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« Nouvelle histoire de la danse en Occident » aux Éditions du Seuil

Comment s’écrit l’histoire de la danse ? Voici une nouvelle approche, parue sous la direction de Laura Cappelle.

Pour des raisons évidentes, il est plus aisé d’écrire l’histoire de la peinture ou de la musique, et même du théâtre, que celle de la danse. Forcément, la mémoire de la danse s’écrit de façon subjective. Le plus souvent involontairement, et parfois volontairement. Pour mieux assumer le caractère subjectif de toute historiographie de la danse, les  Éditions du Seuil publient, sous la direction de notre consœur Laura Cappelle, Nouvelle histoire de la danse en Occident – de la préhistoire à nos jours, ouvrage faisant suite à Histoire de la danse en Occident de Paul Bourcier, paru chez Le Seuil en 1978. Non dans le simple sens d’une mise à jour, mais pour changer d’approche. 

Laura Cappelle a fait appel à vingt-cinq spécialistes français et internationaux, chercheurs en danse autant qu’en préhistoire et civilisations anciennes. Sans oublier que la directrice de cette « Nouvelle histoire... » est elle-même sociologue autant que journaliste de danse. Multiplier les points de vue, c’est déjà aller dans le sens d’une décolonisation et ouvrir la voie à une approche moins monolithique, même si, comme Cappelle l’admet, « S’arrêter à l’Occident, à l’heure où les recherches s’accélèrent sur d’autres aires géographiques, peut sembler artificiel. » Mais même sur 350 pages et en 27 chapitres, il n’était « pas possible de rendre justice à la complexité de la danse sur les continents asiatique ou africain en un seul volume. » 

Des accents de contre-histoire

Toute approche de l’histoire de la danse ne peut qu’être un appel à l’humilité. William Forsythe, qui signe la préface, souligne l’importance de l’histoire sur la création : « Il est important de savoir d’où on vient et à partir de quoi on crée. Ma compréhension de l’histoire de la danse informe tout ce que je fais en studio. » Et une compréhension personnelle ne peut se forger que si l’on permet aux regards les plus divers de s’exprimer. Mais seuls les chercheurs peuvent nourrir leurs réflexions en explorant les bibliothèque et autres archives. Ce nouvel ouvrage est une invitation à chacun de confronter sa sensibilité aux approches diverses et à quelques surprises. Par exemple, on a quasiment à faire à une contre-histoire de la danse quand le regard de l’historienne Elizabeth Claire sur la pratique et la mauvaise réputation de la valse après la Révolution de 1789 précède le récit de L’Avènement du ballet romantique par Sylvie Jacq-Mioche (docteure en esthétique et historienne du ballet), qui fait basculer dans l’histoire de la danse d’auteur, à partir de l’Opéra de Paris. 

L’ouvrage a fait l’objet d’une présentation au festival Le Temps d’aimer, à Biarritz, en septembre 2020, par un dialogue entre Laura Cappelle et Thierry Malandain, où le directeur du Centre Chorégraphique National, lui-même très impliqué dans la documentation historique (il signe un long article sur l’histoire de la danse à Biarritz dans chaque numéro du journal du CCN), déclara : « En arrivant à Biarritz, j’ai voulu me rendre compte de son passé chorégraphique prestigieux pour faire le lien avec le public, en présentant les figures qui ont marqué Biarritz. J’ai constaté qu’il n’y avait pas d’archives locales et qu’il y a une histoire officielle qui est mensongère. Notre histoire de la danse est centrée sur l’Opéra de Paris et n’a jamais fait part de la province qui a toujours été très vivace en matière de créations. Le livre de Laura Capelle répare une partie de cette faute. » 

Surprenante fin de siècle

Si plusieurs contributions creusent le monde du ballet romantique qui se met à dominer la perception de la création chorégraphique à travers l’Opéra de Paris (de Pierre Gardel à Jean Coralli, Marie Taglioni) et l’œuvre de Marius Petipa, elles sont suivies d‘un véritable pas de côté par Hélène Marquié qui invite à une relecture de la fin du XIXe siècle. La chorégraphe, professeure à Paris 8 et spécialiste des études de genre détaille une effervescence de styles et de formes en cette fin de siècle, « loin des stéréotypes qui lui sont associés » notamment d’avoir été « une période de décadence, pendant laquelle le ballet serait devenu indigent et la danse réduite à des divertissements... ». Et ce ne sont pas seulement les Fuller et Duncan, mais aussi les music-halls et cafés-concerts qui « rivalisent d’inventivité dans la production chorégraphique ». En somme, « une période féconde, porteuse des mouvements chorégraphiques ultérieurs ». 

Marquié esquisse aussi ce qui définit l’approche de cette Nouvelle Histoire..., à savoir la nécessité de redéfinir « le rôle de l’historienne et de l’historien qui n’est peut-être pas d’être critique d’art et de sélectionner, encore moins en se fondant sur une tradition historiographique, mais plutôt de tenter de restituer une histoire dans son épaisseur et ses reliefs. » Ce qui nous amène au XXe siècle avec ses cataclysmes, où l’on pouvait encore distinguer des approches différentes selon les sphères géographiques et culturelles, au moins jusqu’à ce que, à la fin, l’ouverture et les échanges croissants, les frontières géographiques et artistiques deviennent de plus en plus perméables. 

La même époque sert d’exemple pour une autre ambition de Laura Cappelle, à savoir de réparer quelques omissions dans l’historiographie chorégraphique, notamment vis à vis des femmes. C’est sans doute la première fois que beaucoup d’entre nous entendent parler d’une certaine Mariquita, étoile au Théâtre de la Porte Saint-Martin et aux Folies-Bergère, et puis maîtresse de ballet créant 41 ballets-pantomime. Elle assuma aussi la direction du Palais de la danse à l’Exposition Universelle de 1900. Une histoire qui n’est pas sans rappeler quelques souvenirs à Thierry Malandain, en dialogue avec Cappelle: « Il se trouve que le compositeur Jules Massenet est né à Saint-Etienne qu’ il a eu comme collaboratrice la chorégraphe, Mariquita, née en Algérie. Pendant plus de vingt ans, de 1898 à 1920, elle créait à la deuxième à la deuxième institution de France, et pourtant on ne trouve pas de renseignements sur elle ! »

Des révolutions nationales? 

On commence donc par des regards sur la révolution venue d’outre-atlantique avec Fuller et Duncan qui apportent la modernité, parallèlement aux Ballets russes. Ensuite, le tour est à l’Allemagne de vivre sa révolution par la danse expressionniste, pour revenir au continent américain avec la postmodern dance, ensuite la comédie hollywoodienne avec Fred Astaire et Cyd Charisse et puis, bien sûr, Balanchine, pour terminer par le hip hop. Et c’est là, tout à la fin du siècle et au XXIe, qu’on retrouve une danse populaire. Il va de soi que l’ouvrage consacre un essai à l’histoire du hip hop. L’universitaire états-unienne Felicia McCarren fait le lien entre les origines de cette culture sur le continent américain et son effervescence hexagonale. Mais le hip hop n’est pas tombé du ciel. Aussi trouve-t-on un éclairage très judicieux sur la porosité entre les spectacles chorégraphiques proposés à New York dans les années 1920/30 et les danses populaires des Afro-Américains, voire de l’héritage des migrants irlandais, ce qui produit d’un côté le fox-trot et le charleston, de l’autre côté la tap dance. 

Tous ces univers, malgré les mélanges qui peuvent se produire dans des lieux définis, restent identifiables, traçables et séparables, selon les espaces, les courants, les époques. Du moins, l’organisation du livre l’affiche ainsi. Mais des passerelles se construisent à l’intérieur des contributions. Pendant la guerre froide, on sait encore assez bien où l’Occident prend fin, et l’évocation du ballet soviétique par Tim Scholl rappelle les liens entre pouvoir politique et création artistique. Mais même avant la chute du rideau de fer, ce sont autant les transfuges et les échanges qui réorientent la création, même si les défections de Noureev et autres vedettes soviétiques ne sont évoquée que de façon marginale. Il est vrai que la suite de l’évolution s’écrit moins à l’Opéra de Paris (le GRTOP animé par Carolyn Carlson étant un pas important vers l’autonomie contemporaine) qu’avec Kylián et Forsythe et par l’avènement de la nouvelle danse. Dont acte. 

Moderne? Classique? Contemporain?

Mais l’une des raisons d’être de cette Nouvelle Histoire est aussi à trouver dans le débat autour de notions aussi complexes que « modernité », « classique » ou « contemporain ». « Que signifie ‘contemporain‘ pour vous », interrogea Cappelle à l’auditoire lors de la présentation du livre à Biarritz, pour récolter un bel éventail de définitions différentes. Et Thierry Malandain de partager ses propres sentiments: « C’est compliqué d’être néoclassique à notre époque. J’ai adopté cette étiquette, mais en réalité elle ne veut rien dire. Ça a été mon lot pendant de nombreuses années, de revisiter les œuvres du passé, souvent sur commande, notamment pendant ma période à Saint-Étienne. » Ce qui résonne parfaitement avec l’essai « être classique au XXIe siècle, une identité paradoxale » de Laura Cappelle qui interroge la position des compagnies de ballet et de leurs chorégraphes dans un monde marqué par la crise financière et traversé par de nouvelles influences artistiques et des revendications d’égalité, entre autres de la part des femmes, toujours très minoritaires parmi les chorégraphes créant avec les compagnies de ballet. C’est en cela aussi que cette histoire de la danse est nouvelle. 

« Être contemporain relève bien moins de l’adhésion à une technique que d’une attitude à l’égard du corps, pensé comme libre dans son expression et poreux aux histoires corporelles et chorégraphiques qu’il traverse. » C’est une partie de la conclusion de Pauline Boivineau, après un survol de cette scène chorégraphique. Mais il y a tant d’autres termes à reconsidérer. Par exemple, « repenser et déconstruire la notion géographique d’Occident » et se saisir du terme d’hybride qui s’empare de la création chorégraphique, comme le suggèrent Frederica Fratagnoli et Sylviane Pagès (« L’Occident décentré. Circulations de gestes et créations hybrides »). Le geste, et donc la création, ne seraient aujourd’hui plus interdisciplinaires, mais « hybrides », autant entre les cultures (tour en Inde et au Japon à l’appui) que dans la rencontre entre la danse et les nouvelles technologies. 

Et tous nos chorégraphes contemporains, alors? Comment cerner ce qui les meut, dans leur circulation transatlantique, de Trisha Brown à Amala Dianor ? Le mot de la fin appartient à Patrick Germain-Thomas, docteur en sociologie qui, « dans un contexte d’accélération du renouvellement des générations et des esthétiques », identifie « quatre principaux registres de réflexion » pour ce paysage luxuriant et débridé qui a grand besoin de clés d’analyse. Quatre registres… Pour savoir lesquels, reportez-vous directement à la page 329 !

Thomas Hahn

Nouvelle histoire de la danse en Occident – de la préhistoire à nos jours sous la direction de Laura Cappelle

2020,  Éditions du Seuil avec le concours du Centre National de la Danse

355 p., 31 €

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