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« Mercurial George » de Dana Michel

La performeuse québécoise Dana Michel fait de sa présence un chantier de fouille anthropologique. Déroutant.

Qu'est-ce que peut bien signifier l'acte de brandir une grosse racine de gingembre à l'extrêmité d'une perche à selfie, dont on l'aura préalablement transpercée ?

Lorsque c'est Dana Michel qui se consacre à cette activité sur un plateau, on peut se dire qu'il y a peut-être quelque référence biographique, sinon quelque élaboration sémiotique, pour expliquer cette bizarrerie. Ou bien on peut en accepter l'étrangeté, sans plus rechercher d'explication, et se laisser emporter dans l'instant d'une perte de sens. Cela frôle l'absurde. Cela affaiblit nos défenses, qui aimeraient tant que tout  signe des vies fasse sens.

La scène qu'on vient d'évoquer s'observe dans la dernière performance en solo de l'artiste québécoise, sous le titre Mercurial George. Précédemment, Dana Michel avait été fortement remarquée dans son solo Yellow Towel. D'origine caraïbéenne, cette performeuse affolait les cadres nord-américains habituels de compréhension des performances de race. Son objectif n'est en rien de construire une figure artistique "noire" positive. Tout autrement, elle expose sans la moindre complaisance le désordre d'une identité en devenir, disjonctive, chaotique et brouillée.

A présent Mercurial George approfondit ce propos. Ce nouveau solo d'une heure n'apaise rien du chaos. En revanche il en aiguise la maîtrise de l'expression. Souvent, cela se traduit par la confrontation avec des objets (la perche à selfie ou le rizhome de gingembre – on l'a vu – mais encore un sac de riz, un manteau de fourrure, un tas de pâte à gâteau ; etc). Ces objets forment une collection totalement disparate, surgis on ne sait d'où, pour devenir des protagonistes sans justification, au gré de manipulations qui les détournent de leur usage convenu, sur des voies insolites, quand ce n'est absurdes.

Galerie photo © Camille Mc Ouat

Ces actions successives déroutent la quête de tout sens linéaire, encore moins littéral. Dana Michel orchestre une cérémonie du labeur d'être elle-même, malaxant patiemment des éléments du monde à la rencontre de sa personne, dans une déambulation de représentation partie en errance. Elle se déplace beaucoup, et tout son corps est secoué de renversements, d'effondrements, parfois d'écartèlements. Il n'y a jamais de paix, dans ce hoquet de gestes désabusés, cette indolence vaguement accablée, cette esquive de tout impératif d'efficacité. Fragile, instable, ce corps est tout autre, au regard des normes de la société occidentale néo-libérale de contrôle. Les actions de Dana Michel refusent de rien produire qui tiendrait d'un résultat clairement repérable, ou durable. L'accident est au coeur de l'être.

Une bonne part des matériaux dont se saisit l'artiste sont des bâches, des housses, des voiles, qu'elle agite, qu'elle frippe, dans lesquelles elle se glisse. Entre dissimulations et édifications, ces sculptures vivantes éphémères prennent des dimensions indomptables de silhouettes fantastiques, voire totémiques. Impressionnantes autant que chimériques.

Et c'est ainsi couche à couche, rajoutée ou ôtée, sur un corps qui sans cela se contente d'un collant et de seins nus, que Dana Michel conduit une fouille anthropologique où sa personnalité tiendrait toute entière de l'élaboration d'un self-portrait camouflage, comme on s'en souvient dans l'approche de Latifa Laâbissi en son temps.

Gérard Mayen

Mercurial George a été créé au dernier festival Transamériques (Montréal, juin 2016), puis vu aussitôt au Festival June Events (Atelier de Paris Carolyn Carlson).

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