« L'Eloge des Possibles » : entretien avec Raphaël Cottin
Avec L'Eloge des Possibles (lire notre critique), c'était Raphaël Cottin qui reconnaissait, après Aurélie Berland la veille à travers la reprise de trois pièces, Automnales, Le Nu Perdu et La Griffe (lire notre critique), sa dette envers la pédagogue et chorégraphe Christine Gérard. Or l'indice ne trompe pas : un grand professeur se mesure à la diversité de ceux qui s'en revendiquent tout en restant eux-mêmes. Raphaël Cottin qui porte une attention vigilante à la dimension historique de la danse explique cette influence et donne quelques pistes à propos de sa pièce.
Danser Canal Historique : L’influence de Christine Gérard a été très importante sur toute votre génération. On a pu parler d’une véritable « école du conservatoire » [avec des personnalités aussi diverses, outre celles citées plus avant, qu'Arthur Perole ou Elodie Sicard]. Comment l’expliquez-vous ?
Raphaël Cottin : Dans les années 1990 et 2000, Christine était l’un des rares professeurs à enseigner à l’ensemble des élèves, classiques comme contemporains, et avec une fréquence hebdomadaire qui offrait une véritable horizontalité dans le cursus.
De plus, la discipline qu’elle enseignait (l’improvisation et la composition) demandait du « travail à faire » d’une semaine sur l’autre, puisque nous devions composer chaque semaine. Les studios empruntés par les étudiants étaient donc consacrés essentiellement à cette tâche. Par ailleurs, les portes ouvertes du Conservatoire donnaient à l’époque une place assez importante aux compositions personnelles, comme autant de cartes blanches aux jeunes danseuses et danseurs que nous étions. Si ces moments-là s’affranchissaient des cours de Christine, l’acte même de la composition personnelle était cependant rodé tout au long de l’année grâce à elle.
Enfin, quels que soient les caractères de ses élèves et leurs profils plus ou moins enclins à la chorégraphie, plus ou moins en sympathie par rapport à son approche pédagogique, nous partagions le devoir d’introspection propre à l’impro-compo. La question en filigrane de « qui sommes-nous à travers notre danse ? » semble avoir résonné chez beaucoup d’entre nous, tout au long de nos études.
DCH : Vous pratiquez une chorégraphie qui se nourrit de références historiques. Pourquoi avoir choisi de vous inspirer d’une pièce de Christine plutôt que de la remonter simplement (celle-là ou une autre d'ailleurs)?
Raphaël Cottin : Ce qui m’a inspiré, c’est la double qualité d’enseignante et de chorégraphe de Christine Gérard. J’ai eu la chance de fréquenter ces deux aspects de son parcours personnel et professionnel, en étant son élève puis son interprète.
Reprendre ce solo rappelait ma relation d’interprète face à une chorégraphe ; s’en inspirer pour créer une autre pièce rappelait les souvenirs d’élèves en composition face à un enseignement reçu il y a plus de 30 ans (j’avais 13 ans lors de mes premiers cours avec elle, j’en ai 46 aujourd’hui).
Plus qu’un hommage à Christine, c’est surtout l’inspiration provoquée par une écriture forte qui m’a motivé, me permettant de passer d’un auteur à un autre auteur. Il n’est pas rare d’avoir, en danse contemporaine, des soirées composées avec plusieurs auteurs ; il me semble beaucoup plus rare d’avoir deux écritures différentes réunies au sein d’une même œuvre, c’est ce que j’ai trouvé excitant et stimulant.
DCH : En quoi votre maîtrise de la notation Laban influence ce travail de composition ?
Raphaël Cottin : La notation Laban, que je préfère appeler par son nom technique, la cinétographie (parce que cela renvoie d’avantage à l’acte d’écriture qu’à celui de la prise de notes), n’est pas un « à côté » lorsqu’on y est sensibilisé. C’est une formation qui a pour vocation d’analyser le mouvement concrètement au travers de quatre questions simples mais exigeantes : « qu’est ce qui bouge ? », « dans quelle direction s’effectue ce mouvement ? », « quand est-ce qu’il se produit ? » et « combien de temps cela dure-t-il ? ». Cette spécialité s’infuse donc avec la personne qui la reçoit, clarifie ses questions, filtre sa compréhension du mouvement en permanence et demande de faire le tri entre ce qui semble nécessaire et suffisant et ce qui paraît superflu.
La danse de Christine Gérard, également soucieuse d’une grande clarté de discours lorsqu’elle est transmise (par exemple, « faire un pas en avant » ne suffit pas, il faut le faire avec un certain rapport au poids, une attention fréquente voire permanente aux parties du pied en contact avec le sol), est dans ce sens très compatible avec la cinétographie.
Il y a des danses moins familières avec cette discipline, car donnant moins de place à l’écriture consciente du mouvement dans l’espace-temps.
Ainsi, je peux dire que la cinétographie m’a permis tout à la fois de vérifier la clarté de la transmission de la chorégraphie originale et de rassembler en conséquence les éléments de base prêts à être transformés.
DCH : Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement le solo du masque rouge* ? Une référence à Edgar A Poe?
Raphaël Cottin : Pas du tout.
Tout d’abord, c’est Christine qui a choisi le masque rouge pour moi, ainsi que pour Julie Meyer-Heine avec qui je l’interprétais en alternance.
Le masque, création du peintre Jean-Pierre Schneider, a aussi précédé la danse de Christine ; il m’était alors totalement étranger.
Par ailleurs, je dansais un autre solo (dans cette pièce qui en comportait sept), celui du masque gris, sur une musique originale d’Alain Lithaud, dont l’écriture chorégraphique, très minimaliste, était peut-être moins puissante ou fonctionnait moins bien isolée des six autres parties.
Le choix du masque rouge s’est imposé comme une préférence tout à fait intuitive, puis s’est répété pour moi à plusieurs reprises, car je considère que c’est un cadeau d’une grand valeur qui m’avait été fait en 2001 et que je souhaitais entretenir; j’ai pu ainsi le re-danser lors d’une carte blanche à ma compagnie pendant le festival Artdanthé à Vanves en 2006, puis à L’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise en 2012. Le masque rouge m’accompagne donc discrètement mais fidèlement depuis 23 ans. Merci infiniment aux personnes dont la confiance a permis d’alimenter ce fil : Christine Gérard à l’origine, José Alfarroba à Vanves et Jean-Joël Le Chapelain à Cergy.
DCH : La première qualité d’un chorégraphe, c’est le casting ! Comment avez-vous choisi ces trois interprètes ?
Raphaël Cottin : Amandine Brun fut stagiaire dans ma compagnie lorsqu’elle était au CNDC en 2017. La jeune danseuse talentueuse qu’elle était déjà, et le fait qu’elle ait entrepris ensuite des études en cinétographie, m’a vite conforté dans le désir de travailler avec elle. J’ai même eu la grande joie de contribuer à la mention très bien de son master en écriture du mouvement en étant membre de son jury. Elle a rejoins ma compagnie en 2019 et est également très investie dans nos actions culturelles.
J’ai rencontré Arthur Gautier au sein du Centre chorégraphique national de Tours avec Thomas Lebrun. Après plusieurs années à partager la scène avec lui avec plaisir, j’ai demandé à Thomas s’il lui semblait possible qu’il danse également au sein de mes projets. Nous avons ainsi dansé à l’occasion de plusieurs performances événementielles de ma compagnie, puis sur cette création. Il sera également l’interprète d’un solo jeune public dont les répétitions débutent la saison prochaine, en alternance avec la danseuse Alice Lada.
Paul Grassin a effectué une partie de sa formation avec Arthur, à Coline. Il a été remarqué discrètement par Thomas Lebrun, qui m’a conseillé de garder un œil sur lui lors d’une audition pour une production de La Chauve-Souris que je chorégraphiais pour les opéras de Rennes, Angers-Nantes, Avignon et Toulon. Cela ne s’est pas concrétisé alors mais l’intuition était là. Quelques années plus tard, au sein du CNDC où il poursuivait ses études, il a été stagiaire auprès de Thomas Lebrun. lorsque se construisait la pièce Sous les fleurs (où je danse avec Arthur). L’intuition s’est alors transformée en envie concrète de collaboration. Là encore, connaissant l’envie de Thomas d’engager Paul sur sa prochaine création (D’amour, qui vient d’être créée au CCNT- lire notre critique) je lui ai demandé la permission d’engager Paul à mon tour. Quelques « Tetris » de planning plus tard, mon équipe était constituée !
Nous rions beaucoup en répétition. C’est important. J’aime aussi beaucoup le travail et l’autonomie dans le travail. C’est un plaisir pour nous de nous accompagner mutuellement dans ce processus, en faisant en sorte que les qualités des uns nourrissent celles des autres.
Propos recueillis par Philippe Verrièle
* Le solo du masque rouge est issu de la pièce Quel est ce visage ? une suite de sept soli pour sept masques créés par plasticien Jean-Pierre Schneider créé entre 1999 et 2000.
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