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« Nous, la danse » de Julie Charrier et Yvan Schreck

Rendez-vous sur notre nouvelle plateforme de films de danse. Une autre manière de découvrir la danse !

Notre plateforme s’emploiera à mettre en valeur des films et vidéos consacrés à la danse, des captations de pièces chorégraphiques, mais aussi et surtout des œuvres par elles-mêmes, tous genres confondus – documentaire, expérimental, film d’art, etc. – présentant un intérêt particulier et ayant une incontestable valeur artistique.

Du lundi 14 février à midi au lundi 21 février à midi, vous pourrez visionner Nous la danse de Julie Charrier et Yvan Schreck.

Pour les quarante ans du CNDC (du Centre national de la danse contemporaine d’Angers), il est apparu important de produire un film sur une institution qui fut unique en son genre à l’époque de sa création et dans les années ayant suivi. Plutôt que de l’envisager comme un objet nostalgique, producteurs et auteurs ont préféré en traiter au présent. Plutôt que de valoriser les figures du passé et risquer de reconduire le culte de la personnalité, ils ont préféré donner une image plurielle de cette maison qui est à la fois un centre chorégraphique national et une école de danse. D’où le titre d’un documentaire conçu à deux (coréalisé par Julie Charrier et Yvan Schreck) : Nous la danse (2019). Et le sous-titre : Une année avec les étudiants du CNDC, résumant le projet et annonçant l’ordre de ses différentes séquences. Le titre rappelle celui du long métrage cubain de Rogelio París, Nosotros, la musica (1964) qui célébrait les rythmes d’origine africaine – le son, la rumba– interprétés par des ensembles typiques comme l’orchestre de Chapottín ou la Charanga française et des artistes de légende tels que Celeste Mendoza ou Bola de Nieve. 

Nous la danse débute – et s’achève – avec des plans sur les jambes des élèves grimpant l’escalier du bâtiment de la rue de la Tannerie, pour y suivre les premiers cours et, au finale, pour y festoyer en fin d’année scolaire et d’obtention des diplômes de ceux au terme du cursus de deux ans.Les apprentis-danseurs, regroupés en studio, sagement assis dos à la caméra, visionnent une vidéo sur un grand écran montrant un duo de danseurs modernes en académique blanc évoluant dans un style cunninghamien suivi d’une routine de modern jazz avec un fond sonore à base de percussions. Une voix off féminine évoque le passé du centre et le relie à l’histoire de la danse française – de la « nouvelle danse » française –, ainsi qu’à celles de la danse américaine et européenne. Sont nommées par des intertitres les personnalités qui ont dirigé le CNDC jusqu’au tournage du film et l’année de leur prise de fonction : Alwin Nikolais 1978, Viola Farber 1981, Michel Reilhac 1984, Nadia Croquet 1988, Joëlle Bouvier Régis Obadia 1993, Emmanuelle Huynh 2004.

Le chorégraphe Dominique Boivin, coiffé d’un feutre Fedora à tartan, rappelle le contexte artistique lors de son arrivée à Angers en 1980 : « La France était traversée de danse américaine – on avait envie de s’émanciper de la danse classique et de Béjart. Nikolaïs ouvre cette école, j’arrive, on commence à créer. Mine de rien, c’était pas mal : enfin libres, enfin la possibilité de créer nos pièces. » Robert Swinston, le directeur artistique de l’école explique clairement et simplement sa démarche : « Ce que j’essaie de leur enseigner, c’est la réalité de ce travail. J’essaie de leur donner confiance pour qu’ils soient bien. Il faut être passionné. C’est la base. Il faut vouloir bouger. Vouloir être visible. » Suit une série de propos des élèves sur leurs motivations et sur l’idée qu’ils se font de l’art de Terpsichore : la danse comme moyen d’expression, comme langage ; la danse pratiquée dès le plus jeune âge. Claire Rousier, directrice adjointe du CNDC, aux côtés de Robert Swinston déclare : « Je m’étais toujours dit : un jour j’essaierai de faire en sorte que les danseurs puissent accéder à leur patrimoine comme c’est le cas dans le domaine musical, dans tous les domaines artistiques… Donc l’idée est venue de baser tout l’apprentissage de l’école sur une approche croisée des grands répertoires, techniques, concepts de la modernité en danse avec la création d’aujourd’hui. »

En alternance avec les déclaration, des plans montrent l’environnement de l’école en bord de Maine (travelling vertical depuis l’ascenseur), la pratique en studio avec Rousier, puis avec Swinston qui insiste sur l’importance de la répétition : « À force de répéter, ça devient naturel. » On reconnaît au passage Hervé Robbe administrant un cours, donnant des conseils et corrigeant la position des élèves. Certains d’entre eux ont été retenus au casting du film, comme Anaïs Thongsoume qui nous apprend que toutes les deux-trois semaines, on change d’intervenant. Julia Vercelli ajoute au micro : « Le corps s’adapte au volume horaire mais aussi au style de danse selon la session. Du Cunningham, du Trisha, à la Gaga dance, l’intensité varie. Ce qu’on apprend au Cndc, c’est que le corps est apte à s’adapter. » L’enseignante Agathe Dumont chargée de donner des cours théoriques demandant l’attention des élèves trois heures durant. Boivin aborde franchement la question des affinités électives entre le chorégraphe et ses interprètes : « J’arrive à l’école, ils ne me choisissent pas ; c’est Boivin qui arrive, il va falloir faire avec ; on doit apprendre à s’aimer, c’est long, on est obligé de s’apprivoiser… Quatre jours que je suis là ; il y a déjà des danseurs qui me plaisent, qui me touchent ; d’autres, c’est plus long ; d’autres, peut-être, j’y arriverai pas. » 

Un exercice d’action-réaction prouve en tout cas l’efficacité de la méthode Boivin puisque, en quelques jours à peine, les élèves sont à même de montrer non un simple exercice de style mais une véritable séquence de ballet. Pour sa part, l’étudiant Jean Lesca souhaiterait mettre en cause la séparation entre corps exécutants et corps pensants ; Théo Aucremanne soulève la question de l’improvisation, des énergies qui traversent les danseurs, de ce qui passe par la tête étant en action. Garance Debert est sensible à l’imaginaire de la danse, ce qu’elle définit comme « une projection à travers le miroir » ; Pour Lili Buvat l’école lui a permis de se rendre compte qu’elle pouvait avoir « plusieurs facettes » et ne pas être limitée au jazz, au cabaret ou au personnage de femme drôle. Après avoir juxtaposé des manœuvres de transmission de mouvement, des duos, du travail à l’unisson, les réalisateurs s’autorisent un passage au ralenti. En voix off, Claire Rousier s’interroge sur ce qui permet au danseur de se distinguer, sur ce qui fonde son unicité par rapport à l’universalité, sur le propre du solo, moment de « créativité de soi à soi », ainsi que sur la transmission de celle-ci à un public. Les apprentis-danseurs font l’expérience de cette recherche « en même tps qu’ils interprètent un solo patrimonial, qu’ils traversent des écritures du passé. » L’élève Adrien Lichnewsky confesse : « J’ai l’habitude d’exprimer la joie, la bonne humeur et là j’ai envie de faire quelque chose non pas de négatif mais de profond. » Avec force de déboulés, roulades-arrière, sautillements, accélérés à l’appui, Arthur Roussel caractérise sa manière : « C’est assez physique. J’essaie d’habituer mon corps. » 

Un court passage montre Élisabeth Schwartz en transmettant à la jeune Estelle Garcia-Massiani l’Étude révolutionnaire d’Isadora Duncan. « C’est une danse-manifeste, un manifeste politique. [Isadora] veut que les gens à qui elle s’adresse adhèrent à cet imaginaire de l’homme nouveau, de l’homme soviétique », lui dit-elle. L’étudiante compare cette puissante étude au solo Water Study, « qui est dans la fluidité. » Elisabeth Schwartz analyse du point de vue technique et kinesthésique la variation : « Quand tu repars, après le cri, d’un seul coup, il faut que tu engendres le mouvement. Que tu ne te dises pas : « ici, je re-stabilise, je repars. » Du cri, tu repars. En déséquilibre avec le plexus. » Xavier-Gabriel Gocel pose la question de la coupure du lien social le temps des études. Estelle Garcia-Massiani, après avoir passé deux licences d’art, éprouve le « besoin de danser, de travailler, de ne plus être évaluée. » On assiste à une excursion de toute la promotion, en file indienne, le long du quai de l’affluent de la Loire, puis à une course de tout le groupe, à des marches-arrière, à la traversée de la ville au trot, la caméra les suivant en travelling caméra. Cette scène est sans commentaire, soutenue par la musique de Rodolphe Burger et David Babin.  

La fin des cours arrivée, le studio de danse se transforme en piste de danse, en ballroom. Plus question de répertoire, de danse moderne, postmoderne, contemporaine. Place est faite à la techno, à l’électro, à la breakdance. Et à la transe. À un moment d’insouciance. En groupe ou en solo, chacun voit midi à sa porte. Le présent l’emportant sur le passé, et le futur paraissant encore lointain. 

Nicolas Villodre

Réalisation : Julie Charrier et Yvan Schreck 
Production : 24 images

 

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