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L’excroissance du mâle : Luigia Riva crée « Innesti »

A Biarritz, au Temps d’aimer, la chorégraphe italienne transforme la danse en art plastique.

Appelez ça comme vous voulez : Des boules, des boudins, des greffes (innesti, en italien), des excroissances, des exo-muscles ou des armures... Augmentés d’ajouts difformes, les corps des quatre danseurs forment une œuvre d’art plastique en perpétuelle transformation. Sur l’ensemble de la pièce, on pourrait y voir une caricature moquant certaines images d’Epinal d’une masculinité formatée. Le rugbyman, par exemple. Le gladiateur, le Minotaure...

Soit. Mais l’effet de ces prothèses est justement le camouflage. Innesti se décline en plusieurs tableaux et commence par une image de magma cosmogonique où les ajouts brouillent la perception dans, A priori, ce motif-là est depuis longtemps une autre image d’Epinal. Sauf qu’ici, l’effet de dissimulation est total et le magma, épais et tenace. 

Pendant longtemps, on guette en vain quelques signes d’anthropomorphie. Les greffes prennent le dessus, les corps sont dissimulés dans une sculpture tentaculaire enroulée sur elle-même. C’est pourquoi l’abstraction donne le ton et interdit toute interprétation univoque. Baigné dans une lumière verdâtre qui accentue le mystère et crée des images à la Tarkovski, Innesti attaque fort. Riva tient là une œuvre dans l’œuvre, une sculpture, une installation...

Masculinité exacerbée

D’autres tableaux ne sont pas en reste. Quand chacun se présente en solo, comme dans un studio photo ou pour un défilé de mode, la masculinité est exacerbée. Mais les corps semblent se dissoudre comme si le chorégraphe-plasticien s’appelait Salvador Dali. En travaillant sur le dur, on arrive au difforme... En effet, Riva est ici plasticienne, au moins autant que chorégraphe.

Galerie photo © Caroline De Otéro

Comment faire, en partant d’une approche aussi plastique, pour construire une pièce sur la durée sans perdre le fil dramaturgique ? La construction est le maillon faible d’Innesti, qui perd parfois son fil et n’évite pas (encore) l’effet catalogue. Mais au Temps d’aimer la pièce n’en était qu’à sa première sortie. Les ajustements à lui apporter ne mettent pas l’approche en question.

Ou bien, si ? Cette augmentation du corps masculin impose-t-elle finalement trop peu de contraintes au mouvement ? La question résume toute la complexité d’Innesti. Les brillants danseurs, dont Nans Martin et Camille Ollagnier, se meuvent, paradoxalement, comme des poissons dans l’eau. Devraient-ils travailler davantage sur les mouvements empêchés ? Mais justement, dans la société que Riva remet en question, tout est fait pour offrir aux hommes un maximum de liberté de bouger.

Danseurs scotchés

Innesti est une réplique à la pièce précédente de Riva, Inedito 2, duo féminin où la chorégraphe scotche les bras ou les jambes des interprètes pour créer une métaphore de la condition féminine dans la société actuelle. La femme ligotée interroge, comme l’homme en apparente surpuissance corporelle, les stéréotypes des genres qui formatent les identités sexuées. Dans les deux pièces, le scotch brun est le même, pour refléter, au figuré comme au concret, le regard normatif sur les genres.

A la fin, un cinquième homme monte sur le plateau, en sortant des rangs des spectateurs. Il contemple les armures laissées au sol par le quatuor qui vient de sortir, dénudé. Lui aussi se dévêtit et tente de se glisser dans un élément de cette étrange seconde peau. Voilà tout un ersatz d’identité dans lequel il cherche à trouver sa place. La condition pour se sentir homme? Peut-être, et plus encore. Axel Léotard est transgenre (il est aussi l’auteur du livre Mauvais genre) et met dans la balance sa différence et son individualité, face à une identité masculine schématique et artificielle.

Thomas Hahn

Innesti de Luigia Riva
Avec : Benoît Maréchal, Axel Léotard, Nans Martin, Camille Ollagnier, Raphaël Soleilhavoup Musique : Joseph Marzolla Costumes : Janneke Raaphorst et Luigia Riva Lumières : Philippe Diet Création le 18 septembre 2016, Biarritz, salle du Colisée, festival Le Temps d’aimer

Reprise : décembre 2016, Chaillot, Théâtre National de la Danse

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