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« Mnémosyne » de Joseph Nadj

A la Biennale de Lyon, une création faite de cent-quatre photos et d'une performance. Où Joseph Nadj se trouve de nouveaux amis : Des grenouilles. Séchées !

Joseph Nadj est chorégraphe, mais pas que... Il a souvent exposé ses sculptures ou ses dessins qui témoignent d’un univers de grande cohérence, à travers les disciplines artistiques. Il est vrai que ce Hongrois de Serbie est venu au spectacle à partir du dessin, sa discipline d’origine. Avec Mnémosyne, Nadj lie, plus intimement que jamais, son univers graphique à celui du mime. Mnémosyne n’aurait donc pu trouver meilleur site pour sa mise au monde que le Musée des Beaux-Arts de Lyon, où cette exposition-performance a été présentée, en première mondiale, dans le cadre de la 18e Biennale de la Danse.

Des photos comme des gravures

Car Nadj se dévoile ici comme photographe, dans un esprit qui réunit la narration, les arts plastiques et les arts graphiques. Voilà deux grenouilles, tel un archétype de la fable ou du roman initiatiques. Mises en situation face à des objets du quotidien humain ou d’autres créatures fantasques et animalières, elles sont photographiées comme pour un roman photo ou les dessins illustrant un livre de contes, vieux d’un siècle ou plus. « Il est vrai que mes photos sont proches de la gravure » dit Nadj  Et c’est bien la gravure, Dürer en l’occurrence, qui l’inspira pour Atem- Le Souffle, déjà créé dans un castelet, semblable à celui dans lequel il s’entoure ici d’animaux empaillés et drapés de blanc.

Protagonistes, écrasés et séchés

Ces deux grenouilles, parfois en duo, parfois en solo, peuvent évoquer les premiers personnages que l’on croise dans une vie humaine, ou bien, comme le suggère Nadj, des binômes comme Vladimir et Estragon ou Bouvard et Pécuchet. Où l’on en vient à renouer avec le verset littéraire de son œuvre. Et si ce n’est un conte en soi qui se trame sur les cent-quatre  photos (ce n’est pas nous qui les avons comptées, mais c’est Nadj qui avance ce chiffre), chaque image raconte à elle-même une petite histoire. Mis en scène comme dans une boîte noire, dirigé comme des personnages, intégré dans une scénographie construite par Nadj, le binôme des marécages fait à la fois œuvre plastique et photographie, théâtral et chorégraphique.

On croit d’abord voir de petites sculptures, faites de papier mâché par exemple. Et quand Nadj raconte comment il a confectionné les grenouilles qu’on voit sur ses photos, on croit d’abord qu’il blague. Car voilà: Ces petites bêtes, il les  ramasse bel et bien chez lui, à Kanjizsa, sur la route où elles se font chaque jour écraser par des voitures. Ensuite, il n’a plus qu’à les sécher soleil pour en faire les héroïnes de leurs aventures photographiques.

L’homme et l’animal

Pour le public, le parcours photographique se prolonge dans le minuscule théâtre, installé au milieu de la salle d’exposition. Et Nadj de reprendre des positions de corps à la fois debout et à quatre pattes, comme il installe son couple sur ses photos. Le visage drapé de blanc, il y rencontre son double, un quadrupède universel, un oiseau (le seul élément coloré) et, bien sûr, une grenouille. Dans un noir et blanc des plus stricts, Mnémosyne renoue avec les premiers éclats de l’univers nadjien, et notamment avec Canard Pékinois, sa pièce initiatique qu’il vient de reprendre dans une nouvelle version, intitulée Dark Union.

Galerie photo © Blandine Soulage Rocca

Retour aux sources

Dans Mnémosyne, il nous parle, dans une autre forme, sous un autre angle, de la même animalité tragique de l’homme. Le geste séquencé comme dans un film des Frères Lumière, Nadj revient sur nos instincts et notre animalité inconsciente, se laisse traverser par elle et provoque, dans la proximité de son théâtre de fortune, une rencontre plus troublante et intime que jamais. Le retour aux sources, placé sous le signe de Mnémosyne, la déesse grecque de la mémoire, interroge à la fois la mémoire corporelle de Nadj en personne, notre mémoire collective et iconographique et nos rémanences immémoriales de l’Evolution. Comment être à la fois conscient de la nature transdisciplinaire de l’humain, et se laisser porter par elle, entre ce qu’on qualifie d’humain et ce qu’on dénonce comme animal ? Nadj ne donne pas la réponse. Il est la réponse.

Thomas Hahn

Vule 21 septembre 2018, 18e Biennale de la Danse de Lyon, Musée des Beaux Arts

 

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