg d’Amsterdam, dans le cadre du Holland Festival (Since She).

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