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« Le Prince de bois » de Pál Frenák

C’est dans le splendide opéra de Budapest que, lors de représentations dédiées au compositeur hongrois Béla Bartók, Pál Frenák a présenté sa toute nouvelle création, Le Prince de Bois, composé en 1914/16 sur un argument de Béla Balázs.

Cette pièce en un acte pour douze danseurs était interprétée moitié par des artistes de la compagnie du chorégraphe et moitié par les danseurs du ballet de l’opéra.

Le rideau s’ouvre et on aperçoit très furtivement un homme virevoltant dans les airs qui est rapidement hissé jusqu’aux cintres. Une image saisissante qui se déroule au dessus d’un plateau brillant bleu incliné. Ce sol lisse et pentu, lieu de tous les dangers mais aussi par sa couleur du ciel, endroit de tous les espoirs, symbolise avec une infinie pureté les différentes étapes de l’intrigue. Car il s’agit d’un conte très simple où un prince tombe amoureux d'une princesse. Sauf qu’une fée l'empêche d'aller la rejoindre en faisant apparaître une forêt puis une rivière devant lui. Pour attirer l'attention de la princesse, le prince suspend son manteau sur une perche et y fixe une couronne et des boucles de ses cheveux. La princesse aperçoit ce Prince de bois et part avec lui à la place du vrai prince qui sombre dans le désespoir. Prenant pitié de lui la fée le vêt de belles parures et rend le prince de bois à son état inanimé. La princesse finit par s'unir au prince humain.

Quand on connait l’indépendance de Pál Frenák et son envie, voir son besoin, d’exprimer sur scène les maux et les joies de notre société, il n’était pas évident qu’il arrive à se cantonner dans une intrigue qui risquait de le cloisonner. Bien au contraire, il dessine, en corrélation avec la musique de Bartók, les rythmes de la vie, raconte le mal être, le jeu de pouvoir entre les bons et les méchants, la dérision de celles qui veulent séduire à tout prix et la sensualité de l’amour tout en conservant son style si personnel.

Les deux familles sont très distinctes, les uns vêtus de blanc et les autres de vêtements noirs. Et bien évidement un prince et une princesse qui se croisent et se désirent dans un rythme très soutenu et dans une danse liée dont le sol est l’appui nécessaire à une forme athlétique.

Entre solos, duos et ensembles, on retrouve le coté indiscipliné du chorégraphe qui s’amuse à brouiller les cartes avec de splendides scènes d’envolées où le mouvement ne s’arrête jamais oscillant entre humour et drame. Drame car certains se jettent dans le vide du haut du plateau, humour avec un semblant de défilé de mode. Réflexion aussi lorsque Pál apparait coté jardin comme une sorte de mirage  recouvert de peinture blanche et doté d’un costume noir, qui, par le biais de gestes des bras, semble dire au public : « ne croyez pas uniquement ce qu’on vous raconte, donnez toute liberté à votre imagination ». Enfin, l’homme apparu subrepticement en plein vol au début de la pièce, réapparait du ciel maintenu par une longue corde pour effectuer des figures tourbillonnantes générées par les danseurs. Qui est-il ? Pour toute réponse Pál dit : « il faut plus déchiffrer l’écriture chorégraphique que la narration ». Dans cet ouvrage s’associent la pureté, l’esthétique et la puissance

Les interprètes sont tous excellents, la scénographie et les lumières fort bien étudiées afin non seulement de créer la notion de mystère mais aussi de délimiter les différents lieux de vie tout cela sur une partition fort bien jouée par l’orchestre dirigé par Kovács János. Un challenge troublant et poétique parfaitement bien réussi et très applaudi alors que le public n’est absolument pas habitué à assister à une pièce de danse contemporaine.

Deux autres œuvres de Bartók étaient au programme de la soirée Bartók Dance triptyque : Le mandarin merveilleux (1918/19) dans une chorégraphie un peu désuète de Seregi László et Suite de danses (1923) dont la danse de Juhász Zsolt reflète délicieusement l’exploration scientifique des musiques traditionnelles du compositeur.

Galerie photo © Attila Nagy / Hungarian State Opera

La direction de l’Opéra de Budapest

Directeur de l’opéra depuis 2011 Szilveszter Ókovács qui est en fin de mandat  avoue être à l’origine de la réouverture du théâtre Erkel  et d’un atelier de quatre cent places destiné non seulement au jeune public, mais aussi avec pour objectif de proposer des ouvrages contemporains et même d’avant-garde. « Je tiens aussi à ce que chaque année une œuvre du répertoire français soit à l’affiche parce qu’elles n’ont presque jamais été programmées en Hongrie. Avec Tamás Solymosi nous avons amélioré la qualité technique du ballet afin que les danseurs soient tous au même niveau et ainsi leur permette de danser tous les styles de pièce. Nous en avons la preuve ce soir et le 17 juin avec la chorégraphie de Marianna Venekei's d’Un tramway nommé désir de Tennessee Williams. Une collaboration avec le compositeur et saxophoniste László Dés. Avec ces ateliers de costume, de décors, un orchestre, des chanteurs, l’équipe technique et administrative ainsi que le ballet,  l’Opéra propose quatre cent cinquante représentations par an. Ce qui est conséquent ».

Tamás Solymosi, ancien danseur entre autre à l’American Ballet Theatre, est, depuis 2011, le directeur du Ballet de l’opéra de Budapest qui comprend cent vingt-cinq danseurs de dix-huit nationalités différentes.  « Nous avons la chance d’avoir trois scènes ce qui nous permet de varier la programmation mais j’avoue que nous proposons essentiellement des pièces du répertoire tout en invitant de grands chorégraphes tel que Kylián. En cinq ans j’ai un peu bousculé les choses, c'est-à-dire que l’affiche de la danse ressemble à une pyramide. En bas la tradition et le classique et tout en haut, le contemporain où se loge Pal Frenak qui nous permet de proposer pour la première fois quelque chose de très différent. Le Ballet commence à avoir une certaine notoriété c’est la raison pour laquelle nous sommes prochainement programmés à New-York. »

Un peu d’histoire

L'empereur François-Joseph d’Autriche-Hongrie confie à Miklós Ybl, un des architectes hongrois les plus cotés du XIX ème siècle, le soin de réaliser l'ouvrage. La construction dure 9 ans, de 1875 au 27 septembre 1884, date de l'inauguration.

Le bâtiment, richement décoré, est considéré comme un chef-d'œuvre d'architecture néo renaissance avec, cependant, des éléments de style baroque. L'ornementation est réalisée par des artistes hongrois renommés à l'époque : Bertalan, Székely, Mór Than et Károly Lotz. Bien que le bâtiment ne soit pas considéré comme le plus important, son esthétique et son acoustique le classent parmi les premières salles d'opéra dans le monde.

Le hall, les escaliers, chaque salle, chaque recoin, chaque bureau et les terrasses regorgent de splendides motifs et sculptures qui ressemblent évidemment à la Basilique Saint-Etienne de Pest érigée par le même architecte en 1867. Deux merveilles parmi les autres splendeurs de Budapest.

Sophie Lesort

Vu à l’Opéra de Budapest (Hongrie) le 28 mai 2017

 

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