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« Nouvelles pièces courtes » de Philippe Decouflé

Pour entrer dans la nouvelle année, Chaillot-Théâtre national de la Danse affiche un programme festif avec les Nouvelles pièces courtes de Philippe Decouflé. Un kaleïdoscope d'images et d'idées...

Nouvel artiste associé à Chaillot, Philippe Decouflé en est également un des plus fidèles complices. Sa danse malicieuse et inventive y fait depuis toujours merveille et revient en fanfare cet hiver et au printemps !

Son nouveau spectacle est composé de plusieurs pièces courtes, reliées par le fait qu’elles sont écrites par le même auteur, interprétées par les mêmes artistes et présentées le même jour. L’attachement aux formats courts de Philippe Decouflé lui vient du rock’n roll : « des morceaux brefs et efficaces gagnant en puissance ce qu’ils perdent en longueur »

On peut trouver que la deuxième partie de l’opus Nouvelles pièces courtes jure avec la première sans pour autant l’annuler. Elle n'a rien de commun avec elle ou avec la danse et apporte la preuve que l’abondant chorégraphe Decouflé peut, lui aussi, de temps en temps, faillir. Il faut dire que les tableaux inaugurant le spectacle de fin d’année du Théâtre national de la danse sont d’un niveau technique et d’une qualité de mouvement indépassables.

La « séquence sur le Japon », encadrée de sketches un peu désuets (façon ceux du film Ziegfeld Follies) avec passagers évoluant au rythme alenti et au son sucré de la Samba de Una Nota Só de Jobim dans un hall d’aéroport puis à l’intérieur d’une cabine de long courrier, section que Philippe Decouflé voudrait « développer » pour la « porter au cinéma », gagnerait, selon nous, à être, au contraire, raccourcie ou chantournée en brèves saynètes à redistribuer comme les indispensables temps faibles du corpus dansé. Le « format » (ce mot étant depuis quelque temps devenu synonyme de durée) y gagnerait à coup sûr. La liste des courses de la touriste épatée en pays nippon, exercice de style oulipien au « comique pas drôle », a la puérilité des ciné-ballets des années 50, des numéros de variétés bossanovesques des sixties, des scènes de comédies ou de musicals « stylisés » par un Blake Edwards, un Bob Fosse ou un Benny Hill.

Pour le reste, comment résister au kaléïdoscope d’idées et d’images se métamorphosant, s’incarnant ou s’intriquant les unes dans les autres à vue, en direct live, enrichies de playback, de feedback et de boucles audio-visuels ? Nulle nécessité, selon nous, de « passer » au film puisque le 7e Art est déjà là, sous nos yeux, renforcé par le risque réel pris par les interprètes échappés, dirait-on, des meilleurs cirques de la planète, souligné par les clips transitionnels d’Olivier Simola et Laurent Radanovic, mis en abyme par les pastiches d’émissions de télé plus vraies que nature – du deuxième degré au carré.

Galerie photo © Laurent Philippe

Dans le cas présent, la magie ne paraît donc pas un terme galvaudé, appliqué au show par commodité, pas même le fil rouge ou prétexte aux improbables prouesses. Elle est une composante qui, les minutes s’égrenant, prend consistance et même dimension historique, archéologique, fondant le spectacle en le démontrant et le démontant.

Le savoir-faire du chorégraphe est tel qu’il peut se passer des moyens dont abusent nombre de ses confrères cherchant à en « mettre plein la vue ». Il n’hésite pas à employer les trucs du XIXe siècle (et d’avant), comme les trappes d’où émergent des corps métonymiques (= des têtes et des jambes) et autres signes thaumaturgiques. Les filins, exhibés comme tels, permettent à la Sylphide de nier l’évidence – la gravité de la situation ou de notre condition. Le numéro de voltige de Suzanne Soler, emblématique, est magnifié par d’amples mouvements de voiles fantomatiques spatialisés par Mathias Delfaux, rappelant la danse serpentine 1900. Le trompe-l’œil résulte, là est le luxe, des choses les plus simples, comme, par exemple, du cache-cache corporel quasiment siamois entre deux danseuses synthétisant Shiva. Dans une suite d’enchaînements accumulant les contraintes acrobatico-musicales, faisant fi du déjà-vu, Meritxell Checa Esteban, Julien Ferranti, Aurélien Oudot et Violette Wanty inventent une routine d’enjeux virtuoses à la Chico Marx.

Galerie photo © Laurent Philippe

De manière subtile, le chorégraphe rend hommage à sa mère. Et aussi, peut-on penser, à Jean-Christophe Averty, disparu avec l’année, lorsqu’il traite son décor tout en aplat. Alban Ho Van réduit ainsi sa scénographie à une muraille du fond d’une douzaine de portes, ouvertes, entrouvertes ou fermées ou, si l’on veut, de volets verticaux pivotant sur leur axe – de paravents, au sens où l’entendait Gordon Craig –, laissant filtrer la lumière du contrejour, réfléchissant celle des vidéoprojecteurs. La précision diabolique des éclairages de Begoña Garcia Navas attirant le regard sur un punctum, le détournant aussi avec l’efficience de coulisses en dur et la gestuelle légère, moelleuse, relaxe de l’élève de Nik font le reste – meublent l’espace et la durée. Le pas de trois inaugural est d’une virtuosité circassienne à peine concevable (cf. la performance contorsionnée d’Aurélien Oudot).

Galerie photo © Laurent Philippe

On découvre que Decouflé peut (pourrait, s’il le voulait) chorégraphier du... classique lorsqu’il met en scène le travail à la barre en tant que tel ou son morceau de bravoure filial sur la musique de Vivaldi (le Stabat Mater et le Concerto pour deux mandolines en sol majeur), toute la troupe étant costumée en un style néo-médiéval imaginé par Laurence Chalou et Jean-Malot – avec les secousses de chevelure de deux danseuses clignant de l’œil au headbanging des adeptes de metal du film Jeannette. Les corps d’un corps de ballet de tous genres, acabits, gabarits, de la sorte enluminés, peuvent alors produire leur élégante sarabande.

Nicolas Villodre

Vu à Chaillot-Théâtre national de la Danse le 30 décembre

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