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« Niebo Hôtel » de Christophe Garcia

Niebo Hôtel  - Chambre avec entrevue

Pour maintenir sa compagnie en activité malgré les conditions de répétions en période de Covid, le chorégraphe Christophe Garcia a travaillé sur l’intimité, ce qui permettait d’éviter les contaminations. Il a emmené ses interprètes à l’hôtel. Une proposition au climat très réussi.

Puisque la Covid a fermé les théâtres, allons à l’hôtel, avec tout ce que cette proposition du chorégraphe Christophe Garcia peut receler de sous-entendus intimes, licencieux, poétiques et étranges. Et ce n’est pas la moindre des qualités de ce Niebo Hôtel, pièce immersive pour huit interprètes (et à peu près autant de spectateurs à la fois) que de tirer tout le profit fantasmagorique des contraintes de la situation.

Le spectateur a pris rendez-vous. Il se voit invité à rejoindre une chambre. On lui a bien précisé les consignes, celles de sécurité en temps de pandémie, mais aussi, plus étrange, on a insisté sur l’importance de  bien trouver le bon interrupteur en arrivant dans la chambre et de bien allumer la lumière… Et après ? On n’en saura pas plus…

Chacun rejoint sa chambre. 

Attention, il va falloir divulgâcher un peu… Car contrairement à l’usage, il est nécessaire, avant d’aller plus loin, de détailler, voire dévoiler, quelques-unes des recettes de cette pièce. 

Niebo Hôtel se déroule dans un « véritable » établissement en pleine activité -pleine activité étant une notation tout à fait relative au regard de l’économie actuelle de l’industrie hôtelière- et les spectateurs ne se distinguent pas des clients occupant leur propre chambre.

Le chorégraphe a réservé plusieurs chambres, 6 pour les « stations » du spectacle, et 3 pour le « backstage », en particulier la régie (c’est elle qui insiste pour que l’on allume bien la lumière, c’est le signal du départ !). L’une des réussites majeures de cette pièce tient à l’absence de tout artefact signifiant le spectacle : aucun câble dans les couloirs, pas de consignes à l’entrée des chambres, pas de billets à présenter, pas de parergon du spectacle (par exemple le « noir salle ») et ce trouble de ne pas savoir si ces inconnus croisés au hasard des couloirs sont d’autres spectateurs ou des clients. Tout a été organisé en amont, les câbles passent par la cour extérieure, le bar sur la terrasse ouvre à 18h. J’ai commencé par la chambre 228. Une femme y est entrée, a fermé les volets, s’est enfermée dans la salle de bain, en est sortie en sous-vêtement. Elle est enceinte. Dans l’éclairage filtré et intime de la chambre, elle danse « au sol », c’est-à-dire sur le lit, convoquant de son mouvement quelques fantômes de couples que l’on suppose amants… Pas de réponse aux questions que l’on pressent ; la femme tend un ticket : « La suite Chambre 223 dans 3 minutes »…

Une femme ouvre et un homme est déjà à l’intérieur pour un duo tirant tout profit de l’exiguïté. La chambre 114 est ouverte par un homme en costume, la femme en sous vêtement rouge laisse filtrer une lumière troublante sur elle. « Rendez-vous dans 3 mn environ chambre 120 » dit le ticket. On y trouvera un lit au mur et la télévision polonaise… Et, chambre 438, nous sommes deux spectateurs pour surprendre cette confidence d’un couple qui débute sous le sommier et se prolonge dans toute la pièce. 

A la fin, il faut redescendre à la réception le gilet orange que Magda a oublié… 

Structure éclatée et atmosphère toute de troubles et d’évocations ; multitude des histoires possibles, toutes recomposées au gré des diverses possibilités nées de la succession des chambres, différentes pour chaque spectateur (on ne voit jamais que 5 des 6 propositions), tout concoure à faire de la pièce une expérience personnelle. Pourtant ce Niebo Hôtel possède une manière de trame qu’évoque une lettre remise à chaque spectateur ; quant au climat très « Europe de l’Est », il tient sans doute à l’influence des poèmes de la poétesse Wislawa Szymborska que cite le chorégraphe. Il existe même une certaine anecdote liée à la crise sanitaire pour expliquer tout ceci. 

Galerie photo © Lucie Baudinaud

Et cela n’a aucune importance. La qualité de la pièce tient dans cette promesse de toucher ce climat cosy et interlope, anonyme mais intime, romantique et érotique, que distille l’hôtel quand il a su garder son charme. 

Christophe Garcia n’appartient pas particulièrement à la catégorie des artistes explorant le « in-situ » et les relations entre les danseurs et le réel, comme a su le faire un Bernard Menaut par exemple. Le dispositif sophistiqué de Niebo Hôtel témoigne que ce chorégraphe toujours un peu en marge des programmations en vue est à suivre même sur ce terrain singulier !

Philippe  Verrièle

Vu à Angers le 28 juillet 2020

 
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