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« Les Nomades arrivent » Cirque Romanès

Le Cirque Romanès prend ses quartiers d’hiver à Paris. La ville l’y accueille. Les noces d’argent de Délia et Alexandre ont été célébrées mi-novembre avant la représentation de leur nouveau spectacle, Les Nomades arrivent.

Une cérémonie inaccoutumée, de rite orthodoxe, en langue roumaine bénissant le couple non par jet de goupillon mais par aspersion florale, en précédait une autre, festive, plus régulière, quoique aussi d’exception, offerte par le clan sur son 31, mis en 4, à un public de 7 à 77 ans. Tandis qu’à l’est de la capitale s’activent les plus grands chapiteaux du monde – cirque Phénix en tête, barnum de Pinder, c’est probable et, bientôt, celui du Soleil –, dans le triangle d’or, pour ne pas dire ghetto, d’Auteuil-Neuilly-Passy moqué en 1991 par un rap des Inconnus, le coliseum à échelle humaine de la petite tribu Romanès s’est installé dans un square – paradoxalement triangulaire – du 16jouxtant l’arrêt du PC « Porte Maillot-Malakoff ». 

Dans cette piste aux étoiles de 300 places, sans clown, ce qui ne veut pas dire sans humour, sans fauve, ce qui ne signifie pas sans animal, toute la maisonnée met donc la main à la pâte. Surtout en cette occasion rare. Les artistes sont les plus humbles, les plus simples du monde.

Parés et maquillés pour le gala, ils accueillent leurs hôtes avec le sourire, les placent au mieux, font office de machino, déménagent mobilier et accessoires, tabourets et tapis de sol, fixent presto et avec sûreté les agrès. 

L’une chante, comme Délia, l’autre pas. L’un se tient en réserve de la république et règle finement sono et light show, les autres, un efficace trio de musicos formé par le contrebassiste Costel, le saxophoniste Gigek et l’accordéoniste Adi font exclusivement dans le répertoire balkanique, sous influence Kusturica – on pense à l’arrangement reggae de la chanson d’Iggy Pop, In The Death Car.

Il faut dire qu’Alexandre Romanès, issu des Bouglione, s’est à un moment élevé contre certains codes et a voulu enlever ce qu’il appelle les « conventions bébêtes » en matière circassienne, en particulier « cette horrible musique ». Il veille au grain et se contente maintenant de ne dompter pour fauves que chatons et chiots. Son numéro avec le chien Piki est au point, qui se termine par un gag bon enfant.

Maîtriser un chat sauvage est a priori mission impossible. Tous et chacun ayant plusieurs cordes à leur arc ou, si l’on préfère, plusieurs casquettes, les artistes enchaînent leurs numéros à un rythme soutenu. Les routines sont brèves au tout début puis, développées le temps nécessaire à la contemplation. Certaines spécialités étant particulièrement spectaculaires. 

Dans la famille Romanès, je voudrais le fils, Sorin, qui, avec le cousin germain Alin, est expert en anneaux de jonglage. La fille, Alexandra, danse, fait le grand écart, use aussi de cerceaux pour hula hoop. Alin est de retour, qui se prend pour un cowboy– ou un gardian– et manie le lasso, alors que Sorin préfère les ballons de foot. 

La voix grave et puissante de Délia stimule sans relâche sa progéniture. Après cet apéritif somme toute joyeux, adviennent les choses sérieuses. En l’occurrence, la prestation éblouissante et la cousine Audenka, acrobate fluide et on ne peut plus gracieuse – faut-il rappeler que la plus grande gymnaste de l’histoire, Nadia Comăneci, fut roumaine ? 

Sorin fait preuve de mastardise en portant à mains nues un gigantesque polyèdre, pour ne pas dire un cube, réduit à ses douze arêtes en métal.

Mine de rien, lui succède à la roue Cyr son cousin Alin, pour qui voyager tête en bas semble une évidence. Ces deux agrès nous agréent, qui évoquent, le premier, l’antique – un des fameux solides de Platon –, le second – nous l’avions noté à la Scala dans la prouesse d’Elias Larsson – l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci.

Cette élémentarité produit sans aucun doute le plus d’effet chez le spectateur, cela depuis des temps immémoriaux. L’émotion forte n’exige ni trompe-la-mort, ni carnage en cage. 

Ceci dit, le risque n’est pour autant écarté, les acrobates œuvrant ici sans filet. Cousin Augustin détend l’atmosphère et se charge des transitions avec sa jongle de balles, de chapeaux ou de massues. Les jeunes filles de famille itou, avec leurs danses serpentines colorées. Un tableau nocturne, bleuté comme un monochrome, met en valeur le tournoiement vertigineux de Rose. Celle-ci jouera avec le feu dans une jongle sans autre arme que la lumière émanant de deux impressionnantes torches.

À la voltige d’Alexandra, au travail de force d’Alin, les bras sanglés façon SM, le corps glissant tête bêche du haut d’un mât chinois placé là par hasard, succède un subtil tableau de cannes d’Audenka et un magnifique numéro funambulesque de l’extrêmement élégante Betty.

Le patriarche Alexandre, poète publié par la prestigieuse maison d’édition Gallimard, écrit à la page 95 de son livre Un peuple de promeneurs (2011) : « Le seul compliment qui me fasse plaisir à propos de notre cirque : ‘’Votre spectacle nous donne du courage’’. »

Nicolas Villodre

Vu le 16 novembre 2019 à Paris.

Les Nomades arrivent
Du 14 décembre 2019 au 29 mars 2020 
https://www.facebook.com/RomanesCirqueTsigane
 

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