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« Light Bird » de Luc Petton

Luc Petton poursuit sa collaboration (la troisième) avec les oiseaux de divers plumages. Cette fois, ces oiseaux légers sont les élégantes grues de Mandchourie, symbole de la longévité – elles vivent presque autant que nous, 60 ans – de la fidélité et du bonheur (elles restent en couple toute leur vie). Les Coréens l’ont même classée « monument naturel » pour sa beauté et… sa rareté. Car malgré les apparences, ce bel oiseau est menacé de disparaître.

Galerie photo Laurent Philippe

Comme d’habitude, Luc Petton a commencé l’entraînement de ces oiseaux dans l’œuf, les danseurs leur parlant et leur faisant entendre la musique du spectacle avant même l’éclosion.

Des mythes autour de cette impériale grue de Mandchourie, il en existe beaucoup, tant elle imprègne l’imaginaire de la Corée, de la Chine et du Japon. Nous avons beaucoup aimé celle que cite Marilén Iglésias Breuker, non sans rapport avec Light Bird :

« Il y a 400 ans, en Mandchourie, la None Fang Chi Nian étendait ses draps à sécher au soleil. Tous les jours une grue venait se poser sur un de ces draps, le dérangeait, l’accommodait à sa guise. La femme la chassait. Un jour, au lieu de l’épouvanter, elle lui fit une place. Elle posa un drap au sol pour la grue à chaque fois qu’elle tendait les autres. Elle l’invitait à venir, et la grue venait. Un jour un serpent d’eau eut l’impudence de vouloir attaquer Fang Chi Nian : la grue usa alors de toute sa dextérité pour tuer le serpent, inspirant ainsi le style de Tai chi de « la grue blanche ».

Galerie photo Laurent Philippe

 

Joueuses, joyeuses, et même impertinentes, on a pu apprécier sur la scène du Théâtre national de Chaillot, que les grues menaient la danse à leur façon. Contrairement aux cygnes de Swan (précédente pièce du même chorégraphe), elles n’ont aucun penchant à suivre les danseurs. Elles les accompagnent de leurs cous flexibles et de leurs envols planants. Parfois elles sautent comme pour s’amuser, se suivent et se lancent dans des courses improvisées. Dansent-elles ? En tout cas, les six grues tiennent le plateau, c’est certain.

Galerie photo Laurent Philippe

Pas facile, du coup, pour les danseurs d’imposer leur présence.

Luc Petton a tissé, face au sextet de grues, un quatuor de danseurs, auquel s’ajoute le musicien Xavier Rosselle, qui joue du saxophone dans un mode extrême-orientalisant… que les grues semblent particulièrement apprécier. Selon ce dernier, d’ailleurs, les grues se révèlent très réceptives à la musique, sensibles à des modulations très fines.

Les quatre interprètes – dont deux danseuses issues de la Korean National University of Arts de Séoul, Sun-A Lee et Yura Park –  ainsi que Gilles Noël, et Luc Petton, se mettent à l’unisson de ces oiseaux flexibles, ondoyants, pour ployer et déplier leurs membres. Il faut dire que le chorégraphe s’est aussi inspiré du concept d’origami dont la grue constitue l’un des pliages les plus connus au Japon devenant même le symbole de la paix.

Galerie photo Laurent Philippe

Sun-A Lee est particulièrement en harmonie avec les oiseaux. Peut-être que son physique de Dame oiselle, n’y est pas étranger, mais cela ne suffirait pas à expliquer la grâce avec laquelle elle se met à l’écoute des grues, emprunte à leurs attitudes, pour en faire son propre naturel. Peut-être aussi flotte-t-il dans cette pièce une atmosphère apaisée et une esthétique profondément asiatique qui correspondent à merveille à sa danse. Lenteur, lumières tamisées et dorées, ponctuent ce spectacle subtil où chacun, des hommes et des oiseaux a sa partie et son univers qui se côtoient sans jamais se confondre. La scénographie, à la fois sobre et belle nous transporte dans ce monde à part, où s’engendre une chorégraphie à tendance zen, tout en retenue, que seules viennent troubler quelques battements d’ailes et frissons de plumes.

Galerie photo Laurent Philippe

Car Luc Petton fait le pari de la rencontre entre deux mondes étrangers l’un à l’autre, sans jamais tomber ni dans un ethnocentrisme de mauvais aloi, ni dans une exhibition du savoir-faire des oiseaux ou des oiseleuses (Pauline Folliot, Dune Pokrovsky, Céline Roger) que l’on saluera ici au passage pour leur travail remarquable.
Reportage Arte : Danse avec les oiseaux
 

Avec ces symboles comme le drap que l’on étend, les arbres que l’on porte, le tapis de peau qui recouvre le plateau et lui donne des allures de désert, la pièce nous raconte de multiples et archaïques histoires, où les hommes et les animaux se parlaient, ou, à défaut, dansaient ensemble.

Agnès Izrine

Jusqu’au 13 mai, Théâtre national de Chaillot.

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