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Les Hivernales, à corps et à cœur

Mathilde Monfreux, Abd Al Malik, Salia Sanou, Nach, et divers battements de cœurs ont inscrit leur(s) histoire(s) dans la 42édition du festival avignonnais. 

Fin de journée, fin de festival. Un bus de pleine taille passe rue Guillaume Puy, devant le CDCN Les Hivernales, sans doute le dernier de la journée. A l’intérieur, le nombre de passagers est vite compté : zéro, précisément. Le bus à cet endroit, c’est nouveau. « Et ça va poser problème en été, quand les gens attendent devant le théâtre, avant un spectacle », s’inquiète Isabelle Martin-Bridot, la directrice des Hivernales. Mais les voitures sont tout aussi incommodantes. Et celles-là ont quasiment disparu de la circulation intra-muros, suite à divers aménagements de la voie publique. Moins de soupapes dans la cité des Papes, voilà forcément une bonne nouvelle. 

Douceur printanière

Ce cœur de ville quasiment piéton résonne parfaitement avec les deux propositions à la Maison Jean Vilar. D’abord, au rez-de-chaussée, une installation vidéo de trois films réalisés par Christian Rizzo et l'artiste 3D taïwanais Iuan-Hau Chiang : TTT ou tourcoing-taipei-tokyo. Où corps et paysages fluctuent entre le réel le virtuel. Un corps se dissout comme pour partir en fumée, une forêt se constitue à partir d’aplats et se font rattraper par les cadres dont ils sont issus. Il y a aussi cette structure abstraite, en constante évolution et en dialogue avec un homme. Pour cette méditation sur le rapport entre la nature et le virtuel, l’environnement est blanc et a priori immatériel, mais semble évoquer un paysage enneigé, prêt à absorber l’observateur, séduit par la douceur de ces mondes en apesanteur. 

La mise en condition était donc parfaite pour monter à l’étage pour faire l’expérience de Caring Banquise de Mathilde Monfreux, exposition chorégraphique et interactive dont la première étape a été préparée pendant Les Hivernales et dévoilée à la Maison Jean Vilar.

Danseurs professionnels, participants d’un atelier chorégraphique et même le public se sont mélangés, salle par salle, allant au contact de l’autre.

« Combien de temps te faut-il pour te laisser toucher ? », lisait-on sur l’un des nombreux cartels. Ou bien : « Faut-il se ressembler pour s’assembler ?» Le sens même de Caring Banquise est dans la réponse par la négative, dans la fonte des glaces qui séparent les humains.

Entendre battre le cœur de l’autre, ressentir une énergie qui lie les humains en s’appuyant sur l’autre pour former un cercle, en serrant ou touchant une ou plusieurs personnes selon des dessins proposés devant chaque socle, se coucher au sol alors que plusieurs paires de mains vous couvrent d’une énergie apaisante…Des idées de soins, d’hypnose, peut-être même de lévitation ou tout simplement d’apaisement traversent l’air et les êtres. L’appel est celui d’un printemps universel autour d’une Banquise humaine. Il faut s’en inquiéter et en prendre soin (deux notions englobées par to care). Avec ce travail qui doit, dans un second temps, intégrer des créations vidéo, Mathilde Monfreux place le corps à la croisée d’enjeux écologiques, solidaires et citoyens en créant ici un micro-environnement utopique et intime: « Rêve, fais des listes, pense à autre chose, ennuie-toi ou mesure la durée de ton attention » !  

Chaque cœur bat à sa façon

On sortant de là, on ne pouvait que se rendre à hEARt une installation sonore du compositeur Christophe Ruetsch à l’Ardenome. Produit par le théâtre, Les Hivernales et la compagnie NaïF Production, hEARt permet de se laisser bercer par les battements de cœur de personnes d’âges divers et d’écouter les interviews où chacun.e parle de son rapport à cet organe-clé et ses métaphores dans la vie, sentimentale ou quotidienne.

Le cœur est ici mis au cœur d’un excellent travail sonore - dans « heart » (le cœur) il y a « ear » (oreille) - et les canapés installés invitaient à suivre les rythmes, si différents d’un cœur à l’autre. Où le compositeur révèle que même entre deux cœurs humains, l’unisson est quasiment impossible.

NaïF Production étant une compagnie de danse et de cirque, le bruit courait que quelques personnes de la danse s’exprimaient dans les confessions plus ou moins intimes, enregistrées pour hEARt. Mais les noms de famille ne figurant (naturellement) pas sur les fiches, il fallait investir un temps conséquent pour les identifier. Sauf une. Car Nach est Nach, et quand elle parle de son rapport à la vie, aux autres, de ses liens familiaux et culturels, on a là un portrait franc et spontané d’une personne qui sait ici émouvoir tout autant que par sa danse. 

Nach, nouvelle artiste associée

Coïncidence ou pas, la fermeture de l’installation à 18h fut directement suivie de la représentation de Beloved Shadows de Nach, à cinq minutes de là, au Théâtre des Hivernales. Ce solo en compagnie d’un homme-mystère [lire notre critique] y trouva une force inouïe dans chaque geste, chaque posture, chaque torsion de son corps-paysage. La proximité du plateau avec son interview « de cœur » (enregistrée le 29 janvier) aurait-elle donné des ailes à la chorégraphe qui dansa ici au plus près d’elle-même? Ou bien est-ce la certitude d’être la nouvelle artiste associée au CDCN Les Hivernales qui confère à Nach une telle force intérieure? Elle succède en effet dans ce rôle à, justement, NaïF Production (à partir de la saison 2020/21). 

Abd AL Malik au cœur républicain

On pouvait même rêver à voir Nach sur scène aux côtés d’Abd Al Malik. Le Jeune Noir à l’épée lire notre critique] du poète-slameur-rappeur fut présenté la veille à Châteaurenard et les quatre danseurs hommes dirigés dans leurs gestes et postures par Salia Sanou laissent éclater beaucoup de force dans une danse ciselée et sculpturale. Mais l’univers de ce spectacle est exclusivement masculin, la femme n’y apparaissant que lorsque Abd Al Malik consacre quelques lignes de son long poème à sa mère. Ou bien sous forme des voix enregistrées de chanteuses background. Avec sa capacité à élargir son propre imaginaire et sa gamme d’expressions sensibles, Nach saurait créer un lien direct avec Al Malik et souder les différentes strates - concert, poésie, danse, musique, vidéo - qui cohabitent ici sur un plateau sans trouver un mode de partage organique. Le cœur y est, pourtant. Celui d’Abd Al Malik, résolument républicain et revendicatif. Et celui des danseurs, tel un muscle prêt au combat. 

Thomas Hahn

Les Hivernales, 42eédition. Spectacles vus les 21 et 22 février 2020

hEARt / installation sonore : jusqu’au 7 mars 2020. 

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