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« Orbes » de Jordi Galí au Musée Rodin

Alors qu'une exposition explore les liens du célèbre sculpteur avec la danse, le chorégraphe catalan donne à ressentir les jeux de tensions qui sous-tendent les agencements de la matière. On s'y laisse prendre.

Il n'y avait rien de très facile dans le contexte de création de la pièce Orbes, de Jordi Galí – chorégraphe catalan installé à Lyon, et pour trois ans artiste accompagné par la Briqueterie, CDC du Val-de-Marne en banlieue parisienne. Cela se déroulait dans la cour d'honneur du Musée Rodin, sur un sol pavé inégal, sous soleil et chaleur oppressants, en plein jour sans lumière dédiée ni musique, devant un public qui n'était pas venu pour ça – quoique tout à fait aimable. Pour conclure cette liste de handicaps, la monstration des structures fines et complexes de Orbes se fait là dans une ouverture à tous les vents, qui n'a rien pour focaliser et encourager l'attention.

Pendant tout un temps, les opérations conduites par les cinq danseur.se.s, nous sont restées comme translucides ; sans qu'elles parviennent à accrocher vraiment notre regard. Du reste, ces évolutions relèvent de principes plutôt austères, de source directement mathématique. Cela détermine une très longue suite de cent vingt modules qui s'élaborent, se figent pour des laps de temps assez brefs, avant de se désagréger pour laisser place à la configuration suivante. Les cinq corps s'y rejoignent (parfois en unités moins nombreuses), et s'articulent en composant des sortes de bas-reliefs vivant.

 On se trouve au Musée Rodin. Celui-ci est en train de consacrer une exposition remarquable à la place qu'aura occupée l'art chorégraphique dans le regard et le mental du sculpteur. Intuitivement, on ressent que cette présentation d' Orbes a été intelligemment choisie pour y faire écho. Puis notre œil finit par s'accrocher par le détail. C'est parfois une très bonne voie pour s'ouvrir au geste scénique.

Dans cette pièce, un détail réside dans l'ajustement auquel consent, subrepticement, l'un.e des interprètes, pour mieux caler sa propre installation ; en définitive mieux assurer la tenue de l'architecture d'ensemble. Du genre : relever plus haut à l'arrière du mollet d'un.e partenaire, un cou de pied jusque là retenu contre l'arrière de la cheville de ce.tte même partenaire. Presque rien. Et pourtant... Du genre : relever plus haut à l'arrière du mollet d'un.e partenaire, un cou de pied jusque là retenu contre l'arrière de la cheville de ce.tte même partenaire. Presque rien.

Ce détail donne l'alerte : le tableau d'ensemble qui s'est élaboré avec rapidité relève d'un agencement. Il ne tient que par un jeu complexe, extrêmement ressenti et généreux, de tensions et de forces qui se répondent entre les interprètes qui y prennent part. Sans quoi, pris.e individuellement, chacun.e se retrouve souvent au bord extrême d'un déséquilibre, ou d'une segmentation, qui ne pourrait tenir sans être retenue, assurée, sous-tendue, supportée, contre-balancée, au sein de l'éphémère structure d'ensemble.

Pour autant, il ne s'agit pas de prouesse circassienne ; juste d'une intelligence collective articulée, très généralement répandue dans les situations de danse de groupe, à ceci près qu'elle est ici donnée à apprécier dans la suspension, la traversée fugace d'un état d'immobilité. On l'envisage alors de manière singulière. Depuis cette base, l'esprit déborde : puisqu'on se trouve dans un musée de sculpture – et bien qu'il ne s'agisse absolument d'en reproduire en "live" une sélection d'œuvres figées – la curiosité s'éveille toutefois, à soupçonner que la matière ouvragée, même d'apparence massive et pondérale, relève toujours encore d'une saisie complexe de forces vivantes, en action et en tension.

On aime que la danse suggère de capter différemment les lois diverses d'un rapport au monde, souvent non perçu, négligé, peu pensé. Orbes s'acquitte fort bien de ce projet d'émancipation perceptive. Finalement, on ne s'y ennuie pas du tout.

Gérard Mayen

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